LE ROYAUME-UNI VA DEPORTER LES ILLEGAUX

Royaume-Uni : après le vote de la Chambre des Lords, quand auront lieu les premiers transferts d’illégaux vers le Rwanda ?

La peur s'est emparée des demandeurs d’asile hébergés à bord de la barge Bibby Stockholm, amarrée au quai du port de Portland, à Portland, sur la côte sud-ouest de l'Angleterre, après l'adoption de la loi autorisant l'expulsion des migrants vers le Rwanda. AFP

La nouvelle est tombée tard lundi soir, le 22 avril, à Londres, lorsque la Chambre des Lords a donné son accord final à la loi sur l’immigration, qui prévoit le transfert des migrants en situation irrégulière vers le Rwanda pendant l’évaluation de leur situation. En effet, après trois mois de divisions internes au sein du parti conservateur et d’un bras de fer avec la Cour européenne des droits de l’homme, Rishi Sunak a réussi à faire adopter son texte phare sur l’immigration. Alors que le Parlement avait voté de justesse en faveur de la loi Rwanda, c’était au tour de la Chambre des Lords de valider la proposition de loi. Après en avoir débattu jusqu’au-delà de minuit, la Chambre s’est mise d’accord pour valider la proposition du Parlement, contre laquelle les Lords s’étaient jusqu’alors opposés. Que dit le Rwanda et quand auront lieu les premiers vols ? Le Premier ministre britannique reconnaît qu’il n’est pas en mesure de respecter l’échéance fixée.

Pas de retour possible au Royaume-Uni

La loi d’immigration vers le Rwanda prévoit le transfert des migrants en situation irrégulière vers le Rwanda pendant l’évaluation de leur situation. Si la personne en situation irrégulière est reconnue comme réfugiée, elle pourra alors rester sur le territoire rwandais. Si la personne n’est pas reconnue comme ayant le statut de réfugié, elle pourra alors faire une demande dans un autre « pays tiers sûr ».

La loi n’est pas encore en vigueur, mais nous devons mettre les vols en route, et c’est à ce moment-là que nous verrons l’effet dissuasif se manifester.

Dans les deux cas, la personne qui était en situation irrégulière au Royaume-Uni ne pourra pas faire de demande pour retourner au Royaume-Uni. En résumé, il s’agit d’un aller simple pour les migrants hors du Royaume-Uni, sans possibilité de retour. Cette loi choc intervient dans un contexte de forte résurgence de l’immigration illégale au Royaume-Uni, avec déjà plus de 6.000 personnes ayant traversé la Manche depuis le début de l’année, et une immigration en constante augmentation malgré le Brexit.

Loi nécessaire, d’après le Premier ministre

Alors que cinq personnes ont trouvé la mort en essayant de traverser la Manche, mardi 23 avril, le Premier ministre Britannique, Rishi Sunak, justifie l’adoption de la loi sur l’immigration visant à transférer les immigrants illégaux vers le Rwanda par la nécessité de mettre en place une législation « dans un effort de mettre fin aux réseaux de trafiquants qui mettent en danger la vie des migrants ».

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Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, arrive à une conférence de presse, dans la salle d’information de Downing Street, dans le centre de Londres, le 22 avril 2024, concernant le traité entre la Grande-Bretagne et le Rwanda visant à transférer les migrants illégaux vers ce pays africain. (Photo par Toby Melville / POOL / AFP)

Le ministre en charge de l’immigration illégale, Michael Tomlinson, a été interrogé sur l’effet dissuasif de la mesure et a réagi : « La loi n’est pas encore en vigueur, mais nous devons mettre les vols en route, et c’est à ce moment-là que nous verrons l’effet dissuasif se manifester ».

Cette nouvelle loi aura-t-elle réellement un effet dissuasif?

Si les Conservateurs affirment que cette loi est avant tout là pour servir d’effet dissuasif, les associations de migrants sur le terrain et l’opposition travailliste doutent de la validité de cet argument.

Le leader travailliste, Keir Starmer, a indiqué que cette nouvelle loi n’était que de la « poudre aux yeux » et que cela ne faisait que déplacer le problème, tandis que d’autres acteurs internationaux ont réagi plus vivement. Deux hauts responsables des Nations unies appellent le Royaume-Uni à revenir sur son projet de transférer les demandeurs d’asile au Rwanda.

Nous avons travaillé dur au cours des 30 dernières années pour faire du Rwanda un pays sûr et sécurisé pour les Rwandais et les non-Rwandais.

Dans une déclaration conjointe, les deux hauts commissaires des Nations unies, Filippo Grandi et Volker Turk, estiment que cette politique aura un impact néfaste sur la protection des réfugiés et les droits de l’homme dans le monde entier.

Filippo Grandi affirme que la protection des demandeurs d’asile nécessite que tous les pays respectent leurs obligations. Mais l’accord du Royaume-Uni « cherche à déplacer la responsabilité de la protection des réfugiés, sapant la coopération internationale et établissant un précédent mondial inquiétant », déclare-t-il dans la déclaration.

