JUSTICE

Le procès de Dino Scala, le violeur de 56 femmes dans la Sambre, démarre ce 10 juin

« Ensemble pour la vérité » - Clara, Valérie, Betty. Copyright: Facebook

Le 26 février 2018, Dino Scala est interpellé au petit matin à quelques mètres de chez lui, à Pont-sur-Sambre (Nord), une petite commune française, devant chez lui, par les équipes de la police judiciaire de Lille. Dévoué, sociable, nul ne pouvait soupçonner. Tous sont ahuris, ébahis, à vif. Cet ouvrier, au casier judiciaire vierge, marié et père de cinq enfants, est arrêté dans le cadre d’une enquête judiciaire tentaculaire ouverte en 1996. Dès ce 10 juin, celui que l’on surnomme « le violeur de la Sambre, sera jugé par la Cour d’assises du Nord de Douai pour viols et agressions sexuelles commis sur 56 victimes, pendant trente ans. Le procès durera jusqu’au 1er juillet. Phénomène sans précédent dans une affaire judiciaire, sur Facebook, le groupe « Ensemble pour la vérité » fédère un maximum de victimes. Parmi elles, Clara, Valérie, Betty et Mélanie livrent leurs témoignages. Nous les suivons depuis la création du groupe en 2018.

Les enquêteurs l’avaient appelé « le violeur de la Sambre ». Pendant trois décennies, ils ont couru après ce « Monsieur-tout-le-monde » insoupçonnable et insaisissable. Jusqu’à une ultime agression où il commet une erreur, en Belgique. C’est un matin de février comme les autres. Il est à peine sept heures, il fait froid et encore nuit. Une jeune fille marche vers l’arrêt de bus où elle doit rejoindre ses camarades de cours. Elle a quinze ans, des écouteurs dans les oreilles. Elle est un peu en retard et  prend un raccourci, le long de la voie ferrée. C’est là qu’elle se fait agresser par Dino Scala.

Dix minutes en enfer

La jeune fille n’a pas le temps de le voir arriver, derrière elle. Quand elle sent son souffle, il est trop tard. Elle est bousculée, poussée vers les buissons, tirée par les cheveux. L’homme lui dit avec un accent du nord : « Je ne te veux pas de mal. Je veux juste te toucher. J’en ai besoin. ». Ce sont alors dix longues minutes qui s’égrènent, une éternité pour l’adolescente. Elle crie, se débat, il sort un couteau, l’agresse, la touche, elle sent comme une odeur d’alcool… personne ne vient. Elle finit par supplier. Il la lâche, elle court jusqu’au bus où le chauffeur la mettra à l’abri. Elle n’a pas vu le visage de son agresseur, mais les policiers sont sûrs que c’est encore lui. L’insaisissable «violeur de la Sambre».

Un même modus operandi

À Erquelinnes, on sait depuis 1998 qu’un homme agresse des femmes au petit matin, le même, sans doute, qui sévit aussi du côté français, dans un rayon de quinze kilomètres autour de Maubeuge, et que la police le traque toujours. Avec une moyenne d’un viol par an sauf en 2005 où il y en a eu deux, celui dont on ne sait pas encore qu’il s’agit de Dino Scala n’a aucun profil-type de victimes, ce qui complique les recherches. Jeunes filles, mères de famille, personnes plus âgées, seul son modus operandi reste le même, ce qui est très spécifique des violeurs pathologiques : au petit matin, en hiver, par derrière, toujours la même cordelette blanche, des gants, un bonnet noir et une forte odeur de soude, décrite par plusieurs victimes, qui imprègne ses vêtements.

Des générations d’enquêteurs de la PJ de Lille se sont tour à tour cassé les dents sur ce cold case nordiste. Mais cette fois, l’homme a commis une erreur. Les caméras de surveillance du parking de la gare ont filmé son départ : une partie de sa plaque d’immatriculation apparaît. La police judiciaire a enfin une piste. Trois semaines de recherches, de recoupements et de filatures plus tard, les hommes de la brigade criminelle interpellent, devant chez lui, Dino Scala, 57 ans, marié et père de famille, employé d’un prestataire de l’entreprise Jeumont Electric.

 Des soupçons confirmés par l’ADN

C’est un soulagement pour ses victimes, un choc pour ceux qui le connaissent. Dino Scala est le type même de l’homme au-dessus de tout soupçon. Sociable, équilibré, généreux. Pourtant, il n’y a pas de doute : plusieurs fois, depuis 1988, de l’ADN a été fixé. La science confirme ce que le suspect reconnaît d’emblée, sans la moindre résistance, comme s’il en était soulagé : le « violeur de la Sambre », c’est lui. Il avoue une quarantaine de viols et d’agressions sexuelles, alors qu’on ne lui en oppose que dix-neuf, au cours de sa garde à vue. Ce n’est qu’au bout de quatre autres mois de travail que les enquêteurs établiront une liste de vingt-cinq agressions supplémentaires. Au total, l’enquête révèlera l’existence de 56 victimes.

