FRANCE: LE MINISTRE DE LA JUSTICE ECHAPPE A UNE CONDAMNATION

Prise illégale d’intérêt : le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti relaxé, malgré la matérialité des faits

Relaxé dans un dossier de prise illégale d'intérêt, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, quitte le palais de justice de Paris. Sans dire un mot, juste en levant les yeux au ciel. Comme pour remercier un être supérieur ? AFP

Après un procès qui a duré plusieurs jours, la Cour de justice de la République (CJR) a acquitté le Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti des faits de prise illégale d’intérêt dans une affaire qui l’opposait à quatre magistrats. La CJR a reconnu la matérialité des faits, mais a estimé que celui qui était surnommé Acquittator n’avait pas l’intention de commettre les faits qui lui sont reprochés. Après le verdict, il a quitté le palais de justice de Paris, sans dire un mot, pour se rendre rendu à son bureau. Son mandat de ministre est sauvé, même si l’opposition réclame sa démission.

En cet après-midi de ce 29 novembre 2023, tant à l’Elysée qu’à Matignon, on a poussé un ouf de soulagement. Quelques minutes plus tôt, l’info tombait : à l’issue d’un procès qui a duré neuf jours, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a été relaxé par la Cour de justice de la République (CJR), alors qu’il était soupçonné de prise illégale d’intérêt dans une affaire qui l’opposait, lui le Garde des Sceaux en exercice, à quatre magistrats. Sortant de la salle d’audience, « EDM », un des surnoms du ministre, a levé les yeux au ciel, n’a dit aucun mot, et a filé à son ministère de la Place Vendôme avant d’aller au Palais de l’Elysée où il a rencontré, pendant une heure et demie, le Président de la République, Emmanuel Macron.

C’est la victoire de la présomption d’innocence.

Rien n’a filtré de cette rencontre, juste un communiqué du palais présidentiel : « Le Président de la République n’a pas à commenter une décision de justice ». De son côté, la Première ministre, Elisabeth Borne, faisait savoir que justice a été rendue et que Eric Dupond-Moretti va poursuivre ses fonctions ministérielles.

Matérialité des faits établie, mais…

Le premier jour, le ministre Dupond-Moretti qui avait tenu à être présent tous les jours du procès avait assuré : « Ce procès est une infamie ». Et n’avait pas manqué de rappeler que les enquêtes sur les quatre magistrats avaient été initiées par sa prédécesseure à la Chancellerie, qu’il se trouve qu’il avait eu quelques « problèmes » avec ces-dits magistrats quand il était avocat et qu’il n’a pas stoppé la procédure sur les conseils de son administration.

La CJR, dans son délibéré, reconnaît la matérialité du délit d’initié, mais admet la non-intentionnalité d’Eric Dupond-Moretti, dont l’avocate, Me Jacqueline Laffont, a commenté : « C’est la victoire de la présomption d’innocence »…

Bon bulletin comme ministre

Donc, surnommé « Acquittator » lorsqu’il était avocat, Eric Dupond-Moretti demeure ministre de la Justice, lui qui, pour l’heure, est jugé plutôt bon dans l’exercice (entre autres, 8% de plus pour le budget de son ministère, 1 500 magistrats supplémentaires dans les quatre prochaines années) et qui, de cette épreuve, sort renforcé dans le gouvernement Borne dont il était déjà un poids lourd.

Pourquoi, lui le ministre des prisonniers, est-il conservé à son poste ?

Dans les couloirs de l’Elysée, on ne manque pas une occasion pour indiquer qu’« EDM » est particulièrement apprécié par Emmanuel Macron qui le considère, parmi les ministres et secrétaires d’Etat du Gouvernement Borne, comme son meilleur adversaire de l’extrême droite et du Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen.

L’opposition demande la démission d’« EDM »

La décision de la CJR à peine connue, sans surprise, par la voix d’un de ses députés, La France Insoumise (LFI, gauche radicale) a dénoncé « un bras d’honneur à la justice. Personne ne pourra croire qu’il n’est pas coupable » et demandé aussi la suppression de la CJR (avec son jury composé de trois magistrats et douze parlementaires) qui « est le symbole de l’entre-soi de ce monde politique ». Même son de cloche de l’autre côté de l’échiquier politique où le Rassemblement National (RN, extrême droite) appelle à la démission d’Eric Dupond-Moretti : « Pourquoi, lui le ministre des prisonniers, est-il conservé à son poste ? Avec lui, la situation de la justice en France s’est dégradée, elle protège le délinquant »…

Une évidence : quelle que fût la décision de la CJR, la relaxe d’Eric Dupond-Moretti va laisser des traces dans le monde politique. Mais aussi dans ce monde judiciaire où de nombreux (hauts) magistrats n’ont jamais accepté un avocat comme ministre de la Justice. Ce qui fait dire à un observateur avisé de la politique et de la justice : « Ça nous promet, dans les semaines et les mois à venir, de belles parties de manivelle ! »

Serge Bressan (correspondant à Paris)