RISQUE D'EMBRASEMENT AU MOYEN-ORIENT

Après l’attaque iranienne contre Israël, le monde retient son souffle

Une photo fournie par le ministère iranien de la Défense le 22 août 2023 montre le président iranien Ebrahim Raisi (à gauche) et le ministre de la Défense Mohammad Reza Gharaei Ashtiani lors de la cérémonie de dévoilement du nouveau drone « Mohajer 10 » à Téhéran. AFP

Dans la nuit de samedi 13 à dimanche 14 avril, l’Iran a lancé ses représailles contre Israël après l’attaque du consulat iranien à Damas qui avait tué deux chefs importants de la force « al-Quds » (les unités spéciales destinées aux opérations à l’étranger) des Gardiens de la Révolution et cinq officiers supérieurs qui les accompagnaient. Si l’attaque a été massive, ses résultats ont dû décevoir Téhéran : la majorité des drones et missiles ont été interceptés par le « Dôme de fer » ou par les chasses américaine et britannique et des moyens anti-aériens français. Les frappes ont donc fait peu de dégâts et une seule victime blessée : une jeune enfant (arabe). La question désormais est de savoir si Israël va riposter à son tour et quelle forme prendrait cette réponse.

On peut dire beaucoup de choses de l’offensive iranienne qui s’est déroulée dans la nuit de samedi à dimanche, mais pas qu’elle a surpris. Depuis que des avions israéliens avaient « tapé » le consulat iranien à Damas, le 1er avril dernier, chacun savait que la riposte iranienne était inéluctable.

Outre le fait que l’action israélienne visait directement un symbole de souveraineté nationale (une enceinte diplomatique), deux hauts responsables de la Force al-Quds, le général Mohammad Reza Zahedi et son adjoint, le général Mohammad Hadi Haji Rahimi avaient été tués, de même que cinq autres officiers d’al-Quds et un haut responsable du Hezbollah. Ces pertes étaient tout sauf symboliques : Zahedi était le responsable des relations entre Téhéran et le Hezbollah, mais également le Hamas et le Jihad de Palestine. En place depuis plus de vingt ans, il avait joué un rôle essentiel dans la montée en puissance de la milice chiite libanaise. Son élimination ne pouvait donc pas rester impunie.

La tension montait depuis des jours

Depuis quelques jours donc, la tension montait. Mercredi dernier, Lufthansa avait annoncé suspendre « pour vingt-quatre heures », ses dessertes vers et depuis Téhéran, mesure prolongée jeudi. Plusieurs compagnies aériennes lui avaient emboité le pas. Les choses s’étaient accélérées en fin de semaine : la France et d’autres Etats européens enjoignaient leurs ressortissants de ne pas se rendre dans la région et de quitter l’Iran s’ils venaient à s’y trouver. Les Américains mettaient en garde Téhéran contre toute action irréfléchie et plusieurs capitales arabes appelaient l’Iran à renoncer à l’escalade. Au même moment, une « fuite » venant de la Maison Blanche signalait que Joe Biden s’attendait à une action iranienne « durant le week-end ». Enfin, samedi 13 avril, Israël annonçait que les écoles seraient fermées et les activités parascolaires annulées à compter de dimanche (premier jour de travail dans l’Etat juif).

L’attaque en elle-même n’était pas une surprise. Du reste, les Iraniens avaient annoncé à plusieurs reprises qu’ils préparaient une riposte, mais que celle-ci toucherait des objectifs militaires et officiels mais « pas la population ».

Ce qui a pu étonner, en revanche, c’est l’ampleur de l’offensive et, surtout, le fait que le régime des mollahs l’assume ouvertement, ce qui n’est pas dans ses habitudes.

AFP

Des gens se rassemblent autour d’un bâtiment détruit visé par les frappes aériennes israéliennes sur le village de Nabi Sheet, dans le district de Baablbek, dans l’est de la vallée de la Bekaa, au Liban, le 14 avril 2024, alors que les tensions dans la région ont monté en flèche après que l’Iran a directement attaqué Israël. (Photo par AFP)

« Des drones ont été tirés et sont en route »

En fin de soirée, samedi, le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, annonçait enfin que des « tirs de drones » avaient été repérés et que ceux-ci étaient en route vers Israël. Pendant tout le reste de la soirée, les annonces se sont alors succédées et vers minuit, on avait une vision précise de l’attaque en cours : trois vagues successives de drones – tirées depuis le Yémen, l’Irak et l’Iran -, suivies de salves de plusieurs dizaines de roquettes envoyées par le Hezbollah depuis le Liban et enfin des missiles tirés, à nouveau, depuis l’Iran. « Nous surveillons la menace dans l’espace aérien », annonçait Tsahal tandis que le contre-amiral Hagari soulignait : « C’est une menace qui prendra plusieurs heures pour atteindre le territoire de l’État d’Israël ».

En réponse aux nombreux crimes commis par le régime sioniste, l’armée de la Force aérospatiale a tiré des dizaines de missiles sur des cibles spécifiques à l’intérieur des territoires occupés.

