L'EXTREME DROITE AUX PORTES DU POUVOIR EN FRANCE

France : Jordan Bardella ou l’itinéraire (fulgurante ?) d’un « cyborg »   

Adoubé par Marine Le Pen (à gauche sur la photo), cheffe de file du Rassemblement national à l'Assemblée nationale, Jordan Bardella (à droite sur la photo), se rêve en Premier ministre après le succès du parti aux élections européennes. AFP

Ses proches et quelques amis l’ont surnommé « le cyborg », cet humain greffé avec de la mécanique et de l’électronique. Grand et fin, amateur immodéré de selfies, il apparaît toujours en costume, chemise blanche, cravate et chaussures cirées. A 28 ans, Jordan Bardella a mené ce 9 juin 2024 la liste Rassemblement national (RN, extrême droite) à une très large victoire (31,4% des voix, contre 14,6% à la majorité présidentielle et 13,8% pour Place publique-Parti socialiste). Dans la soirée des résultats, il a demandé au Président de la République, Emmanuel Macron la dissolution de l’Assemblée nationale, ce que ce dernier a fait en convoquant de prochaines élections législatives les 30 juin et 7 juillet prochains. Député européen depuis 2019, Jordan Bardella est déjà annoncé au poste de Premier ministre après la victoire envisagée, voire prévisible de l’extrême droite au rendez-vous électoral de juin-juillet… Dans sa biographie non encore publié, l’homme prend des arrangements avec la vérité.

Ces derniers mois, le monde politico-français était ébloui par la précocité de Gabriel Attal, Premier ministre à 34 ans. Jordan Bardella est en passe de faire encore mieux. Et son ascension ne doit rien au hasard. Il y a la version offerte au public : grandi dans une famille de l’immigration à Saint-Denis dans le 9-3, le département le plus pauvre de France, enfance et adolescence avec sa mère dans une cité rongée par la misère et la drogue, fins de mois difficiles pour cette mère qui l’élève seule…

Bardella, ce n’est pas Cosette. Il y a une part de réalité dans ce qu’il décrit, mais c’est surtout l’histoire d’un divorce qui laisse sa mère dans la galère.

Engagé en politique à 19 ans comme attaché parlementaire, tout cela deviendra son fonds de commerce : « Voir ma mère finir le mois avec un seul billet de 10 euros sur la table, ça je connais… », écrit-il dans son autobiographie à paraître quand il aura trouvé un éditeur. Il ne manque pas de pointer également les manques de l’école publique, l’insécurité, cette ville de son enfance envahie par l’immigration… Une version qui s’offre quelques petits arrangements avec la vérité. En effet, Bardella a effectué sa scolarité dans l’enseignement privé ; la cité Gabriel-Péri où il a grandi a longtemps été présenté en exemple de cohabitation des différentes communautés ethniques ; s’il vivait la semaine avec sa mère Luisa (d’origine italienne), il passait un week-end sur deux avec son père Olivier, patron d’une entreprise d’appareils distributeurs de boissons et de confiseries qui habitait à Montmorency, ville cossue du Val d’Oise et qui l’emmenait en vacances d’été à Miami…

Un compte anonyme sur Twitter

« Bardella, ce n’est pas Cosette. Il y a une part de réalité dans ce qu’il décrit, mais c’est surtout l’histoire d’un divorce qui laisse sa mère dans la galère », confie un ex-haut dirigeant du RN. De son côté, son coach en communication glisse : « Les “10 euros sur la table à la fin du mois”, la peur de “mourir pour une cigarette”, vrai ou pas, c’est marquant… Tout ça a permis d’arrondir son côté très anguleux, d’humaniser le cyborg. Même s’il passait beaucoup de temps avec son père, l’exemple de la mère était très bon ». Docteur Jordan et Mister Bardella, en quelque sorte…

Politiquement, là aussi, il pratique les petits arrangements. Ne tient pas à ce qu’on évoque ces années en Première et Terminale au lycée où, hors temps scolaire, il consacrait quatre heures par semaine pour l’alphabétisation de migrants. Tout comme il n’osait pas avouer à sa mère et à ses camarades de classe qu’à 16 ans, il venait de prendre sa carte au Front National (qui deviendra le RN). Tout comme il assurera ne jamais eu de compte sur les réseaux sociaux alors que, pendant deux ans (2015-2017) sur Twitter, sous le pseudo RepNat du Gaito, il publiait, comme l’a révélé « Complément d’enquête » sur France 2 en janvier dernier, des messages racistes, homophobes ou insultants- exemple : « un journaliste est soit un chômeur, soit une pute ».

Peu assidu au Parlement européen

Au Parlement européen où il n’est pas réputé pour son assiduité (71 amendements déposés en cinq ans contre, par exemple, 3 700 pour Manon Aubry, co-présidente du groupe « La Gauche »), il n’a voté, entre autres, ni le soutien à l’Ukraine, ni les sanctions contre la Russie de Vladimir Poutine, ni un texte sur la PAC (politique agricole commune). Lors de son récent débat télévisé avec Gabriel Attal, il avait avoué : « Les textes, je ne les lis pas… ». En 2023, en visite à Budapest, il n’a pas mégoté l’admiration de son parti pour Viktor Orban, le leader hongrois réactionnaire et homophobe.

Marine le tient dans sa main. Et s’il lui prenait des envies, il n’y aurait pas cinq personnes pour le suivre.

Pris en main et formaté très tôt par Marine Le Pen, la « patronne » du RN qui l’a bombardé à la présidence du parti, il avance et ne laisse rien au hasard. Dans la vie quotidienne, il est le compagnon de Nolwenn Olivier, fille d’un haut dirigeant du parti et beau-frère de Marine Le Pen. Autant dire que Bardella est de la famille Le Pen ! Mais celle qui a déjà annoncé sa candidature pour la présidentielle de 2027 ne manque pas une occasion, en privé, qu’il lui doit tout. Et si, un jour devenu Premier ministre, il lui prenait des envies d’autonomie et de prise de pouvoir au RN, un dirigeant du parti d’extrême droite prévient : « Marine le tient dans sa main. Et s’il lui prenait des envies, il n’y aurait pas cinq personnes pour le suivre »…

Serge Bressan (correspondant à Paris)