La justice américaine entend juger le journaliste et fondateur de WikiLeaks pour espionnage. Il risque 175 ans de prison pour avoir diffusé, à partir de 2010, plus de 700.000 documents classés « secret défense » relatif aux activités militaires américaines, notamment en Irak et en Afghanistan. Dans l’attente de la décision de la justice britannique, Julian Assange est emprisonné à la prison londonienne de haute sécurité de Belmarsh dans des conditions de détention drastiques. « L’Affaire Assange. Histoire d’une persécution politique » vient de paraître dans sa version française. Nils Melzer, juriste et rapporteur spécial auprès des Nations Unies, y examine non seulement la mesure dans laquelle les procédures régulières et l’État de droit ont été respectés ou pas dans la poursuite du fondateur de WikiLeaks, mais aussi les pressions qui étouffent une presse libre et le droit d’informer. « Quoique l’on vous ait fait croire, l’affaire Assange concerne votre futur, votre vie, et votre droit de savoir ce que votre gouvernement fait du pouvoir et des impôts que vous lui donnez. Je ne veux pas laisser à mes enfants un monde où dire la vérité est devenu un crime », écrit-il.
Nils Melzer, est titulaire de la chaire des droits de l’homme à l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève. Il est également professeur de droit international à l’Université́ de Glasgow. Il a été́rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 2016 à 2022. Durant son mandat, il a mené l’enquête.
« L’Affaire Assange. Histoire d’une persécution politique » apporte en lecture des documents précieux à tous ceux qui veulent s’informer sur la destruction totale d’un homme, devenu « une cible prioritaire » pour Washington, pour avoir osé dénoncer, en 2010, les crimes de guerre et les actes de torture commis par l’armée américaine en Afghanistan, en Irak et dans la prison de Guantánamo.
Museler la vérité
À la demande de Washington, les autorités du Royaume-Uni détiennent Julian Assange depuis trois ans à Londres dans des conditions carcérales extrêmement sévères qui confinent à la torture et dégradent sa santé. Les États-Unis demandent son extradition. La procédure en cours, marquée par de nombreuses anomalies, n’est jusqu’ici pas favorable à Julian Assange, mais des recours en justice sont encore possibles. La décision de la justice britannique sera juridique, mais aussi politique. Les poursuites à l’égard d’Assange représentent de graves menaces pour les libertés d’expression et de presse, d’informer et d’être informé.
Pendant deux ans, Nils Melzer a enquêté de manière intensive sur le cas de Julian Assange. Pendant deux ans, il a tenté en d’obtenir la coopération des États responsables et a fait publiquement part de ses préoccupations dans des rapports officiels, des communiqués de presse et des interviews, devant des organes internationaux et des groupes parlementaires, comme lors de tables rondes académiques et de nombreux autres événements, mais en vain.
Par ailleurs, « M. Assange n’est pas un criminel et ne représente aucune menace pour quiconque, de sorte que son isolement prolongé dans une prison de haute sécurité n’est ni nécessaire ni proportionné et manque clairement de base juridique », estime Nils Melzer. « Les souffrances de plus en plus graves infligées à Julian Assange, du fait de son isolement cellulaire prolongé, équivalent non seulement à une détention arbitraire, mais aussi à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
Courage, fuyons …
Le moment est venu de publier ce livre, estime Nils Melzer. « J’ai décidé d’entreprendre cette démarche parce que je n’avais plus d’options viables au sein du système, et parce que mon silence ou mon inaction aurait été synonyme de complicité dans la dissimulation de crimes graves, tant ceux révélés par Assange que ceux commis contre lui et, donc, contre nous tous ».
Dans son introduction, il explique que son ouvrage se veut un avertissement à la communauté internationale des Etats sur le fait que le système qu’elle a mis en place pour protéger les droits de l’homme est en train d’échouer totalement.
Il lance un appel, comme un défi personnel, à chacun d’entre nous : « ouvrir les yeux, regarder la vérité en face et assumer sa responsabilité personnelle et politique ». Cette vérité que nous fuyons est la suivante : « L’affaire Assange, c’est l’histoire d’un homme persécuté et maltraité pour avoir révélé les sordides secrets des puissants, notamment les crimes de guerre, la torture et la corruption. C’est l’histoire d’un arbitraire judiciaire délibéré dans des démocraties occidentales qui tiennent par ailleurs à se présenter comme exemplaires en matière de droits de l’homme. C’est l’histoire d’une collusion délibérée des services de renseignement dans le dos des Parlements nationaux et du grand public. C’est l’histoire de reportages manipulés et manipulateurs dans les médias grand public aux fins d’isoler, de diaboliser et de détruire délibérément un individu. C’est l’histoire d’un homme que nous avons tous pris comme bouc émissaire en raison de notre propre incapacité sociale à nous attaquer à la corruption des gouvernements et aux crimes approuvés par l’État. Il s’agit donc également d’une histoire qui concerne chacun d’entre nous, qui touche à notre léthargie, notre auto-illusion et notre coresponsabilité dans les tragédies politiques, économiques et humaines de notre époque », affirme-t-il.
Et de conclure : « Les droits de Julian Assange ont été gravement violés pendant plus d’une décennie. Il doit maintenant être autorisé à vivre une vie familiale, sociale et professionnelle normale, à recouvrer la santé et à préparer sa défense de manière adéquate contre la demande d’extradition américaine en cours contre lui ». Nils Melzer a rédigé son ouvrage en allemand et l’a lui-même traduit en anglais et en suédois. Les éditions Critiques en font paraître une version française traduite de l’anglais par Diane Gilliard.
NOTE :
Les rapporteurs spéciaux des Nations Unies font partie de ce que l’on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Ces procédures sont des mécanismes indépendants d’enquête qui traitent soit de situations spécifiques à des pays, soit de questions thématiques dans toutes les régions du monde.
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