EPIS : les agences de paris accusent des pertes et attaquent l’Etat belge en responsabilité
Déjà fortement impactées par la pandémie, les agences de paris « terrestres » voient, comme beaucoup de commerces, leur facture d’électricité exploser à cause de la crise énergétique. Elles craignent à présent un énième tsunami. Depuis le 1er octobre, un contrôle EPIS renforcé est entrée en vigueur. Ni les commissionnaires indépendants, ni l’Union professionnelle qui les représente (UPAP), n’ont jamais été associés aux discussions, quant à cette mesure, avec les autorités et ce malgré des demandes répétées en ce sens. Après 15 jours d’activité, les agences de paris enregistrent une perte de 25% de leur chiffre d’affaires. Une action en référé a donc été lancée à l’encontre de l’Etat belge en vue de faire constater l’illégalité du contrôle imposé et mettre le Ministre de la justice Vincent Van Quickenborne face à ses responsabilités. L’audience d’introduction est fixée au 18 octobre prochain.
Le contexte litigieux est le suivant : depuis début octobre, toute personne désirant parier dans une agence de paris doit préalablement présenter une pièce d’identité et ce, pour empêcher l’accès aux paris aux interdits de jeu. Le joueur doit en outre être pris en photo et signer un registre à chacun de ses passages dans l’agence, même s’il s’y rend plusieurs fois par jour. L’ensemble des données fournies (identité, numéro de registre national, profession, etc.) est conservé pour dix ans.
Une perte sèche de 25%
« En l’espace de deux semaines seulement, les commissionnaires ont perdu 25% de leur chiffre d’affaires. Et ce ne sont pas les 6% d’exclus qui justifient cette perte », nous explique Yannik Bellefroid, CEO de Ladbrokes. Des chiffres que nous confirme Astrid Portugaels, commissionnaire indépendante en région liégeoise. Elle fait partie des plaignants qui ont introduit le recours contre l’Etat belge.
« C’est vraiment très tendu. Beaucoup de clients refusent de se faire photographier. Et ceux qui ont accepté, lorsqu’on leur dit que c’est à chaque passage dans l’agence qu’il faut recommencer l’opération et que ce n’est pas une fois pour toute, ils ne veulent plus coopérer. C’est bien simple, à ce rythme-là de pertes, je ne vais pas tenir longtemps. On est déjà resté fermés plus longtemps que les autres durant le Covid. On peine à se redresser, toutes les factures augmentent. Avec ce contrôle en plus, ce n’est juste pas viable ».
Rappelons que le secteur a déjà subi une baisse de 17% de son chiffre d’affaires selon le dernier rapport d’activité 2021 publié en mai dernier. Le Gross Gaming Revenue, soit la différence entre la totalité des mises engagées et des gains redistribués, a diminué de 200 millions d’euros. Les établissements de jeux physiques sont restés fermés pendant la moitié de l’année et ont connu une baisse du chiffre d’affaires de près de 50 %.
Une entrave à l’activité
« Cette perte rapide n’est pas étonnante », nous précise Yannik Bellefroid. « Le système est extrêmement lourd à mettre en place et décourage plus d’un parieurs qui refusent ce fichage. Ce sont des citoyens ordinaires, soucieux de leur anonymat et choqués par l’ampleur du contrôle alors même qu’ils ne misent que quelques euros. Que font ces joueurs à votre avis ? Ils vont jouer en libraire où aucun contrôle EPIS n’est appliqué ou alors en ligne, et bien souvent sur des sites illégaux ».
Avec la crise sanitaire, en effet, comme dans d’autres secteurs économiques, les consommateurs se sont déplacés en ligne. Cependant, en ce qui concerne les jeux et paris, un joueur sur cinq joue aujourd’hui sur des sites illégaux, ce qui soulève de sérieuses questions quant à leur sécurité.
« Non seulement, on est vraiment en train de torpiller la liberté d’entreprendre des commissionnaires indépendants de manière disproportionnée et contraire au RGPD, mais en outre, ce n’est pas comme cela que l’on va canaliser le joueur vers une offre plus sûre ».
Une mesure contreproductive de sens
« La vraie responsabilité sociétale n’est pas de fliquer abusivement par un système intrusif une majorité de joueurs qui ne sont pas sujets à l’addiction. Ça, c’est juste pour se donner une bonne conscience politique », poursuit Yannik Bellefroid. « Il faut conserver les joueurs dans le circuit légal et surtout continuer à travailler sur la notion de jeu responsable, comme nous le faisons depuis des années, pour limiter le risque d’assuétude aux jeux de hasard ».
Après de nombreuses et vaines tentatives auprès du Ministre de la Justice pour dénoncer la disproportionnalité de ce système, déjà dénoncée par l’Autorité de la protection de données mais surtout les violations flagrantes du RGPD, ces agences n’ont d’autre choix que de se tourner vers la justice.
Selon maître Audrey Despontin et maître Audrey Lackner qui ont initié l’action pour le compte des commissionnaires indépendants, « les agences de paris se trouvent aujourd’hui prise en étau : soit elles respectent la loi sur les jeux de hasard et se rendent alors coupables d’infractions au RGPD que des clients pourraient dénoncer auprès des autorités compétentes avec le risque de subir de lourdes amendes, soit elles ne l’appliquent pas et risquent alors de perdre leur licence et, partant, leur source de revenus. Ce n’est pas une situation tenable pour elles, sans compter la discrimination que cette loi engendre et qui aura des conséquences sur la survie de certaines agences ».
Le secteur des opérateurs privés estime, en outre, que la Loterie Nationale est favorisée et échappe à toutes contraintes puisque l’opérateur public n’est pas soumis aux mêmes contrôle d’accès que les opérateurs privés. Les avocates rappellent que le respect des normes européennes s’applique à tout le monde, en ce compris à l’Etat.
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