ELECTION SURPRISE EN ARGENTINE: ANALYSE

Victoire de Javier Milei en Argentine : l’extrême-droite au pouvoir pour la première fois de l’histoire 

Le candidat argentin à la présidentielle pour l'alliance La Libertad Avanza Javier Milei (à gauche) célèbre avec sa petite amie Fatima Florez après avoir remporté le second tour de l'élection présidentielle devant le siège de son parti à Buenos Aires le 19 novembre 2023. AFP

Un populiste chasse l’autre : quand l’un s’en est allé au Brésil, un autre arrive en Argentine. Et peut-être qu’un autre reviendra à la Maison Blanche l’année prochaine. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, parmi les premiers à avoir félicité Javier Milei, l’homme à la chevelure fournie un peu vintage, pour sa victoire à la présidentielle argentine organisée dimanche 19 novembre sont : Jaïr Bolsonaro, l’ancien président brésilien et l’ancien président américain et peut-être futur en 2024, Donald Trump. Le nouveau président argentin veut revenir aux fondamentaux du conservatisme : interdire l’avortement, libéraliser la vente d’armes, lutter contre la corruption de tout un système, privatiser à gogo, américanisation de l’économie. Milei n’a jamais caché sa sympathie et son admiration pour Donald Trump.

Avec près de 56% des suffrages, le candidat économiste et libertaire entre dorénavant dans le système, face à l’ancien ministre de l’Economie de gauche et opposant, Sergio Massa. C’est une large victoire alors que l’issue du scrutin fut tout sauf évidente jusqu’au dernier moment puisqu’on parlait encore, il y a quelques jours, d’un match très serré. Le 10 décembre prochain, c’est donc Milei qui prendra la tête d’un pays, en crise depuis des années, et succèdera au président Alberto Fernandez.

Décadence et reconstruction

Javier Milei a beaucoup vendu, notamment la reconstruction du pays et la fin de la décadence : dédollarisation de l’économie, lutte contre la corruption et les élites « parasites », désengagement de l’Etat. L’Argentine est le troisième pays le plus puissant d’Amérique latine, mais il souffre notamment avec une inflation record cette année de 143%, et une baisse constante des salaires ! Sous pression du FMI, Buenos Aires traverse une mauvaise passe et les Argentins avaient besoin de rêve et d’air. Milei relèvera-t-il le défi ?

L’Argentine est le troisième pays le plus puissant d’Amérique latine, mais il souffre notamment avec une inflation record cette année de 143%, et une baisse constante des salaires !

La gauche a eu son heure de gloire et son « revival », en Amérique du Sud, mais pas en Argentine. Elle s’était déjà bien essoufflée lors des législatives de 2021. En 2022, la réélection de Lula au Brésil et l’espoir suscité pouvaient laisser entrevoir de nouvelles victoires en Amérique latine. Mais c’est la droite qui résiste sur le sous-continent et reprend du poil de la bête : montée des extrêmes-droites, de l’évangélisme, des leaders charismatiques, etc. Certains pays cherchent un sauveur miraculeux. Bête de scène et de plateaux télé, Milei a su séduire les Argentins en se présentant comme tel.

Les raisons d’une victoire au départ improbable 

Comment en est-on arrivé là ? Le Président de centre-gauche, Alberto Fernandez, remettait son mandat en octobre prochain et avait annoncé en avril dernier qu’il ne se représenterait pas, laissant l’incertitude planer sur le futur de la nation argentine. Du côté de la gauche, Sergio Massa, l’actuel ministre de l’Economie de centre-gauche allait tenter de ressusciter … la gauche !

Mais Fernandez, Président depuis 2019, savait qu’il devrait s’effacer face à deux figures montantes de la coalition d’opposition : Horacio Larreta, 57 ans, maire (centre droit) de Buenos Aires depuis 2015, et Patricia Bullrich, 66 ans, la droitière ex-ministre de la sécurité du gouvernement Macri.

Mais c’était sans compter sur un outsider, hors-système, le candidat libertaire et ultra-libéral, Javier Milei. Il avait créé en quelques semaines la surprise lors des élections du 13 août dernier qui visaient à désigner les futurs candidats de l’élection présidentielle. Se désignant lui-même comme un « anarcho-capitaliste » (il cultive l’art de l’oxymore semble-t-il), il était finalement arrivée en tête du scrutin avec 32 % des voix, devant Patricia Bullrich. Economiste et député à Buenos-Aires, avec un look d’Elvis Presley un peu éculé, Milei est jeune, 52 ans, plein d’énergie et de tchatche.

Fin des élites corrompues

L’ancienne présidente Christina Kirchner ne se représentant pas après sa condamnation à six ans de prison et l’impossibilité à vie d’exercer une fonction politique, c’est justement ce que Milei a vendu à ses électeurs pour espérer l’emporter : la fin des élites corrompues !

Face à un électorat désenchanté, lassé des candidats traditionnels de gauche et de droite qui ne semblent pas répondre à la crise historique économique que traverse le pays, dont une inflation incontrôlée, une dette colossale, une pauvreté qui touche presque la moitié des Argentins,  et une incertitude totale sur l’avenir.

Milei est une perle du chapelet populiste qui monte sur la planète depuis des années.

Milei est une perle du chapelet populiste qui monte sur la planète depuis des années. Il se présente comme le messie et ne semble pas très éloigné de certains crédos que l’on entend désormais régulièrement chez les populistes. Il veut refaire de l’Argentine, une puissance mondiale, comme elle le fut au début du XXe siècle.

Le teaser « Make Argentina Great again » devrait capter un large électorat qui n’en peut plus de la situation dans laquelle est plongé le pays. Dans le même temps, Milei veut revenir aux fondamentaux du conservatisme : interdire l’avortement, libéraliser la vente d’armes, lutter contre la corruption de tout un système, privatiser à gogo, américanisation de l’économie. Milei n’a jamais caché sa sympathie et son admiration pour Donald Trump. Des bébés Trump, il y en a encore de toute évidence des dizaines en gestation dans le monde et Javier Milei semble en être le dernier avatar.

Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm).