Société

Réforme des retraites : Macron passe en force grâce au 49.3 et décuple la colère des opposants

bePress Photo Agency /KELLY LINS

Une confidence : « Jamais mon destin personnel ne me fera prendre des décisions contraires à ce qu’il convient de faire pour mon pays ». Des mots glissés en privé dans l’après-midi de ce 16 mars 2023 aux députés des groupes Renaissance !, Horizons et Modem par la Première ministre Elisabeth Borne. Une heure et demie plus tôt, elle était montée à la tribune de l’Assemblée Nationale pour l’ultime rendez-vous pour le projet de loi sur la réforme des retraites dont le point fort est le passage de l’âge légal de ladite retraite de 62 à 64 ans. Et très vite, dans un chahut accompagné du chant de « La Marseillaise », elle avait annoncé ne pas soumettre le projet de loi au vote des députés, mais recourir au fameux 49.3, un article de la Constitution de la Vème République qui permet l’adoption d’un texte sans vote des représentants des Français. Il s’agissait-là du 100ème « 49.3 », la onzième fois pour Elisabeth Borne depuis qu’elle a été nommée Première ministre le 16 mai 2022. La Première ministre Elisabeth Borne Quant à Elisabeth Borne, elle a bouclé cette journée particulière en allant au « 20 Heures » de TF1. Elle n’a pas manqué de cibler certains députés LR qui « ont voulu jouer leur carte personnelle.

Ce jeudi matin, les sénateurs avaient voté et adopté la réforme. Jusqu’à la fin de matinée, il paraissait acquis qu’il y aurait également un vote à l’Assemblée Nationale. Depuis le week-end dernier et jusqu’à ce mercredi soir, un nombre important des soixante et un députés LR (Les Républicains, droite) avaient assuré Elisabeth Borne et ses ministres de leurs voix, ce qui assurait la majorité pour adopter le texte. Mais dans la nuit, patatras !

Des députés LR se rétractaient, dès lors la Première ministre n’avait plus qu’un matelas de sécurité de 5 voix, jugé incertain et insuffisant. Ainsi, lors d’un Conseil des ministres convoqué en urgence, le Président de la République, Emmanuel Macron, annonçait « choisir de recourir à l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer sa réforme des retraites à l’Assemblée nationale ». « A mon grand regret », a-t-il ajouté. « J’aurais préféré un vote pour la loi… ».

Je comprends la colère des Français, et nous voterons toutes les motions de censure.

Loi adoptée dans un brouhaha à l’Assemblée nationale

En un peu plus de vingt minutes à la tribune de l’Assemblée Nationale, Elisabeth Borne a dû pousser la voix pour prononcer son discours dans un brouhaha orchestré par les députés LFI (La France Insoumise) et ponctué par les claquements de pupitres de représentants RN (Rassemblement National). Remerciant la Première ministre, la présidente du Parlement Yaël Braun-Pivet annonçait : « La loi est adoptée ».

Sur le banc des ministres, le ministre du Travail Olivier Dussopt (qui a porté pendant de longues semaines le projet) et le ministre de l’Economie Bruno Le Maire étaient blêmes, comme tétanisés. Au matin de ce jeudi 16 mars, dans la presse quotidienne on lisait « Retraites. L’heure de vérité » (« Libération »), « La réforme, quoiqu’il en coûte » (« La Croix »), « Retraites : le gouvernement face au dilemme du 49.3 » (« Le Figaro ») ou encore « Retraites. Le jour le plus long » (« Le Parisien »), et aussi « Le Parlement sous surveillance populaire » (« L’Humanité »)… Après l’adoption du texte sur la retraite, les partis d’opposition se retrouvaient dans un même constat : « C’est un passage en force »…

Le mandat de Première ministre d'Elisabeth Borne est-il menacé après les résultats décevants de l'alliance présidentielle aux législatives? AFP

Le mandat d’Elisabeth Borne est écorné avec cet épisode du rcours au 49.3 pour faire passer la loi sur la réforme des retraites. (AFP)

Quand l’extrême droite et la gauche radicale font cause commune

La première à réagir a été Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l’Assemblée. Morceaux choisis : « Le texte est passé sans majorité. Une majorité de Français est opposé à ce texte. Il faut renverser ce gouvernement, il doit démissionner. C’est un échec du gouvernement, de Mme Borne et d’Emmanuel Macron. C’est un échec personnel du Président… Je comprends la colère des Français, et nous voterons toutes les motions de censure ».

