OPINION

Iran : une exécution toutes les six heures

Une photo non datée obtenue du bureau du guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, le 22 mai 2023, le montre (à droite) en train de parler avec le général des Gardiens de la révolution Ali Akbar Ahmadian (2e à gauche) dans un lieu tenu secret du pays. AFP

« Pas un jour ne passe sans que Khamenei ne verse le sang de la jeunesse iranienne dans une tentative désespérée de préserver la chute du gouvernement du Velayat-e-Faqih. Dans le prolongement de la nouvelle vague d’exécutions, vendredi matin, trois prisonniers du soulèvement ont été exécutés à Ispahan sur ordre de Khamenei, en dépit des appels nationaux et internationaux. Le régime des mollahs, qui est incapable de gouverner ne serait-ce qu’une seule journée sans répression, torture et exécution, ne comprend d’autre langage que celui de la détermination affichée par la population en colère. Le seul moyen de libérer le peuple iranien du gouvernement de la torture et de l’exécution est le soulèvement et la résistance ». 

Ces mots, posés en guise d’introduction, sont ceux de Maryam Radjavi, présidente élue du CNRI pour la période de transition. Prononcés le vendredi 19 mai 2023, ils ne sont que la description d’un état d’esprit, animé par la haine et la barbarie. Quel Dieu pourrait accepter que l’on trucide une personne toutes les six heures en son nom, qui plus est sous des prétextes fallacieux ? Le guide suprême et ses affidés ne soutiennent en aucun cas une cause religieuse. C’est leur égo qui commande. Leur égo et leur soif inextinguible de pouvoir. Tout le reste n’est qu’artifice destiné à manipuler les foules et à corrompre les âmes.

Exécuter pour survivre…   

Le fait est que depuis le début du mois d’avril 2023, de nouveaux records de barbarie ont été établis.

Selon les chiffres officiels, plus de 116 personnes ont été exécutées. Ce qui représente bien une exécution toutes les 6 heures ! Dans quel but ? Tenter de maintenir un climat de terreur afin de dissuader la population de se soulever. L’exécution de trois prisonniers politiques, Saleh Mirhashmi, Saeed Yaqoubi et Majid Kazemi, trois prisonniers du soulèvement, le matin du vendredi 19 mai, montre clairement qu’Ali Khamenei (guide suprême de la révolution islamique) n’a pas d’autre moyen que l’exécution pour briser le siège de l’ensemble du système par les femmes et les jeunes rebelles. Plus que quiconque, Ali Khamenei sent le danger. Il est en passe de voir ses chimères s’envoler et de perdre son pari faustien.

Après l’exécution de ces trois jeunes rebelles, Téhéran, Ispahan et d’autres villes ont été le théâtre d’émeutes. Vendredi soir, de nombreuses familles et proches de condamnés à mort ont manifesté devant la prison de Qezelhesar Karaj, dans l’ouest de Téhéran, en criant « N’exécutez pas ». Les agents répressifs de Khamenei ont attaqué les familles avec des gaz lacrymogènes et ont tiré des balles, blessant plusieurs personnes, pour les empêcher de se rassembler. La violence… Toujours la violence… Seulement la violence.

AFP

Des manifestants participent à une action appelant à plus de droits en Iran, sur la place du Dam à Amsterdam, le 20 mai 2023. (AFP)

Ali Khameneï face à son inéluctable destin

Un rapide retour sur la multitude de stratagèmes utilisés par l’Etat profond iranien suffit pour comprendre que le régime est à bout de souffle. Il a essayé de désunir les rebelles à maintes reprises, par différentes stratégies, allant même jusqu’à laisser croire au retour du Shah, pour mieux s’en servir contre la révolution. Toutes les cartes, toutes les tactiques et les jeux politiques du groupe de réflexion du régime des mollahs ont été brûlés. La fusion des couches moyennes et de la classe inférieure a donné naissance à une classe très consciente de ce qu’elle veut et de ce qu’elle ne veut pas. Qu’on ne parle plus du Sultanat, de la Savak, du Shah ou d’autres inepties seulement destinées à semer le doute. Si les occidentaux jouent le jeu du régime, au moins médiatiquement, le peuple d’Iran, lui, n’est pas dupe de la fourberie politique de ses édiles.

Désormais, Ali Khamenei se trouve opposé à un front aussi vaste que le territoire iranien. En face de lui se dressent les unités de résistance, dispersées dans tout l’Iran. Issues du peuple et soutenues par le peuple, elles sont prêtes à renverser le régime. Elles portent en elles une volonté explosive et attaquent les symboles du pouvoir tous azimuts, en brûlant des effigies du guide suprême, en organisant et en soutenant les manifestations, en portant les slogans, en assiégeant les centres des milices Bassidjis, en répondant à la violence du gouvernement…

Leur message est clair et limpide : « cessons d’avoir peur de nos bourreaux. Arrêtons de nous cacher. Notre combat est une guerre d’usure, d’épuisement de l’adversaire, de la peur qui doit changer de camp ».  Bien sûr, ces jeunes gens prennent des risques, parfois inconsidérés. Mais a-t-on déjà vu un tyran quitter son trône après une simple demande polie et circonstanciée ? Les exécutions massives qui ont cours depuis le début de l’année ne signifient qu’une seule chose : le temps politique des mollahs est compté. Et quand la peur change de camp, la violence institutionnelle ne fait que nourrir la révolution…

Ne nourrissez pas le crocodile, il vous mordra plus fort !

En tout dernier recours, dans un contexte social explosif, le régime joue sa survie auprès de la communauté internationale en usant d’une stratégie vieille comme sa constitution : la prise d’otages. Le jeu de ceux qui ont déjà perdu. Céder à cette mascarade, c’est permettre au régime de gagner du temps, ce qu’il n’a déjà cessé de faire depuis son avènement. Et dans un seul but : parvenir à développer l’arme nucléaire. Céder, c’est jouer la politique de complaisance. Et c’est ce que demande expressément le régime de Téhéran.

Le ministre iranien des Affaires étrangères déclare clairement dans une interview au Figaro que si la France continue à prendre des mesures plus positives, c’est-à-dire à céder au chantage, il libérera les quatre autres otages. En plus de quarante ans de résistance, le peuple iranien a saisi – d’ailleurs au prix de centaines de milliers de meurtres – que le seul langage audible par ce régime, c’est celui de la force et de la détermination. C’est la seule manière de mettre un terme définitif au jeu très sale du régime.

Hamid Enayat
Ecrivain
Politologue et expert de l’Iran basé à Paris