ATTENTATS TERRORISTES DE BRUXELLES

Procès des attentats à Bruxelles : aucune peine supplémentaire pour Abdeslam, 30 ans pour Abrini, 3 perpétuités

Ce dessin de Jonathan De Cesare montre l'accusé Mohamed Abrini, l'accusé Oussama Krayem et l'accusé Salah Abdeslam lors d'une séance concernant le jugement sur la peine au procès des attentats du 22 mars 2016, à la cour d'assises de Bruxelles-Capitale, vendredi 15 septembre. BELGA

Le verdict des attentats de Bruxelles a été rendu ce vendredi soir, 15 septembre, après cinq jours de délibérations des jurés et magistrats. Un verdict que certains qualifieront de « mesuré », mais que d’autres jugeront surprenant, voire insuffisant dans le cas particulier de Salah Abdeslam pour lequel aucune peine supplémentaire n’a été prononcée. Les parties civiles auront sans doute du mal à l’accepter.

Il aura donc fallu cinq jours au jury et à la cour d’assises réunis (contrairement à la délibération sur la culpabilité, les magistrats participent aux débats et aux votes sur les peines) pour parvenir à un verdict pour les huit prévenus reconnus coupables ou complices des attentats du 22 mars 2016 qui avaient fait 35 morts et 340 blessés à l’aéroport de Bruxelles National (Zaventem) et au métro Maelbeek.

Initialement, le bilan était de 32 morts, mais dans son premier jugement (portant sur la culpabilité), le tribunal avait décidé que trois personnes décédées dans les années qui ont suivi les attentats devaient être reconnues comme victimes : une femme qui avait survécu à l’aéroport est décédée par euthanasie en mai 2022 en raison de souffrances psychologiques, un homme s’est suicidé le 18 avril 2021 pour cause de stress post-traumatique et un homme est décédé d’un cancer le 28 octobre 2017, son traitement ayant été interrompu en raison des blessures qu’il avait subies dans l’attentat du métro.

Le 25 juillet dernier, Oussama Atar (jugé par défaut, car présumé mort en Syrie), Mohamed Abrini, Osama Krayem, Salah Abdeslam, Ali El Haddad Asufi et Bilal El Makhoukhi avaient été reconnus coupables d’assassinats et tentatives d’assassinats dans un contexte terroriste, ainsi que de participation aux activités d’un groupe terroriste. Pour Sofien Ayari et Hervé Bayingana Muhirwa, la participation aux activités d’un groupe terroriste avait été retenue.

Verdict « surprenant »

Lors du débat sur les peines, le 4 septembre, après un mois de pause, le parquet avait requis la perpétuité assortie de 15 ans de mise à disposition du tribunal d’application des peines (TAP), soit la peine maximale, pour les six co-auteurs des attentats et dix ans pour Hervé Bayingana Muhirwa (peine maximale, ici aussi). Concernant Sofien Ayari, le parquet, en revanche, ne requérait aucune peine. Pour rappel, Ayari avait déjà été condamné à 20 ans à l’issue du procès de la fusillade de la rue du Dries, peine identique à celle infligée à l’époque à Abdeslam. La mise à disposition du TAP signifie qu’à l’issue de la peine principale, c’est ce tribunal qui décidera si le condamné reste détenu ou est placé en liberté surveillée.

Par ailleurs, le parquet demandait la déchéance de nationalité pour les binationaux Oussama Atar, Mohammed Abrini et Ali El Haddad Asufi, Bilal El Makhoukhi, tous quatre Belgo-Marocains et pour Hervé Bayingana Muhirwa (Belgo-Rwandais).

Le prononcé du verdict, qui devait commencer à 18h, a débuté un peu après 20h par un rappel des faits reprochés à chacun, puis par un développement sur les demandes de déchéance de nationalité. La présidente Laurence Massart a ensuite résumé les arguments qui ont guidé les débats du « collège » (les jurés plus les magistrats) dans la détermination des peines.

