UN BELGE COMME MONNAIE D'ECHANGE CONTRE UN TERRORISTE

Olivier Vandecasteele est libre, mais le prix payé par la Belgique est lourd

La politique d'échange des otages détenu en Iran se poursuit de la part du régime. Après l'exemple d'Olivier Vandecasteele, ce sont les Etats-Unis qui sont visés.

Olivier Vandecasteele a donc été libéré. C’est le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) qui l’a annoncé  ce vendredi matin à 11h34. Si on a toutes les raisons de se réjouir de la bonne nouvelle, les conditions acceptées par la Belgique pour obtenir cette libération (le renvoi en Iran du diplomate-terroriste Assadolah Assadi, condamné à fin de prison par un tribunal d’Anvers), elles, posent question et pourraient donner lieu à des débats politiques enflammés  et à de nouvelles actions en justice dans un très proche avenir. Retour sur le cas d’Olivier Vandecasteele qui a suscité une importante mobilisation et une journée chargée d’émotions.

« Au moment où je m’adresse à vous, le Belge Olivier Vandecasteele est en chemin pour la Belgique. Si tout se déroule comme prévu, il sera parmi nous ce soir. Enfin libre ». C’est par ces quelques mots que le premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD) a annoncé la bonne nouvelle ce vendredi 26 mai. Une heure plus tard, on apprenait que l’avion le transportant avait décollé de l’aéroport d’Oman à destination de Bruxelles où il devrait arriver en fin de soirée. A Oman, Vandecasteele avait été accueilli dans la nuit par une équipe de diplomates et de militaires belges et avait passé une batterie d’examens médicaux.

La première image de l’humanitaire a été diffusée vers 13h par le Premier ministre. Il y apparaît très amaigri et visiblement fatigué. On ne peut que se réjouir de la fin de la détention du Belge qui a passé quinze mois (très exactement 455 jours) dans les geôles iraniennes (il a été arrêté le 24 février 2022), condamné à quarante de prison et 14 coups de fouets, après un procès inique portant sur des charges d’espionnage inventées de toutes pièces.

Echangé contre un terroriste

Le prix payé pour obtenir cette libération, en revanche, pose problème : Olivier Vandecasteele a en effet été échangé contre Assadollah Assadi. « Diplomate » iranien anciennement basé à Vienne, responsable, en fait des opérations des services secrets de Téhéran en Europe, Assadi avait été condamné à vingt ans de prison par le tribunal d’Anvers pour avoir préparé, en 2018, un attentat contre le rassemblement annuel des Moudjahidines du peuple à Villepinte, près de Paris. Seuls des renseignements transmis in extremis par un « pays ami » (en l’occurrence Israël) ainsi qu’une étroite et efficace collaboration des services secrets belges et des polices français, allemands et luxembourgeois avaient permis, en quelques jours, de faire échouer ce plan criminel qui aurait fait des dizaines de morts s’il avait été mené à bien. Car c’est un attentat-massacre que préparaient Assadi et ses complices (d’autres agents des  services de renseignements iraniens infiltrés de longue date en Belgique sous la couverture de réfugiés politiques).

Olivier Vandecasteele avait été arrêté dans l’unique but de servir d’otage et de faire pression sur les autorités belges.

En 2022, de longues négociations furent entamées entre Bruxelles et Téhéran en vue de procéder à l’échange des deux prisonniers. Un accord de transfèrement de prisonniers était alors signé entre les deux capitales et ratifié par le Parlement belge en juillet dernier. Il apparaissait alors clairement que Vandecasteele avait été arrêté dans l’unique but de servir d’otage et de faire pression sur les autorités belges.

Longue bataille juridique

Une longue bataille juridique avait alors été entamée par le Conseil Nationale de la Résistance Iranienne (CNRI), une organisation dont les Moudjahidines du peuple sont la composante principale. En Première instance, la justice leur donnait raison et suspendait toute possibilité de renvoi d’Assadi vers son pays. Mais le 3 mars dernier, la Cour constitutionnelle autorisait ce transfèrement sous la condition expresse que les parties civiles soient prévenues par le gouvernement et qu’elles aient la possibilité de s’opposer à l’échange devant les tribunaux.

Aladdin Touran, l’un des porte-paroles du CNRI nous confirmait en début d’après-midi que cette condition pourtant obligatoire, n’avait pas été respectée : « Nous n’avons pas été prévenus et nous n’avons donc pas pu faire valoir nos droits…. »

Première photo d'Olivier Vandecasteele après sa libération publiée sur Twitter par le Premier ministre belge, Alexander De Croo.

