INTERNATIONAL

Opinion: Abu Dhabi pris la main dans le sac dans l’affaire du « EUGate »

L'ancien député européen Pier-Antonio Panzeri, l'homme par qui est arrivé le scandale qui éclabousse aujourd'hui le Parlement européen. BELGAIMAGE

Depuis deux mois, le Parlement européen est ébranlé par une des plus grosses affaires de corruption qu’il ait connues. Ces derniers jours, de nouvelles révélations semblent pointer du doigt et impliquer les Emirats Arabes Unis. Acteur corrupteur ou chef d’orchestre de la cabale lancée contre le Maroc et le Qatar en pleine Coupe du Monde ?

C’est un curieux hasard en effet que des enquêteurs aient retrouvé parmi les nombreuses enveloppes de cash récupérées lors de la perquisition du domicile de Pier Antonio Panzeri, ancien député européen suspecté d’être le cerveau de de ce vaste réseaux de corruption au sein du Parlement européen, des enveloppes estampillées du sceau du Croissant Rouge émirati. C’est ce que la Libre Belgique[1], affirmait récemment après qu’un journaliste ait scruté de près les photos des enveloppes et billets saisis par la justice et diffusées en décembre dernier dans tous les médias.

Concurrence entre les pays du Golfe

Avouons que l’affaire prématurément appelée « Qatargate » et qui implique de plus en plus de pays est arrivée à un moment propice pour qui souhaitait ajouter une polémique de plus contre Doha. L’équipe d’enquêteurs avait pris en flagrant délit une série d’individus soupçonnés de corruption et pour une partie jetés en prison le temps de la poursuite de l’enquête.

Qui aurait pu avoir intérêt à ce qu’un pays paie pour tous les autres ? Il faut pour cela se replonger dans le géopolitique et la concurrence violente qui existe entre certains pays du Golfe.  A la lueur de la découverte de ces enveloppes provenant des Emirats arabes Unis/EAU (le Croissant Rouge ne pouvant être qu’une couverture hasardeuse), on est en droit de revenir sur la guerre des « tranchées » qui a opposé le Qatar aux EAU, l’Arabie Saoudite, Bahreïn, et l’Egypte de 2017 à 2021, isolant du jour au lendemain totalement Doha sur la scène régionale. On sait qu’Abu Dhabi dispose de réseaux d’influences puissants à Bruxelles, pour imposer son agenda, mais aussi afin de lutter contre ses ennemis, Qatar en tête à l’époque, et encore aujourd’hui malgré la fin officielle de la crise.

Bien avant les informations diffusées dans la Libre Belgique, le site d’informations italien Ilgiornale voyait directement la main d’Abu Dhabi dans le déclenchement du scandale du « Qatargate ». Tiré des sites Dagospai.com et du Nyweekly.com, l’ensemble de ces sources relatées ciblaient Tahnoon bin Zayed Al Nahyan, le frère du président des Emirats, Mohamed Ben Zayed, et chef des services secrets locaux[2], accusé d’opérer un intense lobbying en faveur de son pays à  Bruxelles.

Lobbying important, mais discret

Alors que d’autres pays financent un intense lobbying auprès des institutions depuis des années, que ce soit la Chine, la Russie, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis sont restés discrets depuis le début de l’affaire. Alors que l’on chargeait le Qatar au moment de la Coupe du Monde, personne ne s’interrogeait sur les conditions de travail de millions de ressortissants étrangers depuis des décennies dans les pays voisins, notamment pour construire Dubaï ou Abu Dhabi, en passant par Neom, le projet futuriste saoudien, jusqu’à la dernière Exposition Universelle abritée par la confédération émiratie en 2022. Y’aurait-t-il un lobbying plus puissant du côté des EAU pour couvrir leur action ?

Pourtant, dans les cercles bruxellois, un rapport est sorti en juin 2022 sur la stratégie d’influence et de lobbying d’Abu Dhabi auprès des institutions européennes. Il a été présenté par Nicola Giovannini, de l’ONG Droit au Droit[3]. Ce dossier de 150 pages analyse en détail la toile qu’Abu Dhabi a tissé, via des centres de recherches factice, des contacts auprès du parlement européen, ou d’agences de communication politique. L’activisme des EAU viserait à abattre un ennemi : le Qatar, éternel rivage politique régional et mondial. Il faudra attendre la suite de l’enquête pour savoir jusqu’où remonter la piste depuis les mystérieuses enveloppes du Croissant Rouge émirati retrouvé chez Panzeri en décembre dernier.

Il est donc normal de s’interroger sur les intérêts que certaines personnes ou entités peuvent tirer à ce stade d’un nouveau bashing contre Doha, qui a fait pschitt et qui, aujourd’hui, vise directement les failles éthiques du Parlement européen, un nombre croissant de pays suspectés de pratiquer un lobbying totalement illégal. C’est aussi pour cela que l’on parle de plus en plus de EUGate, le plus grand des scandales à l’heure actuelle au cœur de ce bastion de la morale humaniste et de ce parangon de vertu qui connait de violents tourments depuis le début de l’affaire.

Sébastien BOUSSOIS

Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient  relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et du NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm)

 

[1] https://www.lalibre.be/international/europe/2023/01/31/saisies-chez-pier-antonio-panzeri-une-trace-des-emirats-dans-le-qatargate-A2NGMU7DWNDTFGCM3EQMNA4TJM/

[2] https://www.ilgiornale.it/news/europa/manina-degli-emirati-arabi-allorigine-

qatargate-2100400.html

[3] https://brusselsmorning.com/parliamentary-hearing-reveals-uae-foreign-lobbying-in-eu/24177/