MOBILISATION CONTRE LE NOUVEAU JDD

Littérature : des écrivains refusent de figurer dans le « Journal du dimanche »

AFP

Après avoir pris langue avec l’ancienne direction d’écrire une nouvelle inédite (sur six pages) à paraître dans le supplément mensuel, « JDD Magazine », de nombreux écrivains ont refusé d’honorer cet engagement avec l’arrivée de Geoffroy Lejeune à la direction du « Journal du dimanche (JDD) ». On retrouve parmi ces opposants Camille Laurens (membre de l’Académie Goncourt), Arthur Dreyfus, Nina Bouraoui, David Foenkinos ou encore Violette d’Urso. Laurent Binet, qui avait accordé une interview à l’ancienne équipe de rédaction avant l’arrivée de Lejeune à l’occasion de la sortie de son nouveau livre, « Perspective(s) », a demandé de la retirer. « J’avais donné l’interview dans des conditions différentes. Ce n’était pas la même équipe. Je voulais aussi attendre et voir ce que cela donnait. J’ai vu les deux premiers numéros du JDD parus sous la direction de Geoffroy Lejeune, je n’ai pas été déçu ! Je me suis dit que ce n’était pas plus mal que je retire ma participation ». Le week-end dernier, le « JDD » est sorti avec la Belge Amélie Nothomb en « Une » pour la sortie de son livre « Psychopompe ». Les écrivains-opposants vont se retrouver dans un dilemme. Car le groupe Vivendi, passé dans le giron de Bolloré, contrôle une télé (Canal+), une radio (Europe 1) et une société d’édition musicale (Universal), assure la production et le financement de nombreux films français et est propriétaire, entre autres, de l’Olympia, la mythique salle de spectacles à Paris…

C’était peut-être pas inquiétant, mais assurément étonnant. Pas la moindre querelle, pas le moindre scandale pour cette rentrée littéraire d’été 2023 depuis le 16 aout dernier. Certes, et pour la première fois depuis quelques années, jamais le nombre de romans et récits francophones et étrangers publiés, de la mi-août à la fin octobre, n’a été aussi faible, avec 466 livres en librairie. Mais pas le moindre avis de tempête avec des romans signés Amélie Nothomb, Pascal Quignard ou encore Imogen Binnie. Et puis, une vague a arrosé, en fin de semaine passée, le microcosme parisiano-médiatico-littéraire. Une vague qui a fait du bruit, puisque de nombreux écrivains, pour l’essentiel français, s’en sont pris frontalement au « Journal du Dimanche », reparu début août après quarante jours de grève avec une nouvelle rédaction dirigée par Geoffroy Lejeune, sous la haute surveillance de l’industriel Vincent Bolloré.

Tous ont donc annoncé qu’il était hors de question de collaborer avec « Le JDD », version Bolloré-Lejeune.

Genèse de la polémique

Pour mémoire, le premier, Geoffroy Lejeune, a été licencié de son précédent poste à la direction de l’hebdomadaire « Valeurs actuelles » pour en avoir fait un soutien à Eric Zemmour et ne cache pas sa proximité avec l’extrême-droite française, et le second, Vincent Bolloré, milliardaire, est un « catho tradi » (catholique traditionnel) et proche de la droite extrême… Ce changement de couleur politique et idéologique du « JDD » a donc entraîné la réaction de nombre d’écrivains français, parmi lesquelles Camille Laurens (membre de l’Académie Goncourt) ou encore Arthur Dreyfus. L’info, toutefois, a été (volontairement ?) déformée, selon laquelle ces auteurs ne voulaient pas que leurs noms et livres soient évoqués dans les colonnes du quotidien dominical.

Des écrivains boudent le JDD version Lejeune-Bolloré

Sur les réseaux sociaux, ce fut l’emballement avec des commentaires du genre « pour qui se prennent-ils ». La réalité est grandement différente : si les auteurs reconnaissent que personne ne peut empêcher un journal, une télé ou une radio de rendre compte d’un livre, ils assurent aussi avoir le droit de ne pas accepter de rencontrer un journaliste pour une interview ou un portrait…

Autre précision : la polémique est née parce que nombre d’écrivains avaient été contactés par la direction qui précédait l’arrivée de Geoffroy Lejeune pour écrire une nouvelle inédite (sur six pages) à paraître dans le supplément mensuel, « JDD Magazine ». Avaient alors accepté Camille Laurens, Arthur Dreyfus, Nina Bouraoui, David Foenkinos ou encore Violette d’Urso. Tous ont donc annoncé qu’il était hors de question de collaborer avec « Le JDD », version Bolloré-Lejeune.

J’avais donné l’interview dans des conditions différentes. Ce n’était pas la même équipe.

De son côté, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre, « Perspective(s) », Laurent Binet avait accordé un long entretien, qu’il a demandé de retirer : « J’avais donné l’interview dans des conditions différentes. Ce n’était pas la même équipe. Je voulais aussi attendre et voir ce que cela donnait. J’ai vu les deux premiers numéros du JDD parus sous la direction de Geoffroy Lejeune, je n’ai pas été déçu ! Je me suis dit que ce n’était pas plus mal que je retire ma participation ».

La Belge Amélie Nothomb en « Une »

Dans le supplément de ce 10 septembre 2023, la « Une » est consacrée à Amélie Nothomb qui vient de publier « Psychopompe » et a accordé un entretien grand format, tandis que la nouvelle (sur six pages) a été écrite par Gilles Paris qui assure là, la promo de son nouvel et onzième roman, le très banal « Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan ».

Toutefois, Laurent Binet pointe la perversion du « système Bolloré » : « Depuis mes débuts, je suis édité chez Grasset, mais la situation risque d’être inextricable puisque le groupe Hachette-propriétaire de Grasset et d’autres maisons d’édition, vient de passer sous le contrôle de Vivendi, donc de Vincent Bolloré. La question se pose : vais-je devoir quitter Grasset » ? Pour mémoire, on rappellera que Vivendi contrôle un groupe télé (Canal+), une radio (Europe 1) et une société d’édition musicale (Universal), assure la production et le financement de nombreux films français et est propriétaire, entre autres, de l’Olympia, la mythique salle de spectacles à Paris…

Au « JDD », on est serein. On y explique que le journal ne sera pas en manque de signatures. Et de citer les amis de Geoffroy Lejeune, parmi lesquels quelques personnalités littéraires bien à droite comme Yann Moix ou encore Michel Houellebecq…

Serge Bressan (correspondant à Paris)