Benjamin Biard : « On s’achemine vers une réélection d’Emmanuel Macron ce dimanche»
Journaliste – Rédacteur en chef.
Docteur en sciences politiques et chargé de recherches au Centre de recherche et d’information socio-politique (Crip), Benjamin Biard estime qu’on peut suivre les sondages qui accordent une avance au président-candidat, Emmanuel Macron pour le second tour de la présidentielle. Il a lieu ce dimanche 24 avril. Il n’exclut pas une surprise à l’instar de l’élection présidentielle de Donald Trump aux USA en 2016 et du Brexit, voté il y a plus de 5 ans. Il relève une progression continue du vote en faveur de la candidate du Rassemblement National, Marine Le Pen, portée par sa stratégie de dédiabolisation du parti d’extrême droite qui semble porter des fruits. Il conseille d’attendre les résultats des législatives de juin prochain avant de pronostiquer la disparition des partis traditionnels (PS, LR, etc.).
A quelques heures du second tour de la présidentielle prévu ce dimanche 24 avril, peut-on dire que les jeux sont faits au regard des sondages qui donnent une avance au président sortant, Emmanuel Macron ?
Il faut toujours rester prudent, mais on voit que les derniers sondages semblent accroître encore l’écart qui caractérise Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Il semblerait effectivement que ce scrutin soit favorable à Emmanuel Macron, mais dans une moindre mesure qu’en 2017.
Comment expliquez-vous le fait que l’avance du président sortant soit moins importante qu’en 2017 ?
Il y a deux éléments. Le premier tient au fait que Marine Le Pen (candidate du Rassemblement National/RN et challengeuse d’Emmanuel Macron) a réussi à aller un peu plus loin dans la stratégie de dédiabolisation du parti d’extrême droite. Aujourd’hui, 50% des Français considèrent qu’elle est un danger pour la démocratie, il y a 5 ans, ils étaient 58%. On voit déjà ici une évolution par rapport à sa stratégie. Le deuxième élément résulte du fait qu’Emmanuel Macron n’est pas le même candidat qu’en 2017 dans la mesure où il a un bilan à défendre, un quinquennat marqué par au moins deux grandes crises, trois si on ajoute la guerre en Ukraine, c’est-à-dire la crise des Gilets jaunes et la crise sanitaire, dont les mesures ont été particulièrement décriées pendant plusieurs mois.
Il y a une progression continue du vote d’extrême droite, mais il y a encore un Français sur deux qui considère que Marine Le Pen est un danger pour la démocratie.
Cette évolution du RN va-t-elle continuer après le scrutin de ce dimanche ?
Je serai assez prudent, parce que cette dédiabolisation s’accroit effectivement au fil du temps. Au début des années nonante, 75% des Français trouvaient que l’extrême droite était un danger pour la démocratie. Le taux était encore plus important parmi les Français qui considéraient que le front national, à l’époque où il était dirigé par Jean-Marie Le Pen, était un danger pour la démocratie. Il y a donc une progression, mais il y a encore un Français sur deux qui considère que Marine Le Pen est un danger pour la démocratie. Si on excepte 2007, où d’ailleurs Marine Le Pen jouait le rôle de directrice de la campagne de Jean-Marie Le Pen et essayait déjà d’introduire davantage d’éléments liés à la dédiabolisation du parti, on observe que depuis 1988, sachant qu’en 1981 Jean-Marie Le Pen n’avait pas pu se présenter, mais depuis 1988, d’élection en élection, le Front national, aujourd’hui le Rassemblement National réussit à accroître son score. Donc on assiste à une progression continue.
La dédiabolisation s’avère une stratégie gagnante alors…
Visiblement oui, car le RN essaie de ne plus se faire passer pour un parti d’extrême droite, mais plutôt un parti patriote, nationaliste qui mise sur la nation plutôt que sur le mondialisme, selon les propos de Marine Le Pen. La candidate essaie de véritablement changer l’image du parti en le débarrassant des éléments gênants dont son père (Jean-Marie Le Pen, ndlr). Elle a aussi renouvelé les cadres du parti en y attirant des figures comme Gilbert Collard, Thierry Mariani ou encore l’ancien magistrat Jean-Paul Garraud et même Florian Philippot (il a quitté le parti après les législatives de 2017, ndlr). Toutes ces personnes ont amené un vent de fraîcheur au sein du parti. Mais Marine Le Pen fait preuve aussi d’une volonté de lisser le discours de manière à se présenter comme étant davantage respectable et on le voit dans le cadre de cette campagne où elle met plus l’accent sur le pouvoir d’achat contrairement en 2017 où c’était la sortie de l’Union européenne, etc. Ce faisant, elle attire l’électorat le plus traditionnel du parti même s’il y en a certains qui choisissent Eric Zemmour (il a créé son parti Reconquête !) parce qu’ils considèrent qu’elle a un peu trahi le parti. Elle séduit aussi d’autres électeurs et elle espère en attirer parmi ceux qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon (Union populaire, ndlr), des électeurs qui sont désabusés par la démocratie, ont perdu confiance par rapport au fonctionnement même de la démocratie. On dépasse ici la question purement migratoire ou sécuritaire, ce sont des citoyens qui se disent essayons Marine Le Pen, car on a essayé le reste ça ne marche pas. C’est la dernière carte à jouer.
