L’Europe, l’immigration et l’apathie des populations occidentales
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Journaliste – Rédacteur en chef.
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Après avoir tenu le haut de l’actualité pendant des jours, le drame de l’immigration semble être aujourd’hui un fait divers banal qui n’émeut pas grand-monde. On en viendrait à se convaincre que la situation s’est améliorée depuis le choc émotionnel provoqué, en 2015, par l’image d’Aylan Kurdi, le petit garçon syrien de 3 ans, dont le corps sans vie et celui de son frère Galip (5 ans) ont échoué sur une plage de la station balnéaire de Bodrum en Turquie. Le souvenir du cadavre d’Aylan, vêtu d’un tee-shirt rouge et d’un short bleu, face contre terre est encore présent dans les mémoires. Il y a 8 ans, la mobilisation était telle que des engagements avaient été pris par les responsables politiques pour que de tels drames ne puissent se reproduire.
Et pourtant huit ans plus tard, rien n’a tellement changé. Pas une semaine ne passe sans que les médias européens ne rapportent le naufrage d’une embarcation ou le sauvetage d’une autre aux larges des côtes européennes avec son lot de victimes, des adultes, des adolescents et souvent des enfants. Aujourd’hui, ces drames ne suscitent plus tellement d’émotion. Une certaine apathie semble s’être emparée des consciences. Or, malgré les murs de la non-solidarité et les barricades que dressent certains pays européens, espérant ainsi se protéger, ils n’arrivent pas à fermer le robinet de l’immigration clandestine. Le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union européenne, mais il continue à attirer les migrants qui risquent leur vie à la recherche d’un meilleur quotidien outre-Manche. Ce samedi 12 août, au moins six Afghans d’une trentaine d’années sont morts noyés en tentant la traversée avec un bateau qui a fait naufrage.
Ces drames ne font que confirmer une tendance : une augmentation des départs vers l’Europe quel que soit le risque encouru, avec des migrants venant notamment de l’Afrique subsaharienne en passant par la Libye ou la Tunisie.
Dans le même temps, d’autres drames de l’immigration se jouent ailleurs sur d’autres mers. Début août, des agences des Nations unies (HCR, Unicef, OIM) ont déploré un « terrible naufrage survenu entre le jeudi 3 et le vendredi 4 août en Méditerranée ». Le bateau transportait 45 migrants et était parti jeudi matin de Sfax en Tunisie avant de couler quelques heures plus tard dans le canal de Sicile. Seulement quatre rescapés, trois hommes et une femme originaires de Côte d’Ivoire et de Guinée ont été retrouvés. Le samedi 12 août, six exilés afghans sont décédés à la suite du naufrage de leur fragile embarcation en tentant de gagner l’Angleterre.
Ces drames ne font que confirmer une tendance : une augmentation des départs vers l’Europe quel que soit le risque encouru, avec des migrants venant notamment de l’Afrique subsaharienne en passant par la Libye ou la Tunisie. D’après Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), plus de 128.700 migrants sont arrivées sur les côtes européennes dont plus de 98.000 sur les côtes italiennes au départ de l’Afrique du Nord selon le décompte entre 1er janvier et le 13 août 2023. C’est plus du double par rapport à la même période en 2022 sur les côtes italiennes. L’Organisation a dénombré 2.175 morts ou disparus. Ces chiffres et ces drames de l’immigration ne semblent émouvoir outre mesure les populations occidentales. Et pour cause. Elles sont préoccupées par leurs problèmes quotidiens. L’inflation galopante qui réduit le pouvoir d’achat des citoyens ; les factures d’énergie qui font du yoyo, de même que les prix des carburants ; le chômage et la précarité qui menace certaines couches sociales de la population. Préoccupées par leurs propres soucis et leurs inquiétudes, les populations n’auraient pas le temps, ni l’énergie de s’intéresser au triste sort des migrants. Et parfois, c’est l’effet inverse tournant autour du rejet qui se produit quand certains responsables politiques dépeignent l’étranger comme la source des problèmes des nationaux.
La Commission européenne déploie des efforts pour éloigner l’immigration de ses frontières au risque de pactiser avec des régimes dictatoriaux et en fermant les yeux sur les sévices et les violations des droits humains qui y sont constatés.
Par ailleurs, la Commission européenne déploie des efforts pour éloigner l’immigration de ses frontières au risque de pactiser avec des régimes dictatoriaux et en fermant les yeux sur les sévices et les violations des droits humains qui y sont constatés. L’exécutif européen a signé un accord avec la Tunisie du président Kaïs Saïed, visant notamment à contenir les migrants hors des frontières de l’Union. Un budget de 105 millions d’euros a d’ailleurs été dégagé par l’Europe pour aider la Tunisie et deux organisations de l’Onu (OIM, HCR) à remplir cette dernière mission. En effet, l’argent servira notamment à l’acquisition de bateaux patrouilleurs, de véhicules, de radars et de drones pour surveiller les frontières tunisiennes et d’aider les autorités du pays à refouler les migrants depuis la Tunisie vers leur pays d’origine.
Or, le président Saïed a instauré un régime autoritaire et autocratique, réprimant violemment les manifestations de la société civile et muselant l’opposition. Par ailleurs, ce dernier n’a pas hésité à tenir, en février dernier, un discours raciste et xénophobe digne des extrêmes droites européennes affirmant que des « hordes de migrants illégaux » viennent des pays subsahariens dans le cadre d’un « plan criminel visant à modifier la composition du paysage démographique de la Tunisie ». Kaïs Saïed soutenait d’ailleurs que ces migrants venus d’Afrique subsahariens sont les auteurs de « violences, de crimes et de pratiques inacceptables ».
Le président Saïed a instauré un régime autoritaire et autocratique, réprimant violemment les manifestations de la société civile et muselant l’opposition.
Au lieu de s’attaquer aux causes du jettent les migrants sur le chemin de l’exil, l’exécutif européen apporte son concours à un régime qui les criminalise. Or, il n’y a qu’une façon de contrer l’immigration clandestine : contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations notamment en Afrique et veiller à ce que les régimes consacrent des budgets nécessaires à cet objectif. A défaut, non seulement, rien ne dissuadera les candidats à se jeter sur le chemin de l’exil avec les drames à déplorer, mais on sera confronté à des coups d’Etat militaires qui auront le soutien des populations locales.