Dino Scala soupçonné d'avoir violé 56 femmes. Copyright: groupe « Ensemble pour la vérité » Facebook.

Facebook : un cri virtuel

Sur Facebook, elles se sont fédérées. Clara Bernard est l’instigatrice du mouvement. Avec l’arrestation du serial violeur, elle a pris « la vague Scala » de plein fouet. Tout est remonté, depuis, dans ses souvenirs. Le 27 août 1997, à 5 heures du matin, elle est ligotée, bâillonnée et agressée à l’arme blanche chez elle, à Bachant. Sa petite fille de dix mois dort dans la pièce d’à côté. Sur le réseau social, elle dénonce et invite au regroupement. « Depuis que je me suis exprimée dans les médias, j’ai été contactée par de nombreuses femmes violées ou agressées selon le mode opératoire de Dino Scala, et dont les enquêtes les concernant n’ont jamais été regroupées avec celles du violeur de la Sambre. Il me semble judicieux de se rassembler, de dénoncer nos souffrances, nos angoisses et nos années d’errance gâchées par cet individu », dénonce-t-elle. « Nous avons en commun les mêmes paroles, les mêmes odeurs, les mêmes actes odieux, les mêmes douleurs ». Le but de ce cri virtuel : que chacune puisse être entendue, reconnue comme victime et gagner son procès.

 Une parole libérée

Si ce groupe Facebook est une forme de thérapie pour Clara, c’est « un moyen de ne pas se sentir seule » pour Betty Cens, agressée le 5 décembre 2002, à Avesnelles. Les deux femmes ont échangé pendant des heures avant de se rencontrer enfin. Le 5 mars 2018, Betty prend son courage à deux mains et franchi la porte d’un commissariat. « C’est grâce à Clara et à son époux qui m’ont donné le courage de le faire. Ils m’ont fait sentir que je n’étais plus seule. Il doit être puni pour ce qu’il a fait. Les filles, si vous avez peur, n’hésitez pas à contacter Clara ». Violée sur le chemin du lycée, le lendemain de son dix-septième anniversaire, Betty reste frustrée par le déroulement de l’enquête. Les policiers du commissariat de Maubeuge avaient, à l’époque, mis en doute sa version, sous-entendant qu’elle affabulait. Elle avait alors voulu contacter les médias. Le maire lui dira de ne pas le faire, parce que cela créerait la psychose dans la région et que l’immobilier chuterait. « C’est lui. Je le sais. Je le sens. C’est obligé. Quand j’ai vu le portrait-robot, je l’ai tout de suite reconnu. Mais personne ne me l’avait jamais montré », déplore-t-elle.

Mélanie, une des nombreuses victimes de Dino Scala. Copyright: Facebook.

Un silence brisé

L’appel téléphonique du commandant de la Brigade criminelle de la police judiciaire de Lille a brisé vingt ans de silence. Mélanie ne l’oubliera jamais. Le 28 février 2018, deux jours après l’interpellation de celui qui est considéré comme le violeur en série le plus actif jamais confondu en France, l’enquêteur s’enquiert : « Vous avez dû voir l’info ? ». Non, la mère de deux jeunes enfants « n’a pas allumé la télé ». Puis ces mots : « Votre agresseur a été arrêté. » Mélanie, qui a, depuis longtemps, déménagé à plusieurs centaines de kilomètres de cette vallée de la Sambre qui la fait encore cauchemarder, reste sans voix. « Bon courage », ajoute le policier.

Un procès dès le 10 juin pour faire le deuil

Elles ont eu plusieurs années pour se préparer. Elles sont désormais dans la dernière ligne droite. Avec leurs angoisses, leurs traumatismes, mais portées par un seul combat, elles vont participer activement à l’un des procès les plus impressionnants de l’histoire judiciaire française pour que justice soit faite. L’affaire Dino Scala (61) sera examinée pendant trois semaines, du 10 juin au 1er juillet, par la Cour d’assises de Douai. Une épreuve de trois semaines pour les 56 victimes, qui pour la plupart verront leur agresseur de face pour la première fois. Dès son arrestation, Dino Scala a confirmé être dans une logique d’aveux et de vérité. Les victimes s’accrochent à cet espoir pour que la sanction soit exemplaire, malgré le délai de prescription invoqué par la défense pour certaines faits commis sur certaines d’entre elles.

 

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