ENNUI JUDICIAIRE POUR UN ANCIEN PRESIDENT

Financement libyen de campagne électorale : Nicolas Sarkozy devra affronter un procès au pénal début 2025

En pleine tournée de promotion pour son nouveau livre, Nicolas Sarkozy est rattrapé par l'affaire du financement libyen de sa campagne électorale. AFP

C’est le titre de son nouveau livre : « Le Temps des combats », paru le 19 août dernier, racontant son passage à la Présidence de la République et des dernières années de son quinquennat (2007-2012). C’est aussi encore et encore le temps des combats pour Nicolas Sarkozy, 68 ans, rattrapé une nouvelle fois par la justice française. Ce 25 août, après avoir bouclé les investigations qui avaient commencé en 2013 et rédigé un dossier de 557 pages, les deux juges d’instruction Aude Buresi et Virginie Tilmont annonçaient que l’ex-Président de la République et douze de ses proches (dont trois anciens ministres : Claude Guéant, Brice Hortefeux et Éric Woerth) seront convoqués par la justice pour un procès qui devrait durer au moins quatre mois, entre le 6 janvier et le 10 avril 2025 devant la 32e chambre du Tribunal correctionnel de Paris. Ce procès devra juger qui est coupable ou non, et à quel niveau, dans la fameuse affaire du financement libyen pour la campagne du candidat Sarkozy en 2006-2007 pour l’élection présidentielle. On parle d’un financement total de 5 millions d’euros. Les deux juges d’instruction parisiennes ont estimé que Nicolas Sarkozy doit être jugé pour « recel de détournement de fonds publics », « corruption passive », « financement illégal de campagne électorale » et « association de malfaiteurs en vue de commettre une infraction punie de dix ans d’emprisonnement »

Cette affaire, révélée en 2011 par Médiapart, laisse entendre que, pour sa campagne électorale, le candidat Nicolas Sarkozy aurait reçu quelques « valises » bien remplies de dollars venant de Libye et de son chef tout puissant d’alors, le colonel Mouammar Khadafi. On parle d’une somme totale de 5 millions d’euros en espèces, qui aurait transité en plusieurs fois par l’intermédiaire de, entre autres, le chef du renseignement militaire du régime libyen (par ailleurs, beau-frère de Mouammar Kadhafi). Les deux juges d’instruction parisiennes ont estimé que Nicolas Sarkozy doit être jugé pour « recel de détournement de fonds publics », « corruption passive », « financement illégal de campagne électorale » et « association de malfaiteurs en vue de commettre une infraction punie de dix ans d’emprisonnement »…

Déjà condamné dans deux dossiