OPINION

Légaliser l’espionnage des journalistes : la liberté de la presse à l’ère de la République Populaire de l’Union Européenne 

AFP

Comme l’on révélé conjointement le DailyMail et le The Guardian dont les articles du 22 juin 2023 sont restés relativement inaperçus en Belgique, l’Union Européenne projette aujourd’hui de légaliser l’installation de spywares (logiciels espions, ndlr) sur les téléphones des journalistes afin de découvrir leurs sources dans des cas présumés d’atteintes aux intérêts de l’État. Or, les sources des journalistes sont censées être protégées par le secret et différentes législations nationales et internationales. Il ne s’agit pas d’un projet de loi de la République Populaire de Chine, mais bien un projet de texte législatif des Institutions Européennes qui semblent perdre toute notion de la recherche du bien commun et du respect des droits humains, au demeurant garantis tant par la Constitution belge que par la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE.

Une incompatibilité manifeste avec la Charte de Munich qui prévoit en son article 5 que les journalistes ont le devoir de « Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ». Il ne suffira donc plus d’utiliser une application cryptée pour protéger le contenu d’une communication entre source et journaliste, car de tels spywares ont la capacité de piloter les téléphones à distance, d’en activer les micros et caméras ou encore de faire la capture vidéo de l’écran en permanence. Bref, le pire des mondes pourtant décrit par l’ancien agent de renseignement de la NSA, Edward Snowden, il y a 10 ans, mais cette fois, avec un outil mis directement dans les mains de la Police et du Politique. Politique qui est libre de définir ce qui porte, selon lui, atteinte ou non aux intérêts de l’État.

Manifestation des avocats présentée comme une menace terroriste

Rappelez-vous les révélations du journaliste Eric Steffens de la VRT, le 4 décembre 2021, portant sur un rapport de l’OCAM (le centre fédéral de connaissance et d’expertise qui évalue la menace terroriste et extrémiste en Belgique) dans lequel l’organisme qualifiait des associations notamment de juristes, faisant usage de leur droit légitime de manifestation et d’association, comme une menace potentiellement terroriste mettant en péril les intérêts de l’État belge. Une nette dérive des autorités qui est d’autant plus évidente aujourd’hui que le collectif Notre Bon Droit a obtenu gain de cause devant les tribunaux wallon depuis lors, notamment en avril 2023 sur le caractère arbitraire du Covid Safe Ticket. Rappelant que jusqu’à ce jour, l’OCAM s’oppose toujours à la transparence administrative empêchant ainsi de constater ou non la faute qui serait commise par ses responsables.

L’OCAM avait considéré qu’une manifestation de juristes était une menace terroriste mettant en péril les intérêts de l’État belge.

Que disent les droits fondamentaux à l’égard de la presse et du droit à l’information ? Dans la Constitution Belge, l’article 25 prévoit notamment que « La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie; … ». Difficile de considérer qu’un journaliste pourrait rester libre et ne serait pas soumis à l’auto-censure dès lors que l’État aurait la capacité « légale » de s’immiscer dans ses conversations professionnelles avec ses sources et de manière déloyale. Le concept de menace pour les intérêts de l’État ne reposant que sur des éléments de suspicion arbitrairement définis, dès lors on voit mal comment la censure pourrait ne jamais être établie.

Pas d’ingérence publique dans la liberté de presse

A cet égard, on peut se réjouir de l’excellente formulation présente à l’Art. 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE), cette dernière ayant, pour mémoire, valeur de traité et, selon l’avis de la plupart des juges, valeur constitutionnelle. Cet article concatène plusieurs notions qui sont naturellement intriquées telles que la liberté d’expression, la liberté d’information qui, ensemble, engendrent naturellement la liberté de la presse. Il prévoit que « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières ». L’élément capital étant précisément l’absence d’ingérence des autorités publiques dans l’échange d’information entre presse et citoyens.

La notion de liberté étant diamétralement opposée à la celle de surveillance électronique par l’État, il est difficile de trouver une justification à ce comportement politique déviant qui relève de la délinquance

Ce même article prévoit également que « la liberté des médias et leur pluralisme sont respectés ». La notion de liberté étant diamétralement opposée à la celle de surveillance électronique par l’État, il est difficile de trouver une justification à ce comportement politique déviant qui est de l’ordre de la délinquance au sens du droit pénal belge, en particulier l’Art. 151 qui traite des atteintes arbitrairement aux droits et libertés commises par des fonctionnaires et dépositaires de l’autorité publique. Les Institutions qui sont ostensiblement défaillantes dans leurs missions de service public, semblent se détourner de ce qui constitue l’essentiel de leur mandat pour se concentrer sur des dérives autoritaires lésionnaires de l’intérêt général et contraires à la volonté de la population.

Quand l’Europe est son propre fossoyeur

Cette annonce n’est pas sans rappeler le projet d’Emmanuel Macron de recourir à l’activation à distance des micro, caméra et géolocalisation des smartphones des individus suspectés par la Police d’être coupables d’infractions pénales visée par une peine de prison supérieure à 10 ans. Faisant ainsi fi de la présomption d’innocence et pouvant porter atteinte aux droits fondamentaux de manière illégitime et disproportionnée, ne cherchant à aucun moment à conformer l’action publique à la recherche de la voie la moins attentatoire aux droits humains. Par exemple, de telles dispositions permettraient de violer le secret professionnel des avocats.

C’est par ce type de projets et décisions irresponsables et contraires à nos valeurs communes, devenus de plus en plus fréquents ces dernières années, que les Institution Européennes engendrent, elles-mêmes, un sentiment anti-européen.

C’est par ce type de projets et décisions irresponsables et contraires à nos valeurs communes, devenus de plus en plus fréquents ces dernières années, que les Institution Européennes engendrent, elles-mêmes, un sentiment anti-européen. Les institutions deviennent auto-génératrices des effets qu’elles dénoncent comme étant des causes. Une forme évidente de déni de réalité. Ce n’est pas le populisme qui émerge ex nihilo, ce sont les institutions qui perdent l’adhésion populaire à force de ne rien construire de concret pour le citoyen, de faire jaillir des scandales de mal-administration et de corruption, et enfin de se détourner de la recherche de l’intérêt général de la population. Cette perte de crédibilité publique est le préalable dangereux à la fin des Institutions Européennes.

Violence vis-à-vis des politiques

Espérant que la tentative de suicide politique pourra être arrêtée à temps. Il est aujourd’hui impératif de mobiliser les journalistes, les militants des droits de l’homme, les politiques encore soucieux des fondamentaux de la démocratie, les associations, mais aussi la population dans le but de faire obstacle à ces graves dérives qui sont incompatibles avec notre ordre juridique et démocratique. Les politiques porteurs de ce genre de projets devraient garder à l’esprit que ces droits fondamentaux qu’ils entendent bafouer de manière déraisonnée et inconsciente, garantissent également l’interdiction de la tenue de tribunaux populaires ou encore de la peine de mort.

Priver le citoyen de ses droits en lui enlevant également toute possibilité de recours juridique n’aura qu’une seule finalité comme échappatoire, celle d’engendrer la violence vis-à-vis des politiques et fonctionnaires. Cela n’est souhaitable, ni pour le citoyen, ni pour les autorités publiques. Renvoyant ces décideurs un peu trop audacieux au vieil adage paysan : « pour vivre, il faut laisser vivre » qui garde tout son sens et sa sagesse.

Frédéric Baldan
Lobbyiste européen spécialiste des relations entre l’Union Européenne et la Chine,
Auteur de la première plainte pénale contre la Présidente de la Commission Européenne entre autres pour corruption dans le cadre du SMSGate