POLEMIQUE SUR L'IMMIGRATION INTRA-AFRICAINE

Tunisie : pour s’assurer le soutien financier de l’Italie, le Président tient un discours raciste anti-immigration subsaharienne

Une photo fournie par le service de presse de la présidence tunisienne le 8 mars 2023 montre le Président tunisien Kaïs Saïed rencontrant le président de la Guinée-Bissau Umaro Sissoco Embalo, président en exercice de la Cedeao (Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest). au palais de Carthage à Tunis. AFP

Au-delà de la pleine concentration des pouvoirs que s’est attribué le Président tunisien Kaïs Saïed, faisant définitivement de la révolution tunisienne un bien lointain souvenir, ses attaques contre les migrants subsahariens ont immédiatement déclenché la surprise et la colère des Tunisiens. Mais pourquoi s’est-il mis à vociférer de telles insanités, accusant ces migrants de vouloir changer la composition démographique du pays au point de mettre en péril l’identité du pays ? Pendant plusieurs jours, les agressions à l’égard de jeunes subsahariens se sont multipliées dans les rues de Tunis.

On n’avait jamais entendu parler de théorie du grand remplacement jusque-là en Afrique. Ce « laboratoire » de la transition démocratique qu’a été la Tunisie dès 2010, après la chute du Président Ben Ali, a vécu. On a aujourd’hui un Président qui a limogé le Premier ministre, a supprimé les travaux du Parlement, repoussé les dernières élections de décembre dernier, et qui vient de décider la dissolution des conseils municipaux, un des derniers acquis de la révolution qu’il restait dans le pays du jasmin.

Alliance Kaïs Saïed-Giorgia Meloni

Que viennent donc faire les subsahariens dans cette galère politique au cœur d’un discours proche de celui de l’extrême-droite européenne ? Le 21 février, Kaïs Saïed a affirmé, sans preuve, que la présence de « hordes » d’immigrés clandestins provenant d’Afrique subsaharienne était source de « violence et de crimes ». Poursuivant son discours aux relents racistes et xénophobes, il a estimé que leur présence relevait d’une « entreprise criminelle » visant à « changer la composition démographique » de son pays. Et voilà la théorie du grand remplacement qui contamine le Président tunisien.

Dans un article de 2020, intitulé « L’immigration subsaharienne en Tunisie : de la reconnaissance d’un fait social à la création d’un enjeu gestionnaire », Camille Cassarini revient sur les enjeux sociétaux de cette dernière : « L’immigration subsaharienne en Tunisie s’impose depuis 2011 comme nouveau fait social. Si les formes socio-spatiales de cette immigration sont multiples et concernent aussi bien des travailleurs que des étudiants, elle n’en reste pas moins cantonnée à une irrégularité juridique structurelle et à une mise sous silence de la part de l’État. Toutefois, ces populations font l’objet d’une politique de gestion sociale, construite et financée principalement par les organisations internationales et l’Union européenne et mise en œuvre par un ensemble de partenaires humanitaires et associatifs actifs au niveau local. »[1]

Des migrants arrivent à l'aéroport international de Tunis-Carthage le 7 mars 2023 alors qu'ils se préparent à quitter Tunis pour un vol de rapatriement. . AFP

Des migrants arrivent à l’aéroport international de Tunis-Carthage le 7 mars 2023 alors qu’ils se préparent à quitter Tunis pour un vol de rapatriement. (Photo AFP)

Selon l’Express[2], il semble bien que le Président tunisien, Kaïs Saïed, se soit lancé dans cette diatribe anti-migrants, avec le soutien d’une certaine Giorgia Meloni, la cheffe post-fasciste du conseil italien, qui en a marre d’accueillir ces migrants et préfère soutenir la Tunisie pour faire le premier filtre que de gérer l’après. Comme la Libye l’a longtemps fait.

On sait que nombre de pays arabes entretiennent une part de racisme à l’égard des populations noires.

On sait que nombre de pays arabes entretiennent une part de racisme à l’égard des populations noires. Mais venant de cette Tunisie démocratique, libéralisée après la révolution, ayant soutenu entre autres liberté d’expression et droit des minorités, c’est un coup dur que ce retour en arrière. Pendant que le Président tunisien a décomplexé certains racistes de son pays, la Présidente du conseil des ministres d’Italie est accusée par l’Europe de mener une politique drastique et raciste à l’égard des bateaux de migrants les empêchant d’accoster sur les côtes italiennes.

Soutien de Rome à Tunis

Le 1er mars, Rome a assuré de nouveau Tunis de son soutien financier : on peut le comprendre vu la situation économique catastrophique  dans laquelle est plongé depuis une décennie le pays. Cela vaut sûrement quelques mesures en échange pour empêcher de nouveaux bateaux de réfugiés de prendre la route de la botte italienne. Ironie de l’histoire : dans son communiqué du 1er mars, Giogia Meloni promettait la poursuite de cette aide et de la coopération mutuelle, soulignant l’importance de « la stabilité et la prospérité de la Tunisie, dans le respect des libertés et droits fondamentaux ». La gestion de ces derniers jours de la question des migrants subsahariens n’en est assurément pas la meilleure illustration récente.

Sébastien BOUSSOIS
Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient  relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et du NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm)

[1] https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-1-page-43.html

[2] https://www.lexpress.fr/monde/afrique/tunisie-derriere-la-derive-raciste-de-saied-lombre-de-giorgia-meloni-HWWWKZ2TQFBXPCUW4PRM3NWO6A/