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Eric Gozlan : « le nouveau Gouvernement de Benjamin Netanyahou est dangereux pour Israël »

Le Premier ministre israélien nouvellement assermenté Benjamin Netanyahu (cravate bleue) préside la première réunion du cabinet de son nouveau gouvernement à Jérusalem, le 29 décembre 2022. AFP

Spécialiste en géopolitique et de la diplomatie parallèle, le Français Eric Gozlan n’est pas tendre avec le nouveau gouvernement de Benjamin Netanyahou. Co-directeur de l’International Council for Diplomacy and Dialogue (www.icdd.info), il relève les concessions faites par le nouveau chef du gouvernement à l’extrême droite et aux religieux et qui sont une menace pour la démocratie en Israël, notamment sur les violences faites aux femmes. Il rappelle que Benjamin Netanyahou a des problèmes judiciaires et qu’il veut changer les lois à son profit. Il dénonce l’hypocrisie de certains membres de la Communauté juive en France dans leurs critiques à l’égard de l’ancienne ambassadrice d’Israël en France, Yael German. Cette dernière a démissionné de son mandat d’ambassadrice estimant que la politique du nouveau gouvernement n’était pas en phase avec sa vision du monde et choque sa conscience.

Que pensez-vous du nouveau gouvernement israélien de Benjamin Netanyahou qui a pris ses fonctions il y a quelques jours et qui est qualifié d’extrême droite ?

Tout d’abord, nous devons relativiser la percée de l’extrême droite en Israël. Si le parti du nouveau Premier ministre, Benjamin Netanyahou a obtenu 30% des voix seulement et c’est déjà beaucoup, 15% des Israéliens ont voté pour les deux partis extrémistes. Israël a opté pour une élection à la proportionnelle, un système qui donne beaucoup trop de pouvoirs aux petits partis, lesquels négocient chèrement leur entrée dans la coalition gouvernementale.

Ce nouveau gouvernement est-il dangereux pour le Proche-Orient ?

Ce nouveau gouvernement est dangereux non pas pour le Proche-Orient, mais pour Israël qui est la seule démocratie de la région. Le nouveau Premier ministre a des problèmes judiciaires et souhaite changer les règles de droit, ce qui pose question. Il ne va pas ratifier l’accord d’Istanbul sur la lutte contre les violences faites aux femmes, car il ne veut pas se mettre à dos les religieux. Benjamin Netanyahou veut donner énormément de crédit aux étudiants de Yeshiva (écoles où on apprend les différents textes religieux) même si ces étudiants ne servent pas dans l’armée. On pourrait dresser une liste à la Prévert des futurs choix de Netanyahou qui font que la démocratie israélienne est en déclin.

Le système électoral à la proportionnelle en Israël donne beaucoup trop de pouvoirs aux petits partis.

Je sais que le monde entier critique ce nouveau gouvernement, mais je suis désolé de dire qu’il n’est pas critiqué car d’extrême-droite, mais parce qu’il est israélien. Je m’explique par un exemple : en 2022, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté plus de résolutions contre Israël que contre toutes les autres nations réunies, démontrant ainsi ce que les observateurs avertis appellent « une focalisation déséquilibrée sur l’Etat hébreu » au sein de l’organisme mondial. Ainsi, l’Assemblée générale a approuvé 15 résolutions anti-Israël l’année dernière, contre 13 résolutions critiquant d’autres pays, tous pays confondus.

L’ambassadrice d’Israël a donné sa démission, après la formation du nouveau gouvernement estimant ne pas être en phase avec le nouvel exécutif. Plusieurs voix de la communauté juive française se sont réjouies de son départ…

Heureusement, la communauté juive de France dans son ensemble ne se réjouit pas de son départ. Nous parlons d’une partie de cette communauté qui n’a pas accepté sa venue pour différentes raisons, même si certaines n’étaient pas fondées. L’ambassadrice Yael German est une personnalité connue en Israël, elle a été ministre de la santé, députée et maire de Herzliya, ville importante du pays. Elle a fondé avec l’ancien Premier ministre, Yaïr Lapid (juillet-décembre 2022, ndlr), le parti Yesh Atid. Considérée comme une personnalité de gauche, une partie de la communauté juive de France avait critiqué sa nomination comme ambassadrice avant même son arrivée à Paris. On pouvait lire par exemple qu’elle ne parlait pas français du tout, ce qui est faux. Il est intéressant, mais pas étonnant, de voir que pendant son mandat d’ambassadrice, les mêmes personnes qui critiquaient sa nomination faisaient la queue pour être reçues à son cabinet. Certains responsables politiques de religion juive ont été encore plus loin contre elle. Ainsi le député des français de l’étranger (8ème circonscription qui englobe Israël), Meyer Habib qui est un proche de Netanyahou s’est moqué ouvertement de son accent.

Eric Gozlan, co-directeur de l'ICDD critique sévèrement le nouveau gouvernement de Benjamin Netanyahou. D.R.

Les mêmes personnes qui critiquaient la nomination de l’ambassadrice d’Israël en France faisaient la queue pour être reçues à son cabinet lors de son mandat.

Que pensez-vous de son bilan ?

Nous devons être lucides et voir le bilan de Yael German comme ambassadrice d’Israël en France : amélioration à tous les niveaux de la coopération franco-israélienne, reprise des exercices communs entre les deux armées, les échanges économiques et culturels sont à un niveau extraordinaire.

Suite aux dernières élections en Israël, Yaël German a expliqué qu’elle ne partageait pas les idées du nouveau gouvernement. Elle a donc démissionné. Dans une lettre adressée au chef du gouvernement, elle déclare : « Votre politique, les déclarations des ministres de votre gouvernement et les intentions de législation sont contraires à ma conscience, à ma vision du monde et aux principes de la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël ».

Après ce courrier, les mêmes voix françaises pro-Netanyahou l’ont encore critiqué.

J’ai du mal à comprendre ces critiques. Imaginons que Mme Le Pen gagne les élections en France, on verrait alors nombre d’ambassadeurs démissionner et tout le monde trouverait cela normal.

Vous êtes directeur de l’International Council for Diplomacy and Dialogue  (ICDD). Pouvez- vous nous en dire plus sur cette organisation ?

Nous avons créé cette organisation, il y a quelques années, avec le professeur Stephen  Bronner, ancien recteur d’une grande université américaine. Nous nous sommes rencontrés lors d’un congrès en Russie et avons décidé de créer une structure qui travaillerait pour la paix, non pas avec les gouvernements, mais avec les sociétés civiles. Nous sommes donc mandatés par des pays pour négocier des accords avec la société civile, accords ratifiés ensuite par les gouvernements. Nous devons rester très discrets sur les différents endroits où nous travaillons dans le monde. On nous appelle aussi pour négocier des échanges de prisonniers de guerre à travers le monde. Depuis sa création, l’ICDD a une agence à New-York, Riga et nous en ouvrons une bientôt à Athènes pour les Balkans.

Propos recueillis par Hamid CHRIET, éditorialiste L-Post