CONFLIT EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

Bestine Kazadi : « l’Union européenne doit prendre une première sanction rapide contre le Rwanda et ses ambitions expansionnistes ! »

La ministre congolaise en charge de la Coopération internationale demande des sanctions contre le Rwanda et souhaite que la Belgique passe à l'action. D.R.

La ministre congolaise déléguée près le ministre des Affaires étrangères en charge de la Coopération internationale et de la Francophonie de la RDC, Bestine Kazadi, appelle l’UE à sanctionner de « hauts responsables politiques et militaires rwandais » en pleine escalade du conflit dans l’est du pays. Elle affirme qu’une « première sanction rapide est possible »” et que « chaque jour d’inaction se compte en vies humaines ». De passage à Paris pour une conférence de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), elle a accordé un entretien à L-Post le jeudi 13 février 2025. Elle annonce que la République démocratique du Congo (RDC) a introduit une demande d’enquête indépendante sur les faits et poursuivre les responsables des violations des droits de l’homme. Par ailleurs, la RDC a déposé une requête historique contre le Rwanda auprès de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pour violations des droits de l’homme en 2023 en Tanzanie. Elle demande à la Belgique de passer à l’action.

La ministre congolaise en charge de la Coopération internationale et de la Francophonie de RDC est inquiète face aux conséquences du conflit qui fait des victimes dans son pays. « La situation à l’est de la RDC est catastrophique. Plus de 7 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays, et depuis janvier, 500 000 de plus ont rejoint ce nombre. Il y a des millions de morts et de blessés. C’est un désastre humanitaire insupportable.

Plus de 7 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays, et depuis janvier, 500 000 de plus ont rejoint ce nombre.

Actuellement, il est difficile d’obtenir des chiffres précis, car les territoires occupés sont complètement isolés, sans couloir humanitaire. Cela prive la population de l’aide vitale : pas d’eau, pas de nourriture, pas de médicaments. C’est une situation intolérable. Cependant, au-delà du constat, il est important de comprendre la cause profonde de cette guerre, que je considère comme une guerre d’expansion ».

« Le discours du Rwanda n’est plus crédible »

Elle dénonce l’attitude du Rwanda qu’elle considère comme responsable ou co-responsable du conflit. « Le Rwanda, depuis plusieurs années, a utilisé un discours sur l’insécurité à ses frontières avec la RDC et la mémoire comme prétexte pour justifier ses actions. Mais ce discours n’est plus crédible. Cette guerre a deux axes : économique et territorial. Le Rwanda, un petit pays, cherche à agrandir son territoire pour sa survie. Ils tentent d’étendre leur influence sur le nord et le sud du Kivu, à l’est de la RDC », martèle Bestine Kazadi.

Elle dénonce les visées cachées du Rwanda. « Cette guerre est donc une lutte pour des ressources économiques, mais aussi une expansion territoriale. Si on ne comprend pas ces enjeux, il est difficile de trouver une solution au conflit ».

Cette guerre est donc une lutte pour des ressources économiques, mais aussi une expansion territoriale.

Bestine Kazadi détaille les actions entreprises par la République démocratique du Congo (RDC) pour contrer la situation de conflit qui lui est imposée. « Le gouvernement congolais, avec le président à sa tête, fait de grands efforts pour faire reconnaître et condamner ces violations des droits de l’homme. Des démarches diplomatiques ont été entreprises au Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi qu’au Conseil des droits de l’homme à Genève. Une demande d’enquête indépendante a été faite pour enquêter sur les faits et poursuivre les responsables de ces violations. En outre, la RDC a déposé une requête historique contre le Rwanda auprès de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pour violations des droits de l’homme en 2023 en Tanzanie ».

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Des personnes déplacées à l’intérieur du pays vaquent à leurs activités de jour au camp de Lushagala pour personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI) dans la ville de Goma, capitale et plus grande ville de la province du Nord-Kivu, dans la région orientale de la République démocratique du Congo, le 3 février 2025. (Photo par Tony KARUMBA / AFP).

Un signal fort de l’UE et une victoire pour la RDC

Alors que le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda a pris, fin janvier 2025 le contrôle de Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu, et progresse dans la région voisine du Sud-Kivu, Kinshasa réclame depuis des semaines des sanctions contre Kigali.

