L’industrie européenne sacrifiée sur l’autel de la concurrence et de la mondialisation débridées
Journaliste – Rédacteur en chef.
Economiste en chef à la direction générale de la Concurrence, le bras antitrust de la Commission européenne, le Liégeois Pierre Régibeau, depuis peu à la retraite, était inconnu du public jusqu’à l’éclatement de la polémique sur la nomination de son successeur. En effet, la Commissaire européenne à la Concurrence, la Danoise Margrethe Vestager, avait jeté son dévolu sura Fiona Scott Morton, une enseignante américaine de Yale qui avait conseillé des entreprises comme Microsoft, Apple, Amazon ou encore Pfizer. La décision de la vice-présidente de l’exécutif communautaire, soutenue par la présidente, l’Allemande Ursula von der Leyen, avait suscité (à juste titre), une vive contestation menée par la France, notamment en raison des conflits d’intérêts que cette nomination allaient générer et le fait d’avoir nommé une Américaine à un poste aussi stratégique pour l’Europe.
Le message envoyé aux citoyens européens par la nomination de l’Américaine était des plus désastreux dans la mesure où elle renforçait la fâcheuse impression que l’Europe était devenue une entité vassale des USA. Elle faisait aussi un pied de nez aux économistes européens, car elle donnait l’impression qu’il était impossible d’en trouver un(e) dans les 27 Etats membres capables d’assumer la fonction. Finalement, la mobilisation a payé et l’intéressée a fini par renoncer à la fonction.
Les fonctionnaires européens vivent dans une tour d’ivoire et sont à l’origine de mesures et de décisions déconnectées de la réalité des citoyens européens.
Ce fâcheux épisode est à peine clôturé que Pierre Régibeau, le Liégeois dont la fonction a été propulsée à la Une de l’actualité médiatique européenne, décide d’accorder sa première interview de « jeune » retraité à nos confrères de l’Echo. Et de fustiger la position du président français, Emmanuel Macron et du Commissaire européen au marché intérieur, le Français, Thierry Breton, lesquels ont pris le lead de l’opposition à la nomination de l’Américaine Fiona Scott Morton. Il n’a vu chez le Premier qu’un calcul électoral et chez le second, une volonté de nuire à sa collègue, Margrethe Vestager. Dans un premier temps, on peut comprendre que le Liégeois défende cette dernière qui n’est autre que son ancienne cheffe. Mais son analyse confirme un des reproches adressés aux fonctionnaires européens : celui de vivre dans une tour d’ivoire et d’être à l’origine de mesures et de décisions déconnectées de la réalité des citoyens européens. Comment ne pas comprendre que la nomination d’une Américaine, aussi compétente soit-elle, comme économiste en chef dans une administration européenne aussi importante que la DG Concurrence allait susciter de l’incompréhension, de la révolte, voire du rejet ?
Mais c’est la vision économique développée par Pierre Régibeau qui interpelle et qui confirme le reproche adressé aux Eurocrates. Et ce n’est ni plus, ni moins qu’une vision ultra libérale sacrifiant l’économie européenne, les travailleurs européens et l’industrie européenne sur l’autel de concurrence et de la mondialisation débridées. Il défend certes l’exception aux règles encadrant les aides d’Etat en temps de crise, mais il considère que ce corset qui limite fortement l’action des Etats membres en faveur des entreprises fait partie du modèle européen. En défendant ces règles en matière d’aides d’Etat, il confirme son aveuglément, car ses règles en vigueur depuis de nombreuses années ont plutôt fait du tort à l’économie européenne et aux entreprises.
Par sa conception, l’ex-économiste en chef de la DG Concurrence confirme être un partisan de la théorie des avantages comparatifs prônée par l’économiste et philosophe britannique, David Ricardo.
Nulle part dans le reste du monde, de telles dispositions ne sont appliquées. Au contraire. Les pays asiatiques, avec la Chine en tête, ceux du Golfe (Arabie saoudite, Qatar, Emirats arabes unis, etc.) ou encore les USA n’ont jamais cessé de soutenir leurs entreprises, les mettant ainsi dans une position concurrence déloyale par rapport à leurs homologues européennes. En interdisant les aides d’Etat, l’Europe a (délibérément ?) fragilisé ses entreprises. Le secteur aérien et la sidérurgie sont des exemples concrets de cette politique déstabilisatrice.
« Si l’industrie lourde doit disparaître, qu’il en soit ainsi », confie en substance Pierre Régibeau à nos confrères de l’Echo. Quel cynisme ! Quel manque de considération pour les travailleurs qui pourraient perdre leurs emplois ! Par sa conception, le Liégeois confirme être un partisan de la théorie des avantages comparatifs prônée par l’économiste et philosophe britannique, David Ricardo. Pour ce dernier, un pays doit plutôt privilégier la production des biens pour lesquels son avantage comparatif est plus élevé, soit ceux dont les coûts relatifs sont moins élevés, et délaisser les autres biens à d’autres pays. Quelle erreur ? Car avec cette conception, on risque de délaisser des pans entiers de l’économie à d’autres pays en renforçant au passage notre dépendance vis-à-vis de ces derniers. On a vu les dégâts de cette conception avec la crise du Covid-19, même s’ils ont eu le mérite de remettre à l’agenda les stratégies de réindustrialisation en Europe.
L’Europe ferait mieux de soutenir ses entreprises et ses entrepreneurs, l’innovation dans tous les secteurs si possible et ne pas se lancer des calculs économiques à courte vue.
D’après Pierre Régibeau, imposer des droits de douane sur les importations et des normes écologiques permettrait de sauver l’économie européenne. Il oublie qu’une telle politique permettra juste de gérer les conséquences. Les dégâts à l’environnement seront bien présents, la dépendance sera renforcée et on déplorera un chômage élevé. L’Europe ferait mieux de soutenir ses entreprises et ses entrepreneurs, l’innovation dans tous les secteurs si possible et ne pas se lancer des calculs économiques à courte vue qui engendreront des conséquences qui finiront par être impayables. C’est ça le modèle européen qui permettra de redonner confiance à ses citoyens, de les inspirer et de les amener à se réapproprier le projet européen.