LA FOLLE PROGRESSION DE L'EXTREME DROITE EN FRANCE

Législatives anticipées : le Rassemblement national frôlerait la majorité à l’Assemblée selon un sondage secret

La présidente du groupe RN à l'Assemblée nationale Marine Le Pen (à gauche) et le président du RN, Jordan Bardella, lors du congrès de lancement de la campagne pour les élections européennes le 3 mars 2024 à Marseille. AFP

Au fil des semaines et moins de trois mois avant les élections européennes du 9 juin 2024, les sondages en France se suivent… et se ressemblent. Quel que soit l’institut qui sonde l’opinion, le résultat est toujours le même : le Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen et de Jordan Bardella arrive largement en tête, avec des scores plus ou moins à 30%, mais surtout une dizaine de points devant la majorité présidentielle dont la liste (Renaissance, Horizons et Modem) est menée par la députée européenne Valérie Hayer. Un autre sondage, secret celui-là et commandé par le parti Les Républicains (LR), portait sur d’éventuelles élections législatives anticipées si le Président de la République Emmanuel Macron venait à décider d’une dissolution de l’Assemblée Nationale où il ne peut compter que sur une majorité relative. Et là, la fuite des résultats (une moyenne de 278 députés – entre 243 et 305 sièges au total, contre 89 en 2022) de ce sondage secret a fait sauter de joie (c’est peu dire !) les responsables du RN, parti d’extrême droite comme vient de le confirmer le Conseil d’Etat, une terminologie que Le Pen et Bardella refusaient, obsédés qu’ils sont par leur quête d’honorabilité et comme tentent de le montrer les élus RN surnommés « les costumes-cravates » à l’Assemblée Nationale. Les amitiés encombrantes du RN ne semblent pas impacter sa progression.

Ah ! l’honorabilité… L’idée fixe de Marine Le Pen depuis qu’elle a repris le Front National longtemps présidé par son père Jean-Marie. Elle a souvent dit et répété que son père, c’était son père et qu’elle, c’est elle, en creux, ce qui voulait dire : notre parti a changé. Mais il y a un hic qui se résume en deux mots : amis encombrants. Et ce, à deux niveaux. Ainsi, en France, dans les instances dirigeantes ou parmi les conseillers (officiels ou de l’ombre), d’anciens « frontistes » du temps du père sont toujours là. Tout comme certains qui ont bataillé, dans les années 1970-1980, dans les rangs du GUD (Groupe Union Défense), d’Ordre Nouveau, et d’autres proches aujourd’hui de la mouvance d’ultra-droite… Voilà pour les amis en France.

Des relations « amicales » avec Moscou

A l’international, même si Marine Le Pen et Jordan Bardella s’en défendent, tous deux entretiennent de longue date des relations « amicales » avec le pouvoir de Moscou qui, lors de l’élection présidentielle française de 2017, avait accordé, par l’intermédiaire d’une banque écran, un prêt à la candidate du Front National d’alors.

En 2012, Marine Le Pen avait participé à Vienne (Autriche) à un bal à l’invitation du FPÖ (parti de la liberté autrichien) et y avait valsé avec le patron de l’extrême droite locale, Heinz-Christian Strache. En 2022, alors que la cheffe laissait entendre que le RN avait pris ses distances avec le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, aligné sur Moscou et qui a grandement inspiré le programme du RN, mais quelques jours plus tard, Jordan Bardella assistait à Budapest à une réunion de la CPAC (Conservative Political Action Conference) et assurait Orban de l’amitié du RN à son égard…

Parmi Les amis encombrants, voire infréquentables du RN, il y a le dossier AfD (Alternative pour l’Allemagne), le parti d’extrême droite qui, outre-Rhin, défend l’expulsion massive de personnes étrangères.

Si les deux responsables du RN « ne sentent pas trop » la Présidente du Conseil des ministres italien, Giorgia Meloni, jugée trop « européenne », ils entretiennent des relations très amicales avec Matteo Salvini, le vice-président du Conseil des ministres qui partage le même credo : ne pas sortir de l’Union européenne, oui, mais changer les choses de l’intérieur. Récemment, le même Bardella, président du RN et tête de liste du parti pour les prochaines européennes, a annoncé son soutien à Donald Trump pour l’élection présidentielle américaine de novembre prochain.

Proximité avec l’extrême droite allemande

Mais surtout, parmi ces amis encombrants, voire infréquentables pour nombre d’adversaires du RN, il y a le dossier AfD (Alternative für Deutschland-Alternative pour l’Allemagne), le parti d’extrême droite qui, outre-Rhin, a suscité une vague d’indignation après avoir défendu une expulsion massive de personnes étrangères décrite comme une « remigration ». Le 20 février dernier, la cheffe de l’AfD, Alice Weidel, envoyait un post sur X (ex-Twitter) à l’adresse de Marine Le Pen et de Jordan Bardella qu’elle venait de rencontrer : « Je vous remercie beaucoup pour l’accueil chaleureux que vous m’avez réservé ». Et d’ajouter, enthousiaste : « Nous avons abordé beaucoup de questions politiques et avons constaté que nous suivons les mêmes approches pour résoudre les grands problèmes d’aujourd’hui ».

Nous avons abordé beaucoup de questions politiques et avons constaté que nous suivons les mêmes approches pour résoudre les grands problèmes d’aujourd’hui. 

Cette rencontre, Le Pen et Bardella ne voulaient pas qu’elle soit évoquée publiquement, conscients que cette proximité avec l’AfD n’est pas du meilleur effet quand on revendique l’honorabilité auprès de son électorat. Le journaliste Frédéric Says, un des meilleurs spécialistes de l’extrême droite française, est catégorique. « Le RN a honte de ses proximités avec l’AfD. Ce qui explique qu’il n’y a eu ni communiqué, ni tweet du côté français, et qu’il a été difficile d’obtenir une confirmation factuelle que la rencontre a bien eu lieu. Ça va leur être opposé dans la campagne pour les européennes », dit-il.

De son côté, Benjamin Haddad (député Renaissance) a dénoncé « un petit rendez-vous en cachette entre l’extrême droite allemande et le RN… Manque de bol, l’Allemande tweete sur la rencontre avec Le Pen et Bardella pour se réjouir des convergences. Pourquoi le RN voulait-il la cacher ? »  Malgré cette gêne, le RN ne veut pas, ne peut pas prendre ses distances avec l’AfD : au Parlement européen, ils siègent dans le même groupe Identité et Démocratie (ID), fort de 63 membres. Le parti de Le Pen et Bardella y compte 18 sièges, celui d’Alice Weidel 10. Pour les prochaines européennes, les sondages créditent l’AfD de 23 à 25% d’intentions de vote. Et les deux partis français et allemand, avec leurs alliés qui ont le vent en poupe (dont les Néerlandais), de penser très fort à la constitution d’un grand groupe « nationaliste » pour la prochaine législature européenne…

Vraiment, au RN, le mot d’ordre en interne tient en une formule : cachez mes amis que je ne saurai voir…

Serge Bressan (correspondant à Paris)