La communauté internationale s’est pour l’instant contentée d’appels à une désescalade et à un cessez-le-feu. Certains pays et l’ONU demandent également le retrait des troupes rwandaises de l’est de la RDC.

Je voudrais signaler que l’Union Européenne a marqué un signal fort, puisque le Parlement européen vient d’adopter une résolution de rappels pour acter l’agression rwandaise.

Bestine Kazadi salue la position adoptée par l’Union européenne. « D‘abord, je voudrais signaler que l’Union Européenne a marqué un signal fort, et d’ailleurs c’est une victoire pour nous, pour la République Démocratique du Congo, puisque le Parlement européen vient d’adopter une résolution de rappels pour acter l’agression rwandaise, acter cette guerre d’expansion, cette guerre d’agression sur le sol de la RDC et même appeler à des sanctions. C’est très important pour nous parce que c’est encore une victoire en plus, qui avait déjà été consacrée par le Conseil des droits de l’homme à Genève, et maintenant avec  l’Union Européenne, par cette résolution. C’est une preuve de la solidarité de certaines instances internationales avec la République démocratique du Congo, et de leur soutien ».

La ministre Kazadi se montre intransigeante à l’égard du mouvement rebelle M23 et rejette toute négociation avec ses dirigeants. D.R.

La Belgique doit passer à l’action

Le 25 janvier, l’Union européenne (UE) a brandi la menace de sanctions, affirmant qu’elle « examinera tous les outils à sa disposition ».

Plusieurs sources diplomatiques européennes ont confirmé ces derniers jours que des sanctions ciblées sont à l’étude. Mais il s’agit d’un processus lent et lourd, qui nécessite une adoption à l’unanimité du Conseil de l’UE et peut prendre « plusieurs semaines » selon l’une d’elles.

Plusieurs sanctions visant des responsables du M23 et deux officiers rwandais impliqués en RDC ont déjà été prises par le passé (gel des avoirs et interdiction de voyager), sans toutefois jamais cibler des officiels rwandais de haut rang.

La Belgique s’est distinguée au sein de l’Union Européenne en qualifiant le Rwanda de responsable de la guerre d’expansion, d’agression et de violation de l’intégrité territoriale de la RDC.

A propos du soutien de la Belgique à la RDC, la ministre a affirmé que « la Belgique s’est distinguée au sein de l’Union Européenne en qualifiant le Rwanda de responsable de la guerre d’expansion, d’agression et de violation de l’intégrité territoriale de la RDC. La Belgique a même évoqué la suspension de l’aide de coopération et des sanctions économiques contre les responsables rwandais. Nous apprécions le soutien de la Belgique, mais nous attendons davantage d’engagement. Il est crucial que l’Union Européenne, dans son ensemble, prenne des mesures concrètes, notamment en imposant des sanctions au niveau européen. Chaque pays européen a sa propre responsabilité, mais il faut aller au-delà des résolutions et passer à l’action ».

AFP

Cette combinaison d’images créée le 11 décembre 2024 montre le président rwandais Paul Kagame (à gauche) et le président de la République démocratique du Congo Félix Tshisekedi (à droite) participant à un panel lors de la réunion spéciale du Forum économique mondial à Riyad le 28 avril 2024. (Photo par Fayez Nureldine and Ludovic MARIN / AFP).

Mais c’est le Rwanda qui a mis fin à la coopération avec la Belgique. Parmi les autres mesures possibles figure la suspension du partenariat UE-Rwanda sur les matières premières critiques signé en 2024 et décrié par Kinshasa. La RDC accuse le Rwanda de vouloir faire main basse sur les ressources minières de l’Est congolais, ce que Kigali dément.

Autre possibilité : revoir le soutien financier européen pour le déploiement de l’armée rwandaise dans la lutte anti-djihadiste au Mozambique, au titre duquel Kigali a déjà reçu 43 millions d’euros, ou encore les aides au développement que versent plusieurs pays européens au Rwanda.

Une prise de position forte de la RDC au sein de l’OIF

Bestine Kazadi a également participé à une commission politique de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) il y a quelques jours. Elle en dit plus.

