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Espagne: derrière des attentats récents, l’ombre du Renseignement russe et d’un groupuscule suprémaciste

AFP

ESPAGNE. L’information est passée à peu près inaperçue hors d’Espagne : le 25 janvier dernier, un homme de 74 ans était arrêté dans le nord du pays pour avoir envoyé plusieurs lettres piégées. L’ambassade d’Ukraine, les bureaux du Premier ministre Pedro Sanchez, ceux de sa ministre de la Défense Maragita Robles, l’ambassade des Etats-Unis et une entreprise fabriquant des lance-grenades donnés à Kiev avaient été visés. En filigrane, c’est un mouvement d’extrême droite russe proche du renseignement militaire russe qui semble avoir été à la manœuvre.

Il ne fallait pas avoir fait l’Ecole de guerre pour se douter que l’envoi de ces six lettres piégées – qui avaient fait un blessé léger à l’ambassade d’Ukraine, le 30 novembre dernier- , toutes postées entre fin novembre et début décembre était lié au conflit en Ukraine : les cibles parlaient d’elles-mêmes. Mais restait à trouver le coupable. Malgré les dénégations frénétiques de l’ambassade de Russie, l’enquête s’était immédiatement focalisée sur des personnes proches des services de renseignement russes ou d’organisations pouvant leur être liées.

Mercredi dernier, un bref communiqué est donc tombé : «Des membres de la police nationale ont arrêté ce matin un homme de nationalité espagnole à Miranda de Ebro (ville du nord du pays), considéré comme l’auteur présumé de l’envoi de six lettres contenant du matériel explosif (…) fin novembre et début décembre… » S’il reste possible que le suspect ait agi seul,  «la police nationale n’exclut pas la participation ou l’influence d’autres personnes», affirmait le ministère de l’intérieur.

L’ombre d’un groupuscule suprémaciste russe

Une source proche des services de renseignement espagnols (Centro Nacional d’Inteligencia, CNI) nous déclarait en fin de semaine que même si l’auteur des faits semble avoir été un solitaire, « il est certain qu’il a été inspiré, voire même guidé ou même instrumentalisé pour commettre ses actes terroristes ». Et les soupçons, nous dit-il, se portent sur un groupuscule qui est depuis longtemps dans le collimateur des services de renseignement occidentaux : le Mouvement Impérial Russe (RID, d’après son acronyme russe pour Russkoe imperskoe dvizhenie).

Le RID serait assez proche du sinistre Groupe Wagner

Fondé en 2002 à Saint-Petersbourg par un certain Stanislav Vorobyev, doté depuis 2008 s’une aile militaire, la « Légion impériale », le RID se définit comme « orthodoxe et monarchiste » et milite pour un rétablissement de l’empire tzariste et un « nettoyage ethnique » du pays pour en éliminer tout ce qui n’est pas « ethniquement russe ». Ce positionnement est à l’origine d’une relation compliquée et ambivalente avec les autorités moscovites.
D’une part celles-ci combattent tout mouvement de droite ou de gauche qui met en cause la nature de l’Etat ou pourrait s’attaquer à ses dirigeants, d’autre part, les organes de renseignement russes ne peuvent ignorer totalement les  services que peut rendre un groupuscule, une organisation qui entretient des liens étroits avec de nombreuses organisation néo-nazies ou suprémaciste en Occident.Sa force exacte est inconnue mais on l’estime généralement de quelques centaines à quelques milliers de membres actifs et sympathisants.

Pour les mêmes raisons, le RID serait assez proche du sinistre Groupe Wagner, cette compagnie militaire privée très proche du Kremlin et qui fournit des mercenaires aux actions plus ou moins clandestines de l’Etat russe en Ukraine mais aussi en Lybie et dans plusieurs Etats d’Afrique subsaharienne. Et bien entendu en Ukraine ou des combattants du RID seraient présents, aux côtés des séparatistes du Donbass, depuis 2014.

L’Ultra droite comme outil de déstabilisation

Le RID a en effet noué des amitiés militantes avec une quinzaine de groupes et partis de l’ultra droite européenne dont « Aube dorée » en Grèce, le « Mouvement de Résistance nordique » en Scandinavie ou encore l’organisation néo-nazie transnationale « Atomwaffen division ». Tous partagent avec le RID la même idéologie suprémaciste blanche, la même haine des immigrés ou le même antisémitisme et tous rêvent d’établir dans leurs pays un Etat fasciste. Or, l’ultra droite est, depuis de nombreuses années, l’une des armes utilisées par le renseignement militaire russe (GRU) pour mener des actions en Europe ou pour tenter de déstabiliser les démocraties du vieux continent.

Ces liens, mais aussi la présence de membres du RID dans les rangs du groupe Wagner en Afrique, en Lybie, en Syrie et dans le Donbass, lui avaient valu d’être inscrit sur la liste des organisations terroristes aux Etats-Unis (2020) et au Canada (2021).

Des « réseaux dormants » prêts à passer l’action

Notre sources du CNI affirme que « Le RID est suivi par nos services depuis 2019, lorsqu’il a participé à une conférence internationale organisée à Madrid par le groupe « Democracia Nacional » (qui, en dépit de son nom et du fait qu’il participe sans grand succès au jeu électoral, milite ouvertement pour l’établissement d’un Etat Fort). Un an plus tard, nous avons appris que le RID cherchait des partenaires susceptibles de se lancer dans des actions terroristes sur le sol espagnol… »

Cela n’aurait, de fait, rien d’étonnant : le RID est connu des services spécialisés pour avoir entraîné des militants de groupes extrémistes en Autriche, en Finlande ou en Allemagne. Et le 26 janvier 2020, un certain Anatoly Udidov, ressortissant russe et proche de Vorobyev avait été arrêt à l’aéroport d’Arlanda (Stockholm) : il tentait de prendre la fuite après qu’une perquisition ait amené à la découverte d’une importante cache d’armes qu’il avait constituée au profit de cellules néo-nazies locales.

« En fait, nous considérons que le RID est téléguidé par le renseignement militaire russe, au moins depuis trois ou quatre ans, pour mettre en place des réseaux de militants néo-nazis européens bien entraînés, financés et armés qui, en cas de besoin, pourraient être activés pour commettre des attentats ciblés qui ne seraient pas attribuables à la Russie », nous confie un officier de renseignement français très familier avec les théories de « guerre hybrides » chères au Kremlin et l’état-major russe. Des sortes de « réseaux dormants » que Moscou pourrait charger de mener des campagnes de terreur contre des objectifs stratégiques ou des personnalités et décideurs sir un conflit ouvert éclatait entre la Russie et l’OTAN.

Les lettres piégées de Madrid participaient-elles de cette stratégie ? S’agissait-il d’une sorte d’exercice en conditions réelles pour tester et ajuster les moyens déjà mis en place ? L’enquête de la police espagnole, qui se développe depuis des semaines dans le plus grand secret, permettra peut-être de répondre à ces questions.

 

Hugues KRASNER