Les justiciables bruxellois, otages d’un calcul communautaire au CSJ
Journaliste – Rédacteur en chef.
Appelé à départager deux candidats qui concourent pour occuper la fonction de Procureur général de Bruxelles, le Conseil supérieur de la justice (CSJ) n’a pu arrêter sa décision mercredi 12 octobre. La raison de l’absence de choix ne réside pas dans l’absence de qualité des projets, ni de la compétence des candidats qui s’affrontent. Car Frédéric Van Leeuw, Procureur fédéral du parquet fédéral de Belgique sortant et Paul Dhayer, président du tribunal francophone de l’entreprise, les deux candidats en lice sont des magistrats de haut vol avec des états de services exemplaires dans leurs missions précédentes. Non, la raison du blocage est tout simplement ailleurs. Pour un calcul bassement communautaire, les membres néerlandophones de la Commission de nomination et de désignation réunie (CNDR) ont refusé toute présentation d’un candidat à la nomination protestant inutilement ainsi contre le maintien d’une présidente francophone à la présidence de la Cour d’appel de Bruxelles.
En préférant jouer à de petits jeux communautaires malsains, les membres néerlandophones de la CNDR ont tout simplement sapé le lien de confiance que la justice a recommencé à retisser avec les citoyens après l’affaire Dutroux
Ce faisant, les membres néerlandophones de la Commission de nomination et de désignation réunie ont non seulement foulé aux pieds l’une des missions du CSJ qui vise justement à soustraire l’appareil judiciaire de toute considération politique et communautaire en confiant le choix des magistrats à des postes de responsabilités à un organe neutre. Mais ils viennent surtout de plomber l’image non seulement du CSJ, mais aussi, celle du pouvoir judiciaire qui est sorti affaibli par ses manquements après l’affaire Dutroux en 1996. En préférant jouer à de petits jeux communautaires malsains, les membres néerlandophones de la CNDR ont tout simplement sapé le lien de confiance que la justice a recommencé à retisser avec les citoyens depuis lors. Ils ont aussi oublié que Bruxelles est le plus grand parquet du pays avec un rayonnement international.
Quel mépris pour les justiciables bruxellois qui se retrouvent pris en otage par des magistrats qui n’ont pas compris que leur mission dépasse les considérations politiques et communautaires. En effet, Bruxelles n’a plus de Procureur du Roi attitré depuis le départ de Jean-Marc Meilleur qui a officiellement quitté son poste en avril 2021. C’est son adjoint, Tim De Wolf, qui assure l’intérim, mais il est candidat à un autre poste de magistrat ailleurs. Le blocage actuel pour le poste de Procureur général de Bruxelles profite aux Flamands puisque c’est un Néerlandophone, Johan Delmulle, en partance qui assure l’intérim… Mais c’est aussi leurs collègues francophones du CSJ que les « magistrats communautaires » ont pris en otage. Dans le chef des magistrats candidats, on imagine la frustration après avoir préparé minutieusement leur préparation, la présenter et puis s’entendre dire qu’aucun des deux ne sera présenté pour d’obscures raisons communautaires !
Par leur attitude, les Néerlandophones de la CNDR ont sciemment apporté de l’eau au moulin de ceux qui, dans le nord du pays, prônent la défédéralisation de la justice.
Les membres néerlandophones de la Commission de nomination et de désignation réunie ont créé un précédent en bloquant le CSJ dans son bon fonctionnement. Et le mal qu’ils ont fait dépasse le cadre de Bruxelles. Car en agissant ainsi, ils ont sciemment apporté de l’eau au moulin de ceux qui, dans le nord du pays, prônent la défédéralisation de la justice.
C’est ici que l’absence de réaction des responsables politiques, en particulier les dirigeants francophones, est assez interpellante. Car la Flandre demande de régionaliser la justice. Elle est d’ailleurs prête, notamment en ayant déjà une ministre régionale de la Justice en la personne de Zuhal Demir (N-VA). Et probablement une administration déjà prête. Par ailleurs, les palais de justice en Flandre ont été rénovés par des budgets fédéraux… Et si la régionalisation de la justice est validée, on aura une justice à deux vitesses dans un pays, grand comme un confetti.Heureusement que le ridicule ne tue pas. Les Francophones se retrouvent, ici encore, dans un manque d’anticipation et une flagrante impréparation. Ce qui n’augure rien de bon pour les futures négociations après les élections du 9 juin 2024…