SOCIETE

Opinion: la France est-elle islamophobe ?

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Au sein des 65 millions d’habitants de la France, les musulmans représentent environ 6% de cette population (5,7 millions), ce qui en fait la plus grande population minoritaire musulmane en Europe. Le président français Emmanuel Macron décrit l’Islam comme une religion « qui traverse aujourd’hui une crise partout dans le monde » et que « le séparatisme islamique » est une idéologie qui est l’ennemi de la République. En 2021, il a mis en œuvre la loi « anti-séparatisme » pour justifier sa sécurisation, sa répression et sa discrimination institutionnelle à l’encontre des musulmans français. Sous prétexte de lutter contre le «terrorisme» et «l’Islam radical», le président français a imposé des interdictions sur les symboles et pratiques religieux, ainsi que légitimé la fermeture arbitraire de mosquées et la détention de personnes jugées opposées aux valeurs républicaines de l’Etat, ce qui en réalité criminalise la « Musulmanité ». Concept que je définis comme ce qui représente l’Islam dans sa culture, son art, ses rites sa religiosité, sa philosophie, sa morale.

Depuis la mise en œuvre de la politique « d’obstruction systématique » en 2018, plus de 24.000 organisations, institutions et entreprises musulmanes ont été placées sur une liste noire secrète sous stricte surveillance. 718 institutions musulmanes, dont des entreprises, des écoles, des mosquées et des organisations de la société civile, ont été fermées.

Pendant ce temps, le gouvernement idéalise les valeurs de « liberté » et « d’égalité » tout en ciblant les groupes de la société civile qui militent contre les politiques discriminatoires, islamophobes et pour la défense des droits des musulmans. A cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a débouté, mardi 20 décembre, Eric Zemmour en validant sa condamnation en 2019 par la Justice française pour provocation à la discrimination et haine religieuse envers la communauté musulmane, après des propos islamophobes tenus dans l’émission C à vous sur France 5 en 2016.

Plainte officielle auprès de la présidente Ursula von der Leyen

Une coalition d’organisations internationales et de groupes de la société civile avait déposé une plainte officielle auprès d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, concernant les politiques hostiles du Gouvernement français envers les citoyens musulmans de son pays. L’alliance mondiale avait appelé l’Europe à prendre des mesures urgentes et immédiates contre la France devant la Cour européenne de justice pour les politiques et attitudes hostiles et islamophobes du gouvernement envers les musulmans français, ainsi que pour le mépris flagrant des lois et principes fondamentaux sur lesquels repose la Charte des droits de l’homme et du citoyen de l’Union Européenne, de l’ONU.  L’UE a été fondée sur ses principes.

Dans la lettre, les organisations à l’origine de la plainte écrivent ceci : « Cet appel urgent à l’action est lancé par des organisations et des individus (ci-après la Coalition) qui sont composés ou qui représentent des citoyens musulmans français. Il est urgent de lutter contre les graves répercussions sur les musulmans en raison des attitudes islamophobes du gouvernement et des événements récents en France. Nous vous tendons la main, car il n’existe aucun recours réel ou efficace au sein du système juridique français pour arrêter la poursuite de l’islamophobie structurelle et systémique par le Gouvernement français au sens établi par la jurisprudence européenne. L’épuisement des voies de recours nationales n’apportera pas de soulagement effectif aux musulmans de France ».

En effet,  la plainte officielle avait également contesté  la « Charte des imams » du Gouvernement français et avait découvert qu’en plus de la politique de censure des libertés civiles des Français musulmans, le texte avait été exclusivement discriminatoire envers les musulmans car elle n’exigeait que leur seule signature.

Cet appel urgent à l’action est lancé par des organisations et des individus (ci-après la Coalition) qui sont composés ou qui représentent des citoyens musulmans français.

Paranoïa complotiste

Le président français, Emmanuel Macron, et son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ont lancé en 2021 leur Charte des principes de l’islam français, dont l’objectif est de réglementer et de définir non seulement la structure de la représentation des musulmans en France et le fonctionnement interne des mosquées, mais aussi la croyance islamique et la théologie elle-même. Il s’agit-là d’une véritable gestion néocoloniale de l’Islam et des musulmans qui se mondialise de plus en plus. Les phénomènes parfaitement normaux, dont les transformations naturelles des sociétés occidentales dues à la démographie et à l’immigration – changement de l’espace urbain et de certains quartiers, tenues islamiques dans les rues, mosquée construite à côté d’une église catholique,  sont présentés, de manière coloniale, raciste, islamophobe par des termes comme « Islamisation de l’Europe ». Une « paranoïa complotiste » qui ne cesse d’augmenter en Europe.

