OPINION

Opinion: L’Europe doit aider l’Arménie à se dégager de l’étau russe et iranien

Le président du conseil européen, Cahrles Michel appuie le processus de paix entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. AFP

Dimanche prochain, se réuniront les Premiers ministres arménien, Nikol Pachinian, et le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, à Bruxelles, sous l’égide du Président du Conseil européen, le Belge Charles Michel, pour faire avancer les négociations de paix. L’objectif affiché par ce dernier est de « promouvoir la stabilité dans le Caucase et la normalisation entre les deux pays ». Stabilité, un vaste programme difficile à maintenir quand certains font des alliances un peu trop sulfureuses, espérant s’assurer souveraineté et protection durables. A cet effet, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, participait, ce 9 mai à Moscou, aux festivités du 78ème anniversaire de la capitulation de l’Allemagne nazie.

Depuis des siècles, le Caucase-sud est sous influence de grandes puissances régionales, mais également du monde. Aujourd’hui, la zone y est plus instable que jamais alors qu’Azerbaïdjan et Arménie tentent depuis plus de deux ans de construire une paix qui bénéficiera aux deux pays, mais qui profitera aussi à l’Europe. Si l’Azerbaïdjan est soutenu par la Turquie, membre agité de l’OTAN, et Israël, puissance du Moyen-Orient, l’Arménie a fait des choix d’alliances, pour garantir sa sécurité, qui la livrent tout droit dans les mains de la Russie et de l’Iran. Tout cela pourrait compliquer sérieusement sa relation avec l’Europe et avec ses soutiens, surtout en pleine négociation pour le statut final, les frontières, les réfugiés, la normalisation et la coopération entre les deux pays.

Une alliance avec l’Iran qui interpelle

Pendant que Tel-Aviv et Bakou ont renforcé ces derniers mois leurs relations diplomatiques et politiques, l’Iran sous sanctions et dans la tourmente s’emportait contre l’Azerbaïdjan pour son soutien à l’Etat hébreu. Dans un contexte où Erevan est largement sortie affaiblie en 2020 après avoir perdu le Karabakh, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian peut-il se passer de la Russie et de l’Iran ? Impossible à l’heure actuelle selon l’Arménie pour contrer le rapport de force voisin. Pachinian l’a même confié à Al Jazeera en juin 2022 : « L’Iran est un pays ami pour nous »[1]. Dans une interview à la télévision publique iranienne fin novembre dernier, il déclarait même que « L’Arménie cherch(ait)e à approfondir les liens avec la République islamique d’Iran dans tous les domaines ». Alors que Téhéran réprimait dans le sang les manifestants qui défilaient dans les rues du pays, l’Arménie renforçait ses liens avec un régime violent qui ne respectait plus aucun des droits humains fondamentaux. En réalité, l’Iran cherche depuis des années à revenir dans le grand jeu du Caucase-Sud et voit d’un très mauvais œil l’axe géostratégique qui se dessine depuis la fin de la seconde guerre du Karabakh en 2020, entre Bakou, Ankara et surtout Tel-Aviv.

Ennemi juré d’Israël, l’Iran a donc renforcé encore son soutien à l’Arménie, qui dispose déjà d’un accord stratégique et énergétique avec la Russie, et qui voit un nouveau régime paria le soutenir sans concession. Dernièrement d’ailleurs, Téhéran a vendu des drones à Erevan, posant la question du contournement des sanctions. Cette influence du régime iranien dans la région est une longue histoire. Quant au soutien d’Israël à l’Azerbaïdjan, il est un puissant levier pour Bakou pour canaliser sa relation d’autant plus tendue avec Téhéran depuis quelques mois. Pourtant, l’Arménie partage plusieurs points d’accord avec l’Iran  sur le terrain dont la volonté de faire front commun contre l’influence turque dans le Caucase-sud.

