DROGUE : GUERRE DES GANGS A BRUXELLES

A Bruxelles, la guerre est ouverte pour le contrôle des points de vente de stupéfiants

Les pompiers photographiés en train de nettoyer la place Jacques Franck à Saint-Gilles où une fusillade liée à un présumé trafic de drogue a eu lieu. BELGA

Quatre fusillades en 48 heures, 1 mort et trois blessés. Entre dimanche et mercredi, les quartiers de la Porte de Hal et des Marolles, à cheval sur ls communes de Saint-Gilles et de Bruxelles-ville ont pris un petit air de Chicago, cette semaine. En cause, le règlement de compte entre bandes pour le contrôle du trafic de stupéfiants dans l’hypercentre de la capitale européenne.

Jusqu’à très récemment, en Belgique, la guerre ouverte opposant les bandes de trafiquants de drogue pour la revente au détail se limitait, pour l’essentiel, à Anvers, ville considérée comme la principale porte d’entrée des cartels latino-américains de la cocaïne sur le continent. En 2021, 90 tonnes de cocaïne ont été saisies sur les bords de l’Escaut, le double des quantités interceptées en 1016 (110 tonnes saisies en 2022 et 116 tonnes en 2023).

D’après nos sources au parquet, les quatre affaires sont liées et résulteraient d’un conflit entre bandes pour contrôler la revente de drogue.

Puis, le 14 septembre 2023, vers une heure du matin, un homme était abattu de 17 balles de Kalachnikov, rue Wayez, à Anderlecht (ouest de la capitale). Une véritable exécution dans le plus pur style des « narcos », comme il s’en produit presque toutes les semaines à Marseille.

Cette semaine, les règlements de compte se sont déplacés vers le centre de Bruxelles.

Entre dimanche et mercredi, quatre fusillades, trois blessés, un mort

Premier incident, dimanche 11 février en fin de journée : des coups de feu claquent dans le quartier des Marolles, un étrange « mix » entre boutiques d’antiquaires et ruelles populaires, à l’ombre du Palais de Justice. Deux blessés graves. Deuxième épisode, mardi 13 février en début d’après-midi. Cette fois, c’est au square Jacques Franck, dans le bas de Saint-Gilles que l’on tire. Pas de victime, si ce n’est une femme légèrement blessée après avoir été renversée par la voiture des tireurs. Moins de douze heures plus tard, mercredi 14 février à 1h30 du matin, nouveaux coups de feu dans le même quartier : un blessé, connu pour des faits de violences et de « stups » sera interpellé non loin de là. Un peu plus de quatre heures s’écoulent et avant 6h du matin, un homme de 23 ans est tué au riot-gun à proximité de la Porte de Hal.

D’après nos sources au parquet, les quatre affaires sont liées et résulteraient d’un conflit entre bandes pour contrôler la revente de drogue (essentiellement de la cocaïne et du crack) dans le quartier.

En pleine journée, on peut y observer les « chouffeurs » (guetteurs) qui montent la garde, tranquillement installés sur des chaises pliantes.

Depuis quelques années, la zone a été complètement pourrie par le trafic. En pleine journée, on peut y observer les « chouffeurs » (guetteurs) qui montent la garde, tranquillement installés sur des chaises pliantes.  Pour le reste, c’est le spectacle habituel autour des points de deal : petits revendeurs prêts à la transaction y croisent des consommateurs dont certains (les adeptes du crack) ont des airs de zombies. Autour d’eux, toute une population laborieuse ou se débrouillant grâce à l’assistance tente de survivre.

Mais la came reste un très gros business qui rapporte gros. Entre les bandes, la lutte est féroce pour contrôler un trottoir, un parc ou un square qui devient une sorte de supermarché à ciel ouvert avant qu’une opération de police ne fasse se déplacer le phénomène de quelques rues.

