OPINION

Iran : attribuer la révolution à « l’Occident empoisonné pour redonner de l’espoir aux forces du régime »

Rassemblement à Lyon ce dimanche 8 janvier 2023 contre le régime iranien, marquant le troisième anniversaire de la destruction de l'avion de ligne ukrainien, le vol PS752, par les forces iraniennes. AFP

Alors que le soulèvement national a franchi le cap des 100 jours, les autorités iraniennes désespèrent de trouver la voie qui pourrait leur permettre de gagner la foi du peuple. Et puisque la menace et la répression brutale et meurtrière ne terrifient plus la population (bien au contraire, même), le régime théocratique se lance dans le recyclage d’une ancienne propagande, avec pour dernier espoir, le raffermissement du patriotisme populaire face aux démons occidentaux.

Certes, l’orchestration est bien rodée, mais l’air est trop connu pour déclencher l’écoute et la reprise en chœur. Quant aux paroles, elles sont les mêmes depuis plus de 40 ans : l’Occident est un ennemi du peuple iranien, ne cherchant qu’à déstabiliser le pays et son unité. Il apporte le désespoir et ne peut déclencher que le chaos. Autrefois, cette musique pouvait encore séduire quelques âmes dubitatives, mais elle se perd aujourd’hui dans le vide, ne résonnant finalement que chez les convaincus et les percepteurs d’émoluments grassement facturés.

Accuser l’ennemi extérieur de tous les maux

Le désespoir et le déclin sont les thèmes remis au goût du jour par les autorités. Explicitement ou implicitement, ces dernières fustigent l’Occident qu’elles accusent de « créer le doute, l’incertitude, de semer les graines du désespoir, la polarisation, de créer la peur et le sentiment d’être une minorité pour les forces du Front révolutionnaire [lire le régime de Vali Faqih][i]. » Cette déclaration est intéressante à plus d’un titre. Elle est d’abord un aveu du sentiment d’impuissance et de désespoir des forces de sécurité du pays. Mais elle indique également aux lecteurs l’aveu de faiblesse d’un régime qui admet que les idées occidentales ont percé l’épaisse censure mise en place. Sinon, comment ces « tactiques de l’ennemi » auraient-elles pu semer le doute jusque dans l’esprit du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI) ?

Le guide de la révolution de l’Iran, Ali Khamenei lui-même, a déclaré dans son discours du 19 novembre dernier  que  « l’arrogance… a utilisé toutes ses possibilités pour induire le désespoir et l’impasse dans l’esprit des gens, en particulier des jeunes. Aujourd’hui pourtant, l’indicateur le plus important de la preuve de l’amitié avec l’Iran de chaque personne est d’éviter de créer le désespoir et de brûler l’espoir. » Un discours visant à remobiliser les troupes qui fait suite à celui prononcé deux jours plus tôt par le président Ebrahim Raïssi, considérant que « le travail et la stratégie de l’ennemi sont de créer le désespoir… Tous vos efforts devraient consister à transformer ce que nous ne pouvons pas en ce que nous pouvons.[ii] ».

Bien sûr, si les mollahs usent de cette rhétorique, c’est avant tout pour diaboliser l’Occident, pour tenter, dans un ultime baroud d’honneur, de récupérer le peuple en faisant jouer la fibre patriotique face aux démons de l’extérieur. Mais elle en dit finalement beaucoup plus sur l’état des forces de répression iranienne que sur les manœuvres manipulatrices potentielles exercées par les fameux démons… En somme, le guide suprême reconnaît avoir déjà perdu la guerre contre les idées occidentales. L’ennemi a bel et bien pris le dessus.

Des manifestants brandissent des pancartes et agitent des drapeaux lors d'une marche dans le centre de Londres le 8 janvier 2023 contre le régime des Mollahs en Iran. AFP

Autre manifestation à Londres ce dimanche 8 janvier 2023 contre le régime iranien à l’occasion du troisième anniversaire de la destruction d’un avion de ligne ukrainien par les forces iraniennes peu après son décollage de Téhéran. (AFP)

Accuser l’ennemi de son impéritie, c’est reconnaître sa grande faiblesse

Et pas seulement sur le plan des idées. Certains cadres fuient le pays et emportent avec eux leurs capitaux. Le site internet d’Etat d’Entekhab fait état de 70 milliards de dollars qui ont quitté l’Iran pour rejoindre le Canada : « Parallèlement à l’augmentation rampante du prix de la devise du pays, la sortie de capitaux du pays a augmenté de telle manière que, selon les autorités commerciales du secteur privé, au cours de la dernière année et demie, les seuls secteurs de l’industrie et du commerce de l’Iran ont retiré jusqu’à 70 milliards de capitaux du pays ; pour les déposer au Canada. » Il va de soi que de telles sommes appartiennent à des hauts cadres du CGRI, voire de l’Etat. Le délitement se fait sentir dans les portefeuilles d’action. La foi dans le régime a clairement disparu, y compris chez un grand nombre de mollahs.

Khameneï et Raïssi s’époumonent et hurlent à qui veut bien les entendre que le pouvoir divin de la théocratie est pur, que l’ennemi est ailleurs, que les seuls responsables de tout cela sont les occidentaux et leur arrogance, que le peuple devrait se focaliser sur les progrès réalisés par le système et le Gouvernement Raïssi plutôt que de fustiger ses dysfonctionnements, qu’il faut reprendre espoir dans la révolution islamique. Ils n’obtiennent pour seules réponses que le mépris et la colère d’un peuple pressé de renverser la table, et, à l’opposé, la fidélité extrémiste de leurs derniers grognards promettant d’amener « le Premier ministre israélien en Iran les mains liées et un collier autour du cou[iii] », punchline poussée comme un dernier cri sensé fédérer la nation dans un grand renouveau de la révolution islamique, seule voie vers la pureté, face au monde diabolique et décadent.

Chaque jour qui passe depuis le soulèvement, le désespoir devient plus omniprésent et son ombre noire sur les hauts responsables du régime s’étend.  Et le peuple ne s’y trompe pas. Lors d’une séance de questions-réponses à la télévision d’Etat entre Kosari, l’un des chefs du CGRI, et quelques jeunes rebelles capturés et alors que le premier nommé s’essaie à un message rédempteur à l’attention des détenus, ces derniers rejettent l’offre faite au risque de périr sous la torture ou exposés à la flèche d’une grue, pour ponctuer la séance de leur sentence : « Dans deux ou trois jours vous ne serez plus là non plus[iv] ».

Hamid Enayat

Ecrivain

Politologue et expert de l’Iran basé à Paris

 

[i] Hamidreza Moghadamfar, conseiller culturel et médiatique du commandant de l’IRGC, le 19 novembre 2022 sur le site d’état Entekhab.

[ii] Discours à la Conférence sur l’explication du Jihad – 17 novembre

[iii] Déclaration du commandant de l’armée d’Ispahan

[iv] Réseau de télévision d’état Ofogh – 27 octobre 2022