Du côté iranien, on jouait la transparence. La télévision d’Etat annonçait dans la nuit que le Corps des gardiens de la Révolution avait lancé une « vaste » attaque de « drones et de missiles » vers Israël : « En réponse aux nombreux crimes commis par le régime sioniste, notamment l’attaque contre la section consulaire de l’ambassade de la République islamique d’Iran à Damas et le martyr d’un groupe de commandants et conseillers militaires de notre pays en Syrie, l’armée de l’air de la Force aérospatiale du Corps des Gardiens de la révolution islamique a tiré des dizaines de missiles et de drones sur des cibles spécifiques à l’intérieur des territoires occupés ».

En tout – les chiffres restent encore contradictoires et imprécis – ce sont au moins 186 drones (mais peut-être entre 300 et 400) qui ont été envoyés, environ 150 missiles et au moins une centaine de roquettes tirées par le Hezbollah.

Un (presque) sans-faute pour la défense anti-aérienne israélienne

Les Israéliens avec lesquels nous avons pu échanger dans la nuit étaient calmes, faisant pleinement confiance au « Dôme de fer », ce système hypersophistiqué de défense anti-aérienne couplant radars de détection et batteries de missiles anti-missiles. Et ils ont eu raison. La défense anti-aérienne de l’Etat juif se compose en fait de trois « couches » : un système à courte portée (le « Dôme de fer » à proprement parler), une composante à moyenne portée (la « Fronde de David », avec ses missiles « Patriot » fournis par Washington) et enfin une capacité à longue portée, avec ses fusées « Arrow » (« Hetz » en hébreu) développées conjointement par Israël et les Etats-Unis.  Les dégâts causés par les drones et missiles ennemis qui ont pu échapper à la destruction et qui sont arrivés jusqu’au territoire israélien entre 2h et 5h (heures locales) sont minimes et l’on ne déplore qu’une blessée, une petite fille arabe.

Le « Dôme de fer » a fait merveille, entre autres au-dessus de Jérusalem, ainsi qu’en témoignent les images impressionnantes qui circulent et les fusées Hetz ont permis de détruire des missiles iraniens jusque dans l’espace.

Mais une partie importante des drones a été détruite au-dessus de la Syrie, de l’Irak et de la Jordanie, et non par les Israéliens, mais par les chasseurs américains (décollés des porte-avions présents sur zone) et britanniques (partis de Jordanie et de Chypre). Les forces françaises de Djibouti (Paris y entretient depuis des décennies une importante base abritant à la fois une force de la Légion étrangère et des capacités aériennes) ont également détruit un certain nombre d’objectifs au-dessus du Golfe Persique.

Le Royaume de Jordanie avait déclaré, plus tôt dans la soirée, que ses défenses aériennes étaient prêtes à intercepter et à abattre les drones ou avions iraniens qui violeraient son espace aérien (qui avait été fermé en début de soirée).

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Les proches d’Amina, sept ans, blessée par un projectile dans leur village bédouin non reconnu par les autorités israéliennes, sont assis devant l’hôpital Soroka où elle est soignée, à Beer Sheva, dans le sud d’Israël, le 14 avril 2024. (Photo par AHMAD GHARABLI / AFP)

« L’opération est terminée », annoncent les Iraniens…

En milieu de nuit, par le biais d’un communiqué émis par sa représentation permanente à l’ONU, l’Iran faisait avoir que « l’opération était terminée » et mettait en garde contre toute initiative israélienne, affirmant que plusieurs étapes de réponses étaient prêtes et que chacune serait plus forte que la précédente. Pour sa part, le ministre de la Défense, Mohammad Reza Ashtiani, déclarait à la télévision d’État que tout pays qui autoriserait l’utilisation de son espace aérien pour des attaques contre l’Iran deviendrait une cible légitime.

Jérusalem ne peut rester sans réaction, ce serait un signe de faiblesse extrêmement dangereux dans une région où la force dicte le droit.

Reste à savoir, maintenant, quelle sera la réponse Israélienne. Jérusalem ne peut rester sans réaction, ce serait un signe de faiblesse extrêmement dangereux dans une région où la force dicte le droit. Mais Tsahal pourrait ne frapper que les « proxys » de l’Iran : les Houthis du Yémen, les milices chiites d’Irak et, bien entendu, le Hezbollah au Liban. Cette réponse « limitée » pourrait ne pas entraîner d’escalade régionale. En revanche, si les Israéliens frappent l’Iran, escalade il y aura.

Washington n’attaquer pas Téhéran

Washington a déjà fait savoir que les forces américaines ne participeraient pas à une attaque contre Téhéran. Mais dans le même temps, les Etats-Unis assurent qu’ils continueront à assurer « la protection » d’Israël, quelle que soit la situation, ce qui pourrait être interprété comme : « nous (et les Britanniques) protégeront votre espace aérien, ce qui vous permet de disposer de toutes vos forces pour attaquer… »

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Une manifestation anti-iranienne a lieu devant l’ambassade iranienne à Londres le 14 avril 2024. (Photo par HENRY NICHOLLS / AFP)

A Jérusalem, donc, on pèse le pour et le contre : frapper l’Iran, c’est risquer d’embraser toute la région. Mais d’autre part, l’attaque de samedi soir offre à Jérusalem le prétexte attendu depuis des années pour détruire le programme nucléaire iranien et pour « punir » l’Etat-parrain du Hezbollah et du Hamas en éliminant sa capacité de nuisance. Ce qui permettrait peut-être, cerise sur le gâteau, à la rue iranienne de renverser le régime. La tentation doit être forte.

Une fois de plus, au Moyen-Orient, le compte-à-rebours est enclenché.

Hugues Krasner