7 morts et plus de 130 blessés depuis un an…

Depuis le début de 2023, une quinzaine de fusillades liées au trafic ont fait 7 morts et plus de 130 blessés dans l’agglomération. Ce n’est pas encore le Chicago des années 30, ni même le Marseille contemporain (quarante-huit morts en 2023 !), mais ça commence à devenir lourd. « Nous savons qu’il faut enrayer cette montée de la violence avant que les choses ne s’aggravent », nous dit un policier spécialisé. Après, il sera trop tard et la situation deviendra rapidement incontrôlable.

Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Depuis la pandémie, les saisies de cocaïne, entre autres mais pas seulement à Rotterdam et à Anvers ont explosé : « cela veut simplement dire qu’il y en a beaucoup plus qui passe. Le gros de cette avalanche de blanche alimente l’ensemble du marché européen, mais une partie non négligeable reste dans le royaume… » A Bruxelles, le gramme se revend autour de 50 euros, contre 70 à 80 en France.

Et il y a bien pire : le crack (un résidu de l’extraction de la cocaïne des feuilles de coca), lui, se revend aux alentours de 20 euros pour une petite boulette permettant de confectionner cinq doses.

Le crack, drogue de zombie

Si jusqu’à un certain point, un cocaïnomane peut conserver une vie sociale, il n’en va pas de même pour l’amateur de crack. Certains parlent d’une drogue « qui brule le cerveau » : l’effet est violent et nettement plus rapide que celui de la coke, mais aussi beaucoup plus court. Ce qui impose à celui qui en est accro de renouveler rapidement l’expérience. A moyen terme, il provoque une désocialisation, mais également des accès de paranoïa et de violence. Les Etats-Unis ont connu dans les années 80 une véritable « épidémie » de cette drogue du pauvre. A New York, elle s’est traduite par une très forte augmentation de la criminalité et a entraîné, chez les jeunes de 14 à 24 ans des communautés afro-américaines, un doublement du taux des homicides.

Le gros de cette avalanche de blanche alimente l’ensemble du marché européen, mais une partie non négligeable reste dans le royaume.

Incapable de travailler, le consommateur en est réduit à vivre de mendicité ou, le plus souvent, de petits larcins et d’agressions. Certains, pour se procurer quelques boulettes se transformeront en guetteurs ou en tueurs à gages au rabais. Prêts à tout et totalement désinhibés, ils fournissent une main-d’œuvre jetable rêvée à ceux qui contrôlent les réseaux.

Problème difficile à régler

La mauvaise nouvelle, c’est que le problème n’est pas prêt d’être réglé. « Casser » les bandes ne sert à rien : celles qui sont démantelées sont remplacées dans les 24 heures et tout reprend comme avant. Mais s’attaquer aux semi-grossistes et aux grossistes prend du temps et nécessite de disposer d’informateurs qui risquent leur vie. Pas facile à trouver. Quand à détruire le trafic à la source, on en est loin. Enfin, les crises que traverse le monde et l’accroissement de la pauvreté alimentent le flot des consommateurs. D’après l’ONUDC, l’office spécialisé des Nations-Unies contre la drogue et le crime, ils étaient environ 300 millions de « drogués » en 2021, soit une hausse de 23%.

L’ONUDC, l’office spécialisé des Nations-Unies contre la drogue et le crime, a comptabilisé environ 300 millions de « drogués » en 2021, soit une hausse de 23%.

Il est évidemment très difficile de disposer d’une évaluation précise du chiffre d’affaires généré par le trafic au niveau mondial, mais il est certainement de plusieurs centaines de milliards de dollars par an (ce qui le placerait en deuxième position des marchés, derrière les ventes d’armes, mais devant le pétrole). Dont environ 50% sont partagés dans les pays de consommation par les grossistes, les semi-grossistes et les dealers.

A Bruxelles comme ailleurs, la guerre de la drogue ne s’arrêtera pas demain.

Hugues Krasner