« La mission de cette commission est de suivre l’évolution politique et sécuritaire dans les pays membres de la Francophonie, comme le Liban, le Gabon, et bien sûr la RDC. Elle vise à promouvoir la paix, la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme. Lors de la réunion du 12 février, nous avons évoqué la guerre d’agression menée par le Rwanda contre la RDC. Tous les pays étaient attentifs aux actions diplomatiques de la RDC. La RDC a pris l’initiative de demander une minute de silence pour honorer les victimes de cette guerre injuste, qui a été observé par l’ensemble des représentants des pays membres de l’organisation », explique la ministre en charge de la Coopération internationale et de la Francophonie.

Lors de la réunion du 12 février, nous avons évoqué la guerre d’agression menée par le Rwanda contre la RDC.

Elle assure que la RDC a aussi « dénoncé les conséquences humanitaires tragiques de cette guerre et la mission d’information décidée lors du dernier sommet des chefs d’État à Paris. Cette mission avait pour objectif de collecter des témoignages et des faits sur le conflit à l’est de la RDC, et devait avoir lieu du 23 au 27 février. L’OIF doit prendre conscience des graves violations commises dans l’Est et imposer des sanctions contre le Rwanda pour cette occupation illégitime qui piétine ses valeurs de la Francophonie ! ».

Transition énergétique : pour un partenariat gagnant-gagnant

La transition énergétique mondiale repose sur des minerais stratégiques dont regorge la RDC. Le gouvernement veille-t-il à ce que cette demande accrue ne se fasse pas au détriment des droits humains et de l’environnement ?

« La transition énergétique mondiale ne pourra pas se faire sans la République démocratique du Congo. La RDC possède des ressources cruciales, abritant notamment le 2e plus grand massif forestier du monde, qui absorbe plus de 1,5 milliard de tonnes de CO2 par an. De plus, la RDC possède plus de 50% des réserves d’eau et 23% des ressources hydriques renouvelables du continent africain, et 10% du potentiel mondial en eau douce, ainsi que de vastes tourbières qui absorbent naturellement le CO2 », observe Bestine Kazadi.

La transition énergétique mondiale ne pourra pas se faire sans la République démocratique du Congo. La RDC possède des ressources cruciales.

Ces éléments font donc de son pays un partenaire qui doit compter dans le combat pour préserver l’environnement et qu’il faut donc soutenir. « Ces atouts montrent l’importance de la RDC pour la transition énergétique mondiale. Il est donc impératif d’établir des partenariats gagnant-gagnant entre les pays du Nord et du Sud. En ce qui concerne les minerais stratégiques, nous les vendons actuellement à court terme, ce qui génère des dividendes pour notre économie », souligne-t-elle.

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Vue générale de l’hôpital CBCA Virunga à Goma le 3 février 2025. (Photo par Michel Lunanga / AFP)

« Cependant, pour accélérer notre développement, nous devons également transformer ces minerais localement. Nous n’avons même pas d’électricité suffisante en RDC, et cela freine notre développement. C’est pourquoi nous avons besoin de partenariats avec des pays européens pour profiter de leur technologie et de leur savoir-faire.

Nous souhaitons installer des usines locales pour transformer nos minerais en produits finis. Cela permettrait de créer des emplois pour notre jeunesse.

Nous souhaitons installer des usines locales pour transformer nos minerais en produits finis. Cela permettrait de créer des emplois pour notre jeunesse, qui représente près de 60 % de la population, et de réduire le chômage. En créant une véritable chaîne de valeur locale, nous pourrions ainsi accélérer notre économie tout en préservant l’environnement et les droits humains. A long terme, cela contribuerait à un développement durable en RDC et à la solidarité pour la transition énergétique mondiale. Sans les pays du Sud, les pays du Nord risquent de se retrouver sans oxygène dans dix ans. Il est donc crucial de soutenir cette solidarité mondiale », poursuit-elle

A la question de savoir si la voie de la négociation est possible pour mettre fin à la guerre, Bestine Kazadi est catégorique. « J’aimerais rappeler que la RDC est un pays souverain. Nous n’accepterons jamais de négocier avec des groupes armés comme le M23, qui sont responsables de violences et d’atteintes aux droits humains. Comme l’a dit le Président Félix Antoine Tshisekedi : Jamais, jamais aucun dialogue avec le M23 », conclut-elle.

Entretien : Alexander Seale (à Londres)