PREISDENTIELLES EN TURQUIE

Recep Tayyip Erdogan, le nouvel et éternel Sultan de Turquie, réélu pour 5 ans de plus

A Istanbul, les partisans du président turc Recep Tayyip Erdogan agitent des drapeaux et célèbrent la victoire de leur candidat au second tour des élections présidentielles le 28 mai 2023. AFP

Pas de chant du cygne pour le nouveau président turc. Avec 52,1% des votes en sa faveur, l’ancien président Recep Tayyip Erdogan vient de sauver sa place et se voit confier par le peuple turc, son troisième mandat à la tête de la Turquie. En tête dans près de 50 régions sur 80, il dépasse son rival de 2,5 millions de voix. Franchissant la barre symbolique des 20 ans de règne, il est aussi le dernier des mohicans islamistes à diriger un pays musulman dans l’après Printemps arabes en étant réélu triomphalement. Son charisme, sa personnalité, sa ténacité, sa capacité à construire des alliances et à promouvoir nationalisme et tradition compensent son bilan économique et sa gestion critiquée des tremblements de terre.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan est un « warrior » que tous les médias occidentaux donnaient perdant depuis des semaines. Pourtant, le leader du parti AKP a déjoué les pronostics en battant l’une des coalitions d’opposants les plus importantes de l’histoire contemporaine du pays dirigé par Kemal Kiliçdaroglu, laïc et progressiste. Au vu de son âge, ce dernier devrait disparaître dans les limbes de l’histoire après son échec de ce dimanche soir 28 mai pour détrôner le Raïs. Six partis s’étaient pourtant ralliés derrière l’ancien fonctionnaire de 74 ans, mais rien n’y a fait. Erdogan est un loup habile, qui a su, dans les derniers mètres, convaincre les derniers nationalistes de tout poil à le rejoindre, à commencer par l’ultra-nationaliste Sinan Ogan, le candidat arrivé troisième au premier tour.

Depuis plusieurs jours, ce ralliement de dernière minute avait largement rassuré les soutiens indécrottables d’Erdogan, lui assurant une large avance, alors que Kiriçdaroglu n’avait pas manqué de donner de la voie nationaliste, assez artificielle de sa part, pour l’attirer dans sa nasse. Rien n’aura fait : la Turquie repart pour un tour AKPiste pour au moins cinq ans.

Affrontement de deux mondes

Cette élection était cruciale, car deux mondes s’affrontaient pour construire la Turquie de demain et d’après-demain : un Erdogan, connu comme le loup blanc, connu à l’international, tribun hors-pair, chantre de l’islam traditionnel, du pan-ottomanisme, de la défiance à l’égard de l’Occident ; face à un Kiriçdaroglu, modeste, fade, laïc, inconnu au bataillon des chancelleries internationales, et pourtant pro-occidental empressé d’aller se rabibocher avec les Etats-Unis et l’Europe. Ce sera pour plus tard.

Certes, le bilan d’Erdogan était sur le gril comme jamais, mais il n’a pas pour autant dissuadé ses électeurs. Il s’en défendait habilement en se vantant d’avoir replacé la Turquie au cœur de tous les enjeux mondiaux, moyen-orientaux et nord-africains. Par une politique tous azimuts d’influence et d’ingérence, il avait aussi pris le risque de se fâcher avec tous ses voisins ou presque depuis dix ans, avant d’entamer, depuis un an, une mue et une opération de reconquête, parvenant à se réconcilier avec Israël, l’Égypte, et à se rapprocher récemment de Bachar-al-Assad. Depuis quelques jours, on nous annonçait d’ailleurs le retour de plusieurs millions de réfugiés syriens installés en Turquie dans leur pays, ce qui était une des promesses d’Erdogan. Ce n’est pas un hasard.

Bilan mitigé sur le plan national

Certes, le bilan était plus problématique au niveau national : la gestion du tremblement de terre qui avait révélé la corruption locale et l’incapacité des autorités locales à faire appliquer la loi pour moderniser des habitations devenues dangereuses dans tout le sud du pays au cœur d’une région sismique ; une crise économique qui n’a fait que s’aggraver avec une inflation historique depuis des mois ; une dérive de plus en plus autoritaire que dénonçaient les fans de Kiliçdaroglu.

Chiite, de la minorité alévi, Kiliçdaroglu tranchait net avec le ton d’Erdogan et de ses partisans qui ont toujours marginalisé et discriminé la communauté dont il est issu. La coalition qui s’était formée autour de lui avec six partis, allant de la droite nationaliste aux Kurdes, jusqu’à la gauche, constituait l’un des pires dangers qu’Erdogan ait eu à affronter en vingt ans de pouvoir. Le Sultan a vaincu. Pour les 100 ans de la République turque, à laquelle tenait tant Erdogan, c’était une fameuse épine dans son pied que de voir son principal opposant revendiquer l’héritage kémaliste encore plus fort que lui pour triompher. Tout le contraire : pour les cent ans du Kémalisme, c’est l’Erdoganisme qui a gagné et tout ce que cela sous-tend.

Par Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques et expert en géopolitique