Dans un communiqué transmis aux journaux, le CNRI écrit : « La Résistance iranienne condamne fermement la libération du diplomate terroriste Assadollah Assadi et son retour en Iran sous le régime des mollahs. La libération de ce diplomate-terroriste survient alors que la Cour constitutionnelle avait clairement indiqué dans son arrêt que le Gouvernement belge devait informer les victimes avant de transférer les condamnés…  La liberté du terroriste […] est une rançon honteuse pour le terrorisme et la prise d’otages, en violation flagrante de l’ordonnance du tribunal. Ce fascisme religieux, régnant sur l’Iran, poursuit ses crimes dans la répression intérieure et le terrorisme régional et international. Du 1er au 25 mai, 127 personnes ont été exécutées en Iran. La Résistance iranienne continuera à demander justice en Belgique et sur la scène internationale dans la mesure du possible ».

Le dossier va désormais passer sur le plan politique et sans doute judiciaire, le CNRI entendant faire entendre sa voix dans les tribunaux.

En milieu d’après-midi, le gouvernement annonçait qu’il n’avait pas activé le traité de transfèrement, mais avait choisi d’utiliser l’article 167 de la Constitution qui stipule que le Roi (donc, l’exécutif) à la haute main sur les Affaires étrangères et la Défense nationale. La décision a donc été prise après que le gouvernement ait constaté qu’existait « une menace imminente, grave et continue » pour la sécurité.

L’opposition va faire entendre sa voix

Le Parlement se réunira samedi pour entendre les explications du Premier ministre, mais le débat s’avère d’ores et déjà houleux. Le chef de groupe N-VA à la Chambre, Peter De Roover, déclarait en début d’après-midi : « C’est une bonne chose naturellement, je me réjouis de voir un homme retrouver la liberté. Voilà pour le côté humain des choses, si vous voulez. Mais pour ce qui concerne le droit, la politique, c’est une autre histoire. On peut considérer aujourd’hui qu’Olivier Vandecasteele a été la victime du traité belgo-iranien sur le transfert de condamnés, dans la mesure où l’Iran a compris qu’il lui fallait un otage pour libérer le diplomate Assadollah Assadi, détenu en Belgique depuis 2018, terroriste reconnu. A Téhéran, on a compris que pour cela, il fallait qu’un échange avec un Belge soit possible. La Cour constitutionnelle avait estimé que les victimes d’Assadollah Assadi devaient pouvoir faire valoir les droits devant la Justice avant que, en toute hypothèse, celui-ci soit un jour libéré. Qu’en est-il ? On n’a pas du tout tenu compte de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. De la part du gouvernement fédéral, c’est déplorable. Au Parlement fédéral, le député Wouter De Vriendt (Groen), avait demandé explicitement que l’institution soit tenue au courant, informée à propos des négociations, voire associée d’une certaine façon. Je constate qu’il n’en a rien été. Moi-même, j’ai interpellé nos autorités fédérales au Parlement, je n’ai pas eu de retour. Là encore, c’est déplorable à mon sens ».

Bref, le cas humanitaire est réglé, et c’est tant mieux. Mais le dossier va désormais passer sur le plan politique et sans doute judiciaire, le CNRI entendant faire entendre sa voix dans les tribunaux.

BELGA

Des représentations ont lieu lors d’une action de soutien à Olivier Vandecasteele, emprisonné en Iran, le samedi 22 avril 2023 à Tournai. (BELGA PHOTO)

Téhéran se réjouit

A Téhéran, le ministre des Affaires étrangères, de son côté,  déclarait à 13h15 : « Assadollah Assadi, diplomate innocent de notre pays, qui a été détenu illégalement en Allemagne et en Belgique pendant plus de deux ans en violation du droit international, est maintenant sur le chemin du retour vers son pays ».

Olivier Vandecasteele a été la victime du traité belgo-iranien sur le transfert de condamnés, dans la mesure où l’Iran a compris qu’il lui fallait un otage pour libérer le diplomate Assadollah Assadi, terroriste reconnu.

La famille et les amis d’Olivier Vandecasteele ont toutes les raisons de se réjouir. Il en va de même, mais pour de toutes autres raisons, pour le régime des mollahs. Mais la leçon à tirer de l’épilogue de toute cette affaire, c’est que le terrorisme, la prise d’otages et le chantage fonctionnent. Et ça, ce n’est pas une bonne nouvelle. D’une part, des dizaines d’Européens et de doubles-nationaux sont toujours détenus en Iran sous des prétextes fallacieux, d’autre part, le régime sait que, demain, si de nouveaux problèmes se présentent, il lui suffira de prendre d’autres otages pour obtenir gain de cause.

La libération d’Assadi, loin de rendre le monde plus sûr, fait courir des risques supplémentaires aux Belges et aux Européens en général.

Hugues Krasner