Un peu plus tard, elle portera une attaque contre le gouvernement et des députés LR : « Pour avoir leurs voix, le gouvernement leur a fait des offres financières… » A l’opposé de l’échiquier politique, la présidente du groupe NUPES, Mathilde Panot, a décoché une formule : « Qui sème le chaos récolte la censure »…

Dans les prochains jours, les oppositions parlementaires ont annoncé qu’elles déposeraient avant le 17 mars (heure limite : 15h20), la NUPES par la voix de Fabien Roussel (secrétaire général du PCF- Parti communiste français) assure qu’elle votera toute motion d’où qu’elle vienne. Même annonce au RN. Ce qui, et c’est un des événements de cette annonce, signifie que la gauche radicale et l’extrême-font cause commune. De son côté, si l’on en croit son président Eric Ciotti, aucun député LR ne votera la moindre motion, mais quelques membres de Les Républicains sont prêts à voter pour le renversement du gouvernement d’Elisabeth Borne.

les Français n’ont pas élu le 49.3. Quand il y a un texte pour changer la vie des Français, il faut un vote… 

Des syndicats toujours mobilisés

En fin d’après-midi, à Paris mais aussi dans de nombreuses villes de province, des manifestations ont été organisées. L’un des leaders syndicaux, Laurent Berger (CFDT), explique que « les Français n’ont pas élu le 49.3. Quand il y a un texte pour changer la vie des Français, il faut un vote… ». Au lendemain de la 8ème journée d’action le 15 mars, son homologue de la CGT, Philippe Martinez, annonçait la couleur : « Il faut amplifier la mobilisation et les manifestations ». Et surgit à nouveau le spectre d’une « giletjaunisation » dans le pays, à l’exemple du mouvement qui avait bloqué la France en 2018. « Le mouvement social va prendre de l’ampleur », assure Frédéric Dabi, le directeur général de l’IFOP.

Dans la sphère politique, enflent également déjà les questions sur l’avenir de la Première ministre Elisabeth Borne et le Président de la République. La première a accepté, dans cette affaire, d’être « le fusible » et le second sait parfaitement que son deuxième et dernier quinquennat a été, par ce « passage en force » pour la loi sur la retraite, sérieusement écorné…

Quant à Elisabeth Borne, elle a bouclé cette journée particulière en allant au « 20 Heures » de TF1. Elle n’a pas manqué de cibler certains députés LR qui « ont voulu jouer leur carte personnelle. En accord avec le Président de la République, j’ai engagé mon gouvernement sur le texte modifié la veille par la commission du Sénat et du Parlement. Et je reste convaincue que nous devons réformer notre système de retraite. Pendant des mois, nous avons mené des négociations avec les organisations syndicales et patronales ». De nombreux observateurs de la chose publique considèrent qu’à la sortie de cette séquence sur les retraites, la Première ministre est très affaiblie et peut-être même prête à quitter sa fonction- réponse : « Ce n’est pas un enjeu de personnes. Apporter des solutions pour mon pays, c’est la seule chose qui m’intéresse ». Le présentateur insiste : démission prochaine ? Elisabeth Borne esquive, répète : « J’ai engagé mon gouvernement sur le texte d’un compromis… », et revient sur l’attitude des député.e.s de la NUPES et du RN pendant son discours à l’Assemblée Nationale : « Je n’étais pas en colère, j’étais très choquée. Le Parlement, c’est le lieu où on débat. Mais aujourd’hui, certains veulent le chaos à l’Assemblée et dans la rue »…

Serge Bressan (à Paris)