Le handicap moteur et sensoriel en prison : une double peine taboue
Vivre avec un handicap dans l’espace public signifie encore parfois d’être exclu d’une partie importante de la vie sociale et citoyenne. En prison, le handicap décuple le sentiment d’exclusion et d’isolement, auquel s’ajoute la difficulté de bénéficier d’une assistance humaine. Se nourrir, se laver, travailler, accéder à certains espaces, chaque acte de la vie quotidienne en prison est un défi. Et l’état des lieux désastreux de nos établissements pénitentiaires largement régulièrement dénoncé complique encore la donne. Rares sont par exemple les prisons qui disposent de cellules pour personnes à mobilité réduite (PMR). Qu’en est-il dès lors du respect des droit fondamentaux, dont le droit à l’intégrité de la personne, le droit à l’intimité et le droit à la non-discrimination ? Qu’en est-il de la privation de soins adaptés ? On fait le point avec Bastien Lombaerd, avocat pénaliste. Il intervient dans plusieurs dossiers dans lesquels ses clients détenus sont préjudiciés dans leur situation de handicap.
Douches, toilettes, parloirs, promenades, espaces de restauration, unités de soins, l’agencement des différentes zones de la prison ne permet pas à une personne en situation de handicap d’y circuler de manière autonome.
Que ce handicap soit antérieur à l’incarcération ou apparaisse en prison, cette inaccessibilité rend également compliqués les visites à un proche handicapé ou le travail en milieu carcéral d’une personne en situation de handicap. Un détenu en fauteuil roulant qui ne peut accéder au coin sanitaire de sa cellule à cause d’une marche, un hémiplégique qui doit compter sur l’aide de son codétenu pour parvenir à s’allonger dans son propre lit, les problèmes de discrimination identifiés sont multiples. Ils concernent l’accessibilité, la mobilité, la vie sociale, le fait de vivre son intimité de façon indépendante, le travail et les activités de loisirs.
Une traduction en langue des signes refusée
Un individu de 28 ans, atteint de surdité profonde depuis sa naissance, est incarcéré depuis octobre 2019 dans notre pays, d’abord à Dinant et ensuite à Andenne. Depuis qu’il séjourne derrière les barreaux, il a régulièrement interpellé la direction de l’établissement pénitentiaire et le SPJ Justice quant au manque d’adaptation des services carcéraux à sa situation de handicap.
Il lui est, entre autre, refusé la prise en charge de la traduction en langue des signes belge francophone. Cette aide est pourtant indispensable pour le détenu pour ses rendez-vous médicaux, mais aussi lors de rendez-vous avec les services sociaux qui doivent remettre un avis d’expertise au juge concernant sa demande de libération conditionnelle.
Maître Bastien Lombaerd, l’avocat du détenu contacte alors Unia en mai 2021 qui obtient alors de la part de la direction concernée que ce manquement discriminatoire au respect des droits fondamentaux du détenu soit corrigé.
« Mais malgré de belles promesses, la question de l’interprète ne sera pas résolue », nous explique maître Bastien Lombaert qui a été contraint depuis d’assigner l’Etat belge en justice et doit plaider ce dossier en septembre prochain.
Copyright : Observatoire International des Prisons (OIP)
Des aménagements PMR inexistants
« Ce cas, malheureusement, n’en est qu’un parmi d’autres », nous précise Me Bastien Lombaerd, régulièrement confronté à ce genre de situation carcérale. Ainsi, rien n’est adapté au centre pénitentiaire de Saint-Hubert. Preuve en est la situation de cet autre détenu, âgé de 67 ans, atteint de troubles médicaux qui l’obligent à se déplacer en chaise roulante.
« Mon client a notamment été incarcéré dans une cellule quatuor dépourvue de toilette accessible de telle sorte qu’il s’est vu contraint de faire ses besoins dans un seau, aidé par (et à la vue) de ses codétenus ». Il a également sollicité à plusieurs reprises que les pneus dégonflés de sa chaise roulante soient regonflés. « Les demandes formulées en ce sens sont restées pendant plusieurs semaines sans réponses ». De même, « l’accès aux douches, non adaptées à une chaise roulante lui est impossible, sauf à se rendre au bloc infirmerie qui dispose d’une douche-baignoire, ce qui l’oblige à passer par l’extérieur du bâtiment alors qu’il est dans un état de santé particulièrement fragile et sensible aux écarts de températures ».
Cette situation a amené ledit détenu à être poursuivi disciplinairement car il revendiquait l’accès à des douches adaptées et une cellule adaptée. « On a ici aussi été contraints d’agir aussi en justice. Depuis, il a été transféré à Marche-en-Famenne où il a une cellule adaptée et il se dit bien mieux », nous précise maître Lombaert.
J’ai dû descendre les marches sur les fesses et récupérer mon fauteuil après.
Des aidants peu présents
Les personnes en perte d’autonomie connaissent une difficulté supplémentaire en prison, et non des moindres : elles peinent à bénéficier de l’aide d’un tiers pour accomplir les gestes du quotidien.
En témoigne cette femme, en détention depuis dix mois : « Je suis handicapée avec un taux d’incapacité de 80 %. Je n’ai pas d’aide pour faire mon lit. Toute seule je n’y arrive pas, c’est trop dur. Donc je dors sur ma couverture sans pouvoir me glisser dessous lorsqu’il fait froid ».
En témoigne encore ce détenu âgé de 72 ans, dans l’incapacité de se doucher depuis un an en raison de plusieurs pathologies psychosomatiques et malgré des réclamations incessantes. « Par chance, depuis quelques jours, un codétenu m’accompagne et me soutient dans l’épreuve de la douche car je fais des crises de tétanie. Mais cette situation d’abandon est inqualifiable. Je subis une double peine », nous confie-t-il.
Des risques accrus de racket
Il n’existe pas de données récentes en Belgique sur le handicap en prison, mais les conditions actuelles de détention sont à tout le moins incompatibles avec les situations de handicap physique et sensoriel.
À la rudesse de la vie en détention s’ajoutent des conditions matérielles inadaptées aux besoins des détenus diminués. « Je suis en fauteuil. J’ai perdu l’ongle de mon gros orteil à force de pousser les portes très lourdes en fer avec mes pieds. Vous trouvez cela normal ». « Le mois dernier j’avais un parloir. J’ai dû descendre les marches sur les fesses et récupérer mon fauteuil après. Mais il avait roulé loin de moi, j’ai dû ramper. J’ai glissé en faisant le transfert du siège de douche à mon fauteuil, personne pour m’aider. Je suis resté allongé sur le sol pendant des heures ».
Ce florilège de témoignages ne donne qu’un aperçu des épreuves traversées par les personnes incarcérées vivant avec une perte d’autonomie.
Par ailleurs, dommage collatéral, la situation de dépendance peut induire des déséquilibres dans les relations entre les détenus. Les risques de chantage et de racket sont en effet accrus envers des personnes considérées comme vulnérables et qui se laissent soudoyer car elles ont besoin d’aide dans leur quotidien.