STOP OU ENCORE POUR LA MARQUE BABYKID ?

Babykid sollicite une nouvelle prolongation de la PRJ, mais le dossier suscite des interrogations

Le tribunal de l'entreprise de Liège, division de Namur, a prononcé ce mardi après-midi la faillite de l'enseigne de vente d'articles pour bébé, Babykid. D.R.

Le tribunal de l’entreprise de Liège, division de Namur examinera ce mardi 1er octobre la Procédure de réorganisation judiciaire (PRJ) dont bénéficie la chaîne de magasins de vente d’articles pour les bébés depuis le 2 avril 2024. Selon nos informations, les dirigeants demandent une nouvelle prolongation d’au moins 3 mois. Le patron, Joseph Bodart, nous a confié déployer des efforts pour assurer la survie de la société, mais de nombreux documents dont nous avons eu connaissance révèlent des manquements dans le chef de la direction. Des administrateurs avaient tiré la sonnette d’alarme dénonçant le manque de rigueur dans la conduite des affaires de l’entreprise. A titre d’exemple, la direction a oublié de résilier le bail d’un magasin à Ath, alors que celui-ci était fermé depuis 3 ans. Même situation pour un magasin à Jemappes que les administrateurs avaient décidé de fermer, en raison de l’absence de rentabilité, mais la décision n’a pas été appliquée. Résultat des courses, Babykid a payé des loyers pour rien. Des administrateurs ont également découvert que des royalties pour l’utilisation de la marque Babykid en Chine (Hong Kong) étaient payées sur le compte de la société de management de Joseph Bodart depuis au moins 5 ans, alors qu’elles étaient destinées à l’enseigne d’articles de puériculture. Le directeur général de Babykid conteste les accusations portées à son encontre et dit avoir tous les éléments pour démontrer qu’il est droit dans ses bottes. La passivité des outils publics de financement (Wallonie Entreprendre, Namur Invest) dans le dossier interpelle. 

Que s’est-il passé pour que l’enseigne de vente d’articles pour bébé soit aujourd’hui en difficultés et lutte pour éviter la faillite ? Le tribunal de l’entreprise de Namur statuera ce mardi 1er octobre 2024 sur la poursuite ou la fin de la Procédure de réorganisation judiciaire (PRJ) par accord collectif dont bénéficie la maison-mère BBK Expansion depuis 6 mois. Selon nos informations, ses dirigeants ont fait une demande de prolongation du sursis pour au moins trois mois supplémentaires, avec l’intention d’éviter la fin de l’aventure. « On s’active pour une fin heureuse. La situation est compliquée non seulement pour nous, mais aussi pour tous les acteurs du secteur. On se bat avec des partenaires pour pérenniser l’activité », nous a répondu laconiquement le directeur général, Joseph Bodart.

Déception d’un ancien actionnaire

Mais des éléments dont nous avons eu connaissance indiquent que BBK aurait échappé à cette traversée du désert éreintante pour les équipes si le directeur général avait appliqué toutes les décisions prises par le conseil d’administration. Contactés par nos soins, tous les acteurs du dossier sont avares en commentaires.

La situation est compliquée non seulement pour nous, mais aussi pour tous les acteurs du secteur. On se bat avec des partenaires pour pérenniser l’activité.

C’est le cas de Nicolas Pourbaix, fondateur de l’agence de marketing digital, E-Net, et qui a participé un temps à l’aventure BBK. Il n’a pas souhaité trop commenter le dossier. Il se dit simplement déçu par la situation, estimant que les magasins BabyKid avaient toutes les clés en mains pour réussir. « Je suis triste pour les collaborateurs », nous a-t-il confié, soulignant le dévouement et le courage des équipes, notamment durant la crise du Covid-19 jusqu’à son retrait de l’actionnariat en 2022, et leur adresse toute sa reconnaissance.

Dissensions entre actionnaires ?

L’homme préfère tourner la page de Babykid, mais selon nos informations, lorsqu’il était actionnaire de la marque, Nicolas Pourbaix n’aurait pas ménagé ses efforts pour la développer, mettant même l’expertise de son agence au service de Babykid. Il se serait finalement retiré, alors que l’entreprise lui doit des milliers d’euros de créances impayées. De son côté, Joseph Bodart invoque plutôt « des dissensions entre actionnaires » pour expliquer le départ de Nicolas Pourbaix en 2022. « Vous pensez que les institutions publiques m’auraient suivi si j’avais été un mauvais gestionnaire ? », nous a rétorqué le directeur général de BBK.

Mais d’autres acteurs du dossier ne partagent pas l’interprétation du patron de Babykid. « Il a fait de la rétention d’informations empêchant ainsi de mettre en place les décisions nécessaires. C’est un beau parleur qui sait embobiner ses interlocuteurs, mais il a manqué de rigueur dans la conduite des affaires de l’entreprise », se désole un ancien partenaire préférant garder l’anonymat.

Manquements dans le chef du directeur général

Il faut dire que de nombreux éléments du dossier dont nous avons eu connaissance indiquent que des administrateurs ont tenté d’insuffler une nouvelle dynamique stratégique pour développer Babykid (stratégie omnicanale alliant l’e-commerce et la livraison dans les magasins physiques). Celle-ci a fonctionné permettant à l’enseigne de stabiliser son chiffre d’affaires en 2020 (il n’a chuté que de -0,29% en 2020 par rapport à 2019) alors que la crise du Covid-19 sévissait et que les magasins étaient fermés. En 2021, il aurait augmenté (en tenant compte du contexte Covid-19) de 14%.

Le suivi RH est catastrophique. Les dossiers stratégiques n’avancent toujours pas. Les équipes sont tellement essoufflées.

Mais déjà en 2021, des administrateurs tiraient la sonnette d’alarme sur les manquements du directeur général, Joseph Bodart. « Le suivi RH est catastrophique. Les dossiers stratégiques n’avancent toujours pas. Les équipes sont tellement essoufflées. Les magasins doivent fermer les matins par manque de personnel », dénonce un administrateur dans un document qu’un vent favorable nous a apporté. L’enseigne qui était bénéficiaire en 2019 (plus de 420.000 euros) et en 2020 (plus de 460.000 euros) affiche un profit d’environ 157.000 euros en 2021. En 2022, c’est plutôt une perte d’environ -833.000 euros que Babykid enregistre. Il a fallu puiser 637.500 euros dans capitaux propres pour éponger une grande partie de la perte afin de ramener le résultat net à reporter à -32.375 euros.

Royalties payées directement à Joseph Bodart

Entre-temps, les administrateurs découvrent que BBK payait des loyers (environ 10.000 euros par mois) pour un magasin à Ath alors qu’il était fermé depuis 3 ans. Même situation à Jemappes où un magasin aurait dû être fermé, mais la direction aurait oublié de résilier le bail à temps. Il apparaît aussi qu’une plateforme chinoise utilisait le nom Babykid à Hong Kong depuis au moins 5 ans contre des royalties de 20.000 euros par an, mais la facture était réglée à une société du directeur général Joseph Bodart (Delegation) et non à Babykid… Il n’a été mis fin à la pratique qu’à partir du 1er janvier 2023 quand elle a été mise au jour. Joseph Bodart conteste les accusations portées à son encontre et dit avoir tous les éléments pour démontrer qu’il est droit dans ses bottes. Il assure que le dossier de la location du magasin d’Ath s’est terminé normalement. Par ailleurs, il explique les difficultés financières de l’entreprise notamment par la mise en place d’un stock pour l’e-shop qui a coûté près d’un million d’euros, alors qu’il en rapportait 35.000 euros par mois. La collaboration avec un consultant en ressources humaines n’a pas permis de recruter du personnel de façon efficace.  

Tout ce qui a été possible de faire a été fait, mais aujourd’hui, il n’est pas sûr que nous y injecterons encore de l’argent. Il faut que ce soit viable pour investir.

Aujourd’hui des voix s’élèvent pour fustiger la passivité des institutions publiques dans le dossier. Il faut dire que Wallonie Entreprendre et Namur Invest ont participé ensemble à une recapitalisation de BBK en 2022 pour 500.000 euros. Le rôle du cabinet BDO dans le dossier interpelle aussi certains acteurs du dossier. Contacté par nos soins, Namur Invest se défend. « Tout ce qui a été possible de faire a été fait, mais aujourd’hui, il n’est pas sûr que nous y injecterons encore de l’argent. Il faut que ce soit viable pour investir », nous a répondu Renaud Hattiez, directeur général de Namur Invest. De son côté, Wallonie Entreprendre est aux abonnés absents dans le dossier.

La question est de savoir ce que décidera le tribunal de l’entreprise de Liège, division Namur ce mardi 1er octobre 2024.