Vue intérieure d'une mosquée. BELGA

Vue intérieure d’une mosquée. (Belga)

Des changements culturels normaux et anodins tels que l’ouverture d’une mosquée, d’une librairie islamique et d’une boucherie halal dans le même quartier sont considérés comme la preuve d’une invasion planifiée par la construction d’« écosystèmes islamistes ». Chaque pratique islamique routinière et banale est une preuve supplémentaire d’une prise de contrôle hostile planifiée et coordonnée depuis l’étranger par les suspects habituels, l’Arabie saoudite, la Turquie, le Maroc, l’Algérie, l’Indonésie, l’OCI ou le Qatar, bref par le monde musulman.

L’alliance a conclu que cela était du jamais vu dans le droit de l’UE, et encore moins dans le droit français, car la Charte française chercherait à changer les croyances islamiques qui sont très chères aux musulmans. Fait intéressant, l’affirmation selon laquelle la liberté d’expression est absolue est fausse, car la France et d’autres pays européens ont des lois contre les discours de haine antisémites, homophobes. D’une part, la république se targue d’être la nation de Voltaire, avec une tradition de satire sociale incisive dont Charlie Hebdo se considère clairement comme l’héritier.

Des lois restrictives

La France a des lois restrictives sur la vie privée, certains de ses textes portent sur les discours de haine les plus strictes de l’Union européenne et une interdiction de la négation de l’Holocauste. Cette combinaison de bravade voltairienne et de mesures restrictives a créé une attitude profondément contradictoire envers la liberté d’expression. L’attitude de la France vis-à-vis de la liberté d’expression est donc alambiquée.

À de nombreuses reprises, leur hypocrisie selon laquelle la liberté d’expression peut être bafouée si elle ne convient pas à leur objectif a également été exposée. Le problème semble être l’incapacité de la France à reconnaître l’islamophobie et la xénophobie anti-arabe, anti-noir comme un discours de haine. C’est hypocrite. De son côté, la Commission européenne a mis l’accent sur son implication pleine et entière dans le combat contre toute forme de discrimination, y compris contre la haine vis-à-vis des musulmans. Néanmoins, le poste de coordinateur chargé de la lutte contre la haine anti-musulmane en Europe, créé en 2015, est vacant depuis juillet 2021.

Les musulmans, ils s’en foutent de la république, ils ne savent même pas ce que le mot veut dire.

Propos islamophobes sur CNews

Plus récemment, Jean-Claude Dassier, ancien patron de LCI et du club de foot, Olympique de Marseille, devenu chroniqueur sur la chaîne d’info CNews, a tenu des propos islamophobes mardi 27 décembre, ne provoquant aucune réaction sur le plateau de l’une des chaînes de télévision privées. Un véritable tollé a été déclenché sur les réseaux sociaux contre l’ARCOM, CNews et le gouvernement. Ancien président de l’OM et désormais consultant télé, il a affirmé que «les musulmans, ils s’en foutent de la république», en ajoutant qu’« ils ne savent même pas ce que le mot veut dire ». Il a poursuivi son raisonnement à l’antenne sans être jamais interrompu, allant jusqu’à affirmer que la culture musulmane « est trop éloignée (…) des autres ». Il était invité aux côtés du porte-parole du parti politique Territoires de progrès, Eduardo Rihan-Cypel, l’essayiste Laurent Ozon et le président du comité d’histoire parlementaire et politique (CHPP), Jean Garrigues. Par ailleurs, le  CCIE (collectif contre l’islamophobie en Europe) a déposé une plainte contre Jean-Claude Dassier pour « incitation à la haine » envers les musulmans, a-t-on appris jeudi 29 décembre, selon l’Agence Anadolu. Le même jour, soit deux jours après les faits, la présentatrice, Barbara Klein, s’est désolidarisée, au nom de la chaîne, des propos tenus par le chroniqueur 48 heures plus tôt.

L’Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) a, par ailleurs, été saisie. Mais celle-ci dispose de moyens limités. Les sanctions qu’elle peut imposer sont totalement indolores la plupart du temps. C’est pourquoi, depuis des années, CNews peut diffuser des propos islamophobes, xénophobes et racistes régulièrement et en toute impunité.  En réalité le problème n’est pas tant Dassier, Zemmour, Houelbecq et consorts, car ils seront remplacés par d’autres. La vraie question de fond, c’est la réforme de l’ARCOM et la lutte efficace contre l’islamophobie, le racisme anti-arabe et noir en France, plus globalement en Europe.

Hamid CHRIET, éditorialiste L-Post (à Londres)