Evaluer les circonstances particulières avant l’expulsion

Pour Volker Turk, « Il est essentiel pour la protection des droits de l’homme et de la dignité des réfugiés et des migrants cherchant protection que toutes les expulsions du Royaume-Uni soient effectuées après évaluation de leurs circonstances individuelles spécifiques dans le strict respect du droit international des droits de l’homme et du droit des réfugiés ».

L’association de défense des droits des migrants, le Refugee Council dénonce l’entêtement des autorités britanniques. Le directeur de l’organisation basée au Royaume-Uni, Enver Solomon, déclare en réaction aux nouveaux décès survenus mardi matin, 23 avril, que c’est « une autre tragédie humaine dévastatrice qui aurait pu et aurait dû être évitée ».

Il critique le projet de loi sur le Rwanda comme étant une « législation hostile visant à faire les gros titres ». Enver Solomon affirme que le Royaume-Uni devrait plutôt chercher « des voies sûres pour ceux qui fuient les conflits et la persécution, y compris davantage d’options pour les réunions familiales, des visas pour les réfugiés, et la coopération avec nos voisins européens ».

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Des migrants d’origines diverses errent autour d’un camp de fortune près de Calais le 23 avril 2024. Cinq migrants, dont une fillette de sept ans, sont morts le 23 avril 2024 en tentant de traverser la Manche depuis la France vers la Grande-Bretagne. (Photo par Denis Charlet / AFP)

Aucune preuve de l’effet de dissuasion

Enfin, la responsable de la branche britannique de Médecins Sans Frontières, a critiqué la politique du Royaume-Uni à l’égard du Rwanda, affirmant qu’il n’y a « aucune preuve » qu’elle agira comme un moyen de dissuasion et arrêtera les bateaux, ce qui a déjà été affirmé par plusieurs ministres en charge du dossier. Natalie Roberts décrit les personnes qui entreprennent le voyage à travers la Manche comme « certaines des personnes les plus marginalisées de la Terre ». Elle souligne que les réfugiés continueront à traverser malgré le fait de savoir que certaines « n’y parviendront pas ».

Dans une autre déclaration, MSF UK qualifie également la politique de « cruelle et profondément dangereuse », estimant que la nouvelle loi est un « nouveau chapitre sombre » dans « l’approche brutale » du Royaume-Uni à l’égard de la migration.

Il n’y a rien de compatissant à permettre au système actuel de continuer.

Le Premier ministre, Rishi Sunak, a insisté plus tôt sur le fait qu’il s’agissait « d’une question de compassion élémentaire » qu’il veut arrêter les bateaux. « Il n’y a rien de compatissant à permettre au système actuel de continuer », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse en Pologne.

Quand seront les premiers vols vers le Rwanda?

Une autre question, plus pratique cette fois, met Rishi Sunak dans l’embarras. Lui qui avait promis que les premiers vols vers le Rwanda se feraient dès Pâques a dû revoir son timing, puisqu’il est fort probable qu’aucun vol ne décolle d’ici un bon moment. Bien que le projet de loi soit désormais passé par le Parlement, le vol le plus rapide peut décoller – techniquement parlant – 12 jours après que le Roi ait donné son accord royal, étape finale, pour que la loi soit ratifiée.

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Une photographie prise le 24 avril 2024 montre la barge d’hébergement Bibby Stockholm, amarrée au quai du port de Portland, à Portland, sur la côte sud-ouest de l’Angleterre.  (Photo par Ben Stansall / AFP)

En pratique, la date du premier vol sera probablement plus tardive que cela, selon le Premier ministre Rishi Sunak, dans 10 à 12 semaines, ce qui signifie fin juin ou début juillet. « C’est plus tard que ce que nous souhaitions », a reconnu M. Sunak lundi, admettant que le gouvernement manquerait son propre délai de printemps pour un vol, « mais nous avons toujours été clairs sur le fait que le traitement prendra du temps ».

C’est plus tard que ce que nous souhaitions mais nous avons toujours été clairs sur le fait que le traitement prendra du temps.

Yolande Makolo, porte-parole du gouvernement rwandais, se dit heureuse que la loi soit passée au Royaume-Uni. « Nous avons travaillé dur au cours des 30 dernières années pour faire du Rwanda un pays sûr et sécurisé pour les Rwandais et les non-Rwandais », a-t-elle précisé.

Le Rwanda a pris des mesures pour répondre aux préoccupations en matière de droits de l’homme soulevées par la Cour suprême britannique et la Cour européenne des droits de l’Homme. Le pays a préparé des installations pour les demandeurs d’asile. Mais aucune précision n’est donnée sur le nombre de migrants que le pays pourra accueillir dans les mois à venir.

Léna Job (à Londres)