RAFAH DANS L'ATTENTE D'UNE ATTAQUE ISRAELIENNE

Opinion. Conflit israélo-palestinien : Rafah, y aller ou pas? Le dilemme (léger ou vital) de Netanyahou

Des Palestiniens passent devant des tas d'ordures dans une rue principale de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 février 2024, au milieu du conflit en cours entre Israël et le groupe militant Hamas. AFP

Les journalistes diraient que l’on est peut-être à un tournant de la guerre avec cette attente sans fin autour de Rafah à Gaza, afin de savoir si le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, va décider d’y aller ou pas pour en finir avec le Hamas. Après quatre mois de guerre, et aucun des objectifs de guerre initiaux atteints, la vraie question est de savoir s’il prendra le risque d’en finir alors que des civils sont massés comme jamais à la frontière égyptienne, sans échappatoire, et sans autre issue que cette attente avant tout interminable pour eux face à une mort assurée. Près de 1,3 million de Gazaouis ont fui le nord de Gaza depuis la riposte israélienne pour venger le pogrom du 7 octobre, mais aujourd’hui, il n’y a plus nulle part où aller pour fuir les bombardements israéliens. 

Le Hamas sait très bien ce qu’il a fait : attaquer et commettre le pire crime humain contre des Juifs depuis la Seconde guerre mondiale et savoir que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou n’aura pas d’autre choix que de s’engager dans une guerre qui frappera, au vu de la densité de population à Gaza, inévitablement des milliers de civils. On parle aujourd’hui de plus de 28 000 civils morts depuis le début (selon les chiffres du Hamas) et une montée croissante des critiques de la part de l’opinion internationale, mais également de la communauté internationale, qui s’agite tel un épouvantail sans aucun autre moyen de pression contre le premier ministre israélien. La dernière opération, considérée comme exceptionnelle et de grande ampleur, n’avait permis de libérer que deux otages. Les Israéliens accepteraient encore plus mal que des dizaines de jeunes de soldats de Tsahal périssent à Rafah.

Netanyahou cherche à étouffer la contestation qui le vise et à faire diversion en s’acharnant sur les Palestiniens.

Sentiment d’insécurité des Israéliens

Netanyahou ce n’est pas Israël, encore moins les Israéliens : ces derniers ont vécu un traumatisme irréparable du fait de décennies de colonisation et d’impossibilité d’un Etat palestinien. Le sentiment d’insécurité actuel est une réalité qu’il faut comprendre, surtout depuis l’Europe. Ils paient un prix lourd aujourd’hui, aussi de leurs choix politiques, mais cela ne les empêche pas d’être lucides : ils ont compris que « Bibi » était le principal artisan de leur malheur et ils ne sont plus prêts à passer l’éponge. Aujourd’hui, Netanyahou cherche à étouffer la contestation qui le vise et à faire diversion en s’acharnant sur les Palestiniens qui sont amenés à mourir. C’est aussi pour lui, le moyen de ne pas revenir face à la justice trop rapidement pour ses multiples affaires.

Alors bluffe-t-il en promettant d’en finir à Rafah, là où tout pourrait en effet s’achever pour les uns et pour les autres ? Cherche-t-il à faire pression sur l’Egypte pour que sa frontière vers le Sinaï cède ? Parachève-t-il l’idée de vider Gaza en poussant à ce qu’on exfiltre les Gazaouis en Egypte et/ou en Jordanie ? Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi n’a qu’une crainte : que le Hamas fasse sauter la barrière d’(in)sécurité au moment de l’assaut.

Détruire toute vie palestinienne

Mais Netanyahou, si l’on se place de son point de vue aussi compliqué soit-il, a-t-il le choix ? Non : sa coalition, pilotée indirectement par les partis extrémistes nationalistes religieux de la droite dure veulent en finir avec la menace gazaouie et détruire toute vie palestinienne dans le territoire à feu et à sang. Son bilan depuis le 7 octobre est catastrophique. L’antisémitisme explose dans le monde comme jamais et il n’est pas à même de garantir la vie des Juifs au sein même de ce foyer qui était censé être la forteresse imprenable. A y bien réfléchir, faire de Gaza, une zone neutre ne serait pas si absurde, si tant est qu’on soit prêt à rediscuter d’un Etat palestinien en Cisjordanie.

AFP

Des proches et des partisans des otages israéliens détenus à Gaza depuis les attaques du 7 octobre perpétrées par des militants du Hamas brandissent des pancartes et scandent des slogans appelant à leur libération alors qu’ils marchent vers la résidence du Premier ministre israélien à Jérusalem, le 19 février 2024. (Photo par AHMAD GHARABLI / AFP).

Mais les ministres israéliens Itamar Ben Gvir (Sécurité nationale) et Bezalel Smotrich (Finances et Défense), les thénardiers de la droite dure, entre autres, n’en veulent pas. Si la coalition se fissure, Netanyahou saute, et des élections seront convoquées. En plein état de guerre, ça la fiche mal, et Bibi sait surtout qu’il joue sa dernière carte politique.

Intérêt personnel de Netanyahou

Au fond, la politique erratique du Premier ministre israélien ne se fait en réalité qu’à son propre intérêt et pour sa survie politique. Il n’a cure en réalité de la sécurité des Israéliens et encore moins des otages. Oui, car qui en parle vraiment ? L’assaut final anéantirait deux choses : la possibilité de libérer l’ensemble des otages encore vivants, et la fin de négociations où toutes les parties qatarie, américaine et égyptienne, s’agitent en vain depuis des semaines pour décrocher un accord avant que « Bibi » ne finisse de basculer dans le côté obscur de la force à Rafah.

Benjamin Netanyahou hésite probablement, non par humanité, mais par pragmatisme, et il cherche un autre accord que celui qu’il a refusé dernièrement avec le Hamas.

C’est pour cela que tout traine : il hésite probablement, non par humanité, mais par pragmatisme, et il cherche un autre accord que celui qu’il a refusé dernièrement avec le Hamas. Il cherche à ménager sa majorité qui frétille d’enfin capturer les vrais dirigeants locaux du Hamas et d’en finir avec Gaza la maudite. De la mythologie pure en réalité, car qui peut croire encore qu’on parviendra à éradiquer complètement le Hamas physiquement et son idéologie mortifère ?  Récupérer les otages, à la limite, mais hors de question de libérer encore des Palestiniens, qui représenteront une nouvelle menace supplémentaire pour l’Etat hébreu. Il y en a déjà assez comme cela depuis l’embrasement régional depuis des semaines.

Il n’y a aucune solution optimale dans cette histoire : le destin d’un homme qui cherche avant tout à sauver sa peau et sa carrière avant de devenir le véritable fossoyeur du pays par son incurie, son égocentrisme et son jusqu-au boutisme militaire, dont aujourd’hui tout le monde sait, qu’il ne représente plus aucun espoir politique de parvenir à une paix proche entre les deux peuples. Mais qui d’autre ? C’est bien là que le bât blesse une fois encore.

Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS, associé au  CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm)