GREVE DES MEDECINS BRITANNIQUES

Manifestations: le blues des médecins britanniques dans la rue

Les médecins internes britanniques réclament une revalorisation salariale. Photo Léna Job

Depuis mardi, les internes en médecine britanniques battent le pavé, quelques mois après des manifestations sans précédent des enseignants et des cheminots. L’Angleterre est en proie à de vastes mouvements sociaux ces derniers mois. En effet, la colère gronde chez les Britanniques, sur fond d’inflation et de conséquences successives du Brexit et du Covid-19. Ce vendredi 14 avril, des centaines d’internes étaient présents au piquet de grève de St Thomas’ Hospital, l’un des plus grands hôpitaux londoniens, qui fait face au Big Ben et au Parlement, comme un pied de nez au ministre de la Santé qui reste sourd face aux revendications des manifestants. A l’appel du principal syndicat médical, le British Medical Association, les jeunes médecins ont voté une grève de 5 jours et ont déjà estimé le nombre de participants à 47.000 personnes qui se retrouvent devant les principaux hôpitaux du pays. A titre d’exemple, un médecin jeune diplômé a, en moyenne, une dette de 100.000 livres sterling de frais de scolarité. Il commence à la rembourser dès qu’il commence à travailler.

Des salaires au plus bas

La principale revendication des internes en grève est une revalorisation de leur salaire. Avec pour slogan « les applaudissements ne paient pas les factures » et « nous voulons un salaire équitable, maintenant! », ils demandent en effet une augmentation de 35%. Si cela peut paraître beaucoup à première vue, cette demande s’explique par le fait que leur salaire n’est pas indexé à l’inflation. Depuis 2008, le salaire effectif des internes aurait chuté de 26%, selon une estimation des syndicalistes. Au-delà des conséquences de l’inflation, il faut aussi ajouter le coût des études de médecine et les dettes sous lesquelles croulent les jeunes médecins. En effet, un médecin jeune diplômé a, en moyenne, une dette de 100.000 livres sterling de frais de scolarité, qui sera prélevée dès la perception de ses premiers salaires.

J’ai d’autres amis internes qui doivent faire des courses Uber pour s’en sortir.

Hannah, une jeune docteure de 30 ans, explique qu’elle n’est plus capable de vivre correctement. « Avec l’inflation, nous vivons à peine au-dessus du seuil de pauvreté. J’ai d’autres amis internes qui doivent faire des courses Uber pour s’en sortir. Et nous sommes en souseffectif parce que les gens ne sont pas assez payés et donc vont voir ailleurs », témoigne-t-elle. Elle ajoute qu’elle pense elle-même à quitter la profession pour être mieux payée dans un autre domaine.

Un système à bout de souffle

Beaucoup estiment qu’être payé 14 £ (16 euros) de l’heure n’est pas suffisant pour le travail fourni. Comme Adrianna, 27 ans, l’explique : « Moi, je suis interne anesthésiste, ça veut dire que quand un patient vient pour une opération d’urgence, je suis souvent la seule personne disponible dans le service qui puisse endormir le patient, veiller à ce que l’anesthésie se passe bien pendant l’opération et accompagner le patient quand il se réveille. Sachant que tout au long de ce processus, je suis responsable de la vie que j’ai entre les mains. Tout ça pour 14 £ de l’heure ».

A titre de comparaison, le salaire minimum britannique s’élève à 10 £ de l’heure. De plus, le manque de budget dans les hôpitaux empêche la progression salariale. Par manque de moyens, les médecins peuvent attendre des années avant de pouvoir atteindre le grade de consultant et donc de pouvoir prétendre à une augmentation. C’est pour cette raison que les internes constituent 40% du corps médical au sein du NHS, le système de santé publique au Royaume-Uni.

Je fais ce métier pour prendre soin de gens, mais les conditions sont tellement inhumaines que nos patients en souffrent.

Le NHS, comme beaucoup de systèmes de santé publique européens, est à bout de souffle. Il connaît, entre autres, des problèmes de personnel, de financement et de listes d’attente extrêmement longues. « Il y a 7,2 millions de personnes sur des listes d’attente en Angleterre, c’est plus que la population d’Écosse. Les listes d’attente qui s’allongent, c’est aussi 500 morts par mois. Ce sont toutes les personnes qui n’ont pas pu être soignées à temps, et ces morts sont évitables », observe Adrianna, la jeune interne anesthésiste. « Je fais ce métier pour prendre soin de gens, mais les conditions sont tellement inhumaines que nos patients en souffrent, et le personnel soignant est en burn-out », renchérit Hanna, une collègue médecin.

Un gouvernement qui ne marchande pas

Le gouvernement reste sourd face aux revendications des grévistes, même si l’espoir était permis vendredi lorsque le ministre de la Santé, Steve Barclay, a annoncé qu’il était prêt à discuter si les grèves cessaient immédiatement. Le principal syndicat, le BMA, a refusé de cesser les grèves, puisqu’aucune offre chiffrée ne leur a été faite, alors que d’autres syndicats ont accepté de se remettre autour de la table.

Henry, représentant syndical, explique : « Ça fait six mois que nous sommes en discussions avec le gouvernement, nous avons même fait appel à un médiateur, l’ACAS, mais le gouvernement refuse de parler. Nous souhaitons juste une offre crédible, il en va de l’intérêt public ».

Malgré les 350.000 rendez-vous médicaux qui ont été annulés à cause des grèves, la population britannique est plutôt favorable au mouvement de grève.

Le ministre de la Santé dénonce le risque que font courir les soignants en faisant grève et estime que les revendications des syndicalistes sont déraisonnables et trop élevées. Le ministre de l’Economie, Jeremy Hunt, surenchérit en affirmant qu’indexer les salaires des fonctionnaires serait une terrible erreur.

La population soutient les grévistes

Malgré les 350.000 rendez-vous médicaux qui ont été annulés à cause des grèves, la population britannique est plutôt favorable au mouvement de grève. Tout au long de la manifestation de ce vendredi 14 avril, les klaxons des bus et des voitures raisonnaient en soutien aux grévistes, des habitants sont venus les applaudir ou leur donner à manger.

D’après l’institut de sondage Ipsos, 54% des Britanniques sont en faveur des grèves et 49% pensent que les médecins ne sont pas assez payés. Des personnalités publiques ont même été aperçues aux côtés des grévistes, comme l’acteur de Dr Who, Peter Capaldi, qui a apporté son soutien aux grévistes devant l’University College Hospital dans le centre de Londres.

Les grévistes, eux, feront grève jusqu’à ce samedi 15 avril à 20h, ils affirment qu’ils ne lâcheront rien.

Léna Job (à Londres)