AFP

Un membre de l’Organisation unie des victimes (au centre) s’entretient avec Delphine Paci (à droite avec des lunettes), avocate de l’extrémiste de l’État islamique Salah Abdeslam, avant de lire les peines du procès de huit hommes reconnus coupables de participation ou de complicité aux attentats de mars 2016, au Bâtiment Justitia à Bruxelles, le 15 septembre 2023. (Photo par JOHN THYS / POOL / AFP)

Comment le collège voit chaque accusé

Oussama Atar a persisté dans ses « projets mortifères » après les attentats de Paris et a « manipulé et endoctriné de nombreuses personnes, et notamment des membres de sa famille ».

Mohamed Abrini, est considéré comme « radical et extrêmement dangereux », mais a démontré sa « lâcheté » en fuyant l’aéroport de Bruxelles en y abandonnant sa bombe. Curieusement, le collège admet toutefois des circonstances atténuantes en raison de la peine sévère déjà écopée à Paris pour les attentats du 13 novembre (réclusion à perpétuité). Il sera mis à disposition du tribunal d’application des peines, mais n’est pas déchu de sa nationalité belge.

Pour Osama Krayem, qui a acheté les produits précurseurs, fabriqué des explosifs et amorcé la bombe de son camarade Khalid el-Bakraoui (mort au métro Maelbeek), aucune circonstance atténuante, en dépit de la peine prononcée à Paris (30 ans de réclusion).

Salah Abdeslam avait « totalement adhéré » à l’idéologie djihadiste et a agi en pleine connaissance de cause. Mais la cour retient qu’il n’a participé à aucun acte d’achat ou de fabrication d’explosifs et que, durant le procès, il aurait « pris conscience » du mal qu’il a fait aux victimes. Comme Abrini, il bénéficie de circonstances atténuantes en raison de la sévérité de la peine prononcée à Paris et le tribunal estime par ailleurs que les 20 ans infligés en 2018 pour la fusillade de la rue du Dries suffisent à le punir.

Même raisonnement du collège pour Sofien Ayari : les 20 ans prononcés pour la rue du Dries et les 30 ans de réclusion pour les attentats de Paris sont suffisants en raison de « l’unité d’intention » qui relie tous ces crimes.

Ali el-Haddad Asufi a été constamment loyal au groupe terroriste et lui a apporté une assistance « indispensable ». Mais il n’a pas participé aux achats de produits précurseurs, ni à la fabrication des bombes, n’est pas radicalisé et n’a pas d’antécédents judiciaires. La peine prononcée à Paris est, dans son cas également, retenue comme circonstance atténuante. Pas de déchéance de nationalité.

Bilal el-Makhoukhi, en refusant d’indiquer à qui il a remis les armes restantes après les attentats de Bruxelles a prouvé que chez lui, la loyauté au groupe terroriste passait avant toute autre considération. En conséquence, il ne bénéficie d’aucune circonstance atténuante et sera mis à la disposition du TAP à l’issue de sa peine mais la déchéance de nationalité n’est pas prononcée.

Hervé Bayingana-Muhirwa n’a « pas pris conscience de la gravité de ses actes », mais la déchéance de nationalité ne sera pas prononcée.

Des peines diverses

Après une heure et quart de lecture, les peines sont enfin prononcées : la perpétuité pour Atar ; même peine pour Krayem (avec 10 ans de mise à disposition) et el Makhoukhi ; 30 ans de réclusion et 5 ans de mise à disposition pour Abrini ; 20 ans pour el-Addad Asufi. Bayingana-Muhirwa, enfin, se voit condamné à 10 ans de réclusion.

Mais l’on retiendra surtout que Salah Abdeslam  et Sofien Ayari ne se voient infliger aucune peine supplémentaire aux 20 ans auxquels ils ont été condamnés pour la fusillade de la rue du Dries.

Le procès des attentats de Bruxelles est donc terminé, mais est susceptible d’un recours en cassation. Si les parties civiles seront sans doute satisfaites de la plupart des peines prononcées, il est probable qu’une certaine amertume et beaucoup d’incompréhension subsisteront pour ce qui est du sort de Salah Abdeslam.

Hugues Krasner