Le président français, Emmanuel Macron (à gauche sur la photo) et le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian. AFP

Le président français, Emmanuel Macron (à gauche sur la photo) et le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian. (AFP)

Une solide relation avec la Russie

Côté russe en effet, Moscou n’est pas un médiateur neutre depuis la déclaration tripartite du 10 novembre 2020, ayant mis un terme à la seconde guerre du Karabakh entre Bakou et Erevan, après 27 ans d’occupation du territoire par les forces pro-arméniennes. Comme l’explique Elchin Amirbayov, ancien ambassadeur d’Azerbaïdjan et conseiller diplomatique azerbaïdjanais, il serait difficile aujourd’hui pour Erevan de nier l’évidence : « Moscou a deux bases en Arménie, plus une en construction. La plupart des frontières arméniennes son gardées par le FSB, et 75% de l’économie arménienne appartient aux oligarques russes. Ca va être difficile de prendre de la distance avec Moscou ! » De plus, la guerre de la Russie contre l’Ukraine n’a pas arrangé les choses. Le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, participait d’ailleurs, ce 9 mai à Moscou, aux festivités du 78ème anniversaire de la capitulation de l’Allemagne nazie.

Dans la zone d’influence russe, l’Azerbaïdjan a été le premier pays du Caucase à avoir promis de l’aide à l’Ukraine et à avoir contribué au soutien occidental.  Dès le 26 février 2022, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait tweeté en remerciant l’Azerbaïdjan d’avoir donné la consigne aux stations d’essence SOCAR (azerbaïdjanaises) présentes sur le sol ukrainien de fournir gratuitement les ambulances du pays en carburant. Plus encore, des médicaments avaient été acheminés par avion depuis Bakou vers Kiev.

Sous influence et emprise soviétique pendant des décennies, l’Azerbaïdjan a toujours cherché à garder sa liberté face à Moscou et est une carte pour l’Europe dans sa bataille contre Moscou. Le renforcement des relations entre Bakou et Bruxelles en matière énergétique en est notamment la preuve.  L’Arménie elle, de son côté, a toujours voté aux Nations Unies pour soutenir la Russie, y compris depuis 2014 et l’annexion illégale de la Crimée par Moscou.

Position ambigüe de Paris

Ce qui pose un sérieux problème d’allégeance à l’Europe, où les soutiens à la cause arménienne sont extrêmement nombreux. Comment expliqueront-ils que la menace pour eux vient de la Turquie (par ailleurs membre de l’OTAN), et non pas de l’Iran et de la Russie que les Européens combattent de toutes leurs forces depuis plus d’un an ?

Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev (à gauche sur la photo) participe à un meeting de campagne de son allié turque Recep Tayyip Erdogan. AFP

Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev (à gauche sur la photo) participe à un meeting de campagne de son allié turque Recep Tayyip Erdogan. (AFP)

La France est, depuis l’arrivée du Président Emmanuel Macron, dans une posture ambigüe : elle soutient l’Arménie, mais aucune voix officielle ne condamne la diagonale Téhéran-Erevan-Moscou. Membre du groupe de Minsk, Paris en maintenant ses relations avec l’Azerbaïdjan a essayé de se présenter comme un médiateur de la crise post-conflictuelle entre Bakou et Erevan. Comment défendre alors les droits de l’homme qui seraient bafoués par Bakou à l’égard des Arméniens du Karabakh, alors que ceux-là se réfugient dans les bras de Moscou et de Téhéran ? L’Europe doit demander des gages à l’Arménie pour continuer à appuyer le processus de paix soutenu par l’actuel Président du Conseil européen Charles Michel. Dimanche sera l’occasion de faire pression. Mais il faut pour cela offrir à l’Arménie aussi les moyens de son autonomie idéologique, politique, afin de se développer, profiter économiquement de la paix, et sortir économiquement la tête de l’eau.

Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm)

[1] https://armenpress.am/fre/news/1085909.html