A-t-elle joué une autre carte dans cet entre-deux-tours ?
Spécifiquement, dans cet entre-deux-tours, le rôle de Marine Le Pen a été de montrer qu’Emmanuel Macron, sur le plan social ou celui du pouvoir d’achat, a été plus libéral qu’autre chose et qu’elle avait de véritables propositions visant à défendre les Français. Elle s’était d’emblée présentée comme la porte-parole des Français qu’elle connaît bien. On a un triple tableau sur lequel elle essaie de miser pour rassembler le plus grand nombre possible d’électrices et d’électeurs, donc pas seulement sur la base du discours migratoire et sécuritaire, mais aussi en usant d’un discours populiste pour attirer des électeurs qui utilisent le vote contestataire pour exprimer leur mécontentement.
Le résultat de 7% obtenu par Eric Zemmour au premier tour n’était pas celui escompté, mais c’est quand même le plus grand score obtenu, depuis la création du Front National, par un parti d’extrême droite concurrent du Front National.
Comment voyez-vous la stratégie d’Eric Zemmour après son score de 7% au premier tour de la présidentielle avec son parti Reconquête ?
Son objectif est de revenir en force pour les législatives, de pouvoir rassembler à droite, selon les circonscriptions. Certes, le résultat de 7% n’était pas celui qui était escompté, mais c’est quand même le plus grand score obtenu, depuis la création du Front National, par un parti d’extrême droite concurrent du Front National. On peut penser à Bruno Mégret en 2002, ancien numéro 2 du Front National qui avait fait sécession à la fin des années nonante en créant son parti, le MNR. Il s’était présenté face à Jean-Marie Le Pen et avait obtenu aux alentours de 2%. Donc, on voit bien les limites de l’opposition qu’on pouvait retrouver au Front National ou au sein de l’extrême droite. Ici, 7% est un résultat à ne pas négliger, c’est une frange de la société, peut-être plus à droite sur les questions socio-économiques, mais également aussi plus à droite et plus radicale notamment sur les questions migratoires et qui considèrent que Marine Le Pen a trahi le message historique du parti.
Au regard du score des partis traditionnels au premier tour (4,78% pour Valérie Pécresse/LR, 4,63% pour Yannick Jadot/EELV, 1,75% pour Anne Hidalgo/PS), peut-on dire qu’on s’achemine vers leur disparition ou juste une recomposition du Paysage politique français ?
Effectivement, il y a une recomposition, mais en réalité elle avait déjà commencé notamment avec Emmanuel Macron et la République en Marche certainement. On peut aussi remonter à la création du Front National (devenu Rassemblement National) au début des années septante en réussissant à s’imposer comme un parti pertinent dans le jeu partisan dès les années 80. On se souvient notamment de 2002, même si ça s’est joué de peu avec Lionel Jospin, 200.000 voix environ, on a quand même assisté à un scrutin qui a vu un parti d’extrême droite dépasser le parti de gauche classique sortant. Mais on assiste à une accélération dans cette reconfiguration. Est-ce que ça veut dire que ça consacre la disparition des partis traditionnels ? En tout cas, ceux-ci sont en crise depuis un certain nombre d’années. Il faut attendre le score des partis traditionnels lors des élections législatives de juin prochain pour voir s’ils arrivent quand même à sauver les meubles. Lors des dernières élections régionales, ils avaient réussi à sauver les meubles et à se maintenir au niveau des régions. En terme d’ancrage local, ils ne sont pas tout fait ébranlés. Il faut voir si la tendance se poursuit ou si, à l’inverse, on assistera effectivement à un déclin, voire une disparition de certains partis traditionnels.
Les partis traditionnels français sont en crise depuis un certain nombre d’années. Il faut attendre leur score lors des élections législatives de juin prochain pour voir s’ils arrivent à sauver les meubles.
Que pensez-vous des ambitions de Jean-Luc Mélenchon (leader de la France Insoumise et arrivé troisième au premier tour de la présidentielle) demandant aux Français de l’élire Premier ministre lors des législatives de juin prochain ?
La cohabitation est sur beaucoup de lèvres aujourd’hui parce que beaucoup s’interrogent sur la capacité d’Emmanuel Macron de véritablement pouvoir disposer d’une majorité parlementaire à l’issue des législatives. Est-ce que la cohabitation se fera avec la France Insoumise ou avec une autre formation politique, ça reste une inconnue. Le défi pour Emmanuel Macron de rassembler une majorité parlementaire n’est pas encore gagné et il est loin de l’être pour le moment quand bien même il serait réélu président ce dimanche.
Quel est votre pronostic ?
Il semble qu’on se dirige vers une réélection d’Emmanuel Macron, puisque les sondages indiquent que l’écart se creuse de plus en plus en sa faveur même s’il faut rester prudent. On a vu, avec l’élection de Donald Trump aux USA en 2016, avec le vote en faveur du Brexit la même année, qu’on peut avoir des surprises et que les sondages, s’ils indiquent l’état de l’opinion en un temps T, n’anticipent pas pour autant ce qui va effectivement se produire. Mais globalement on peut suivre les sondages sans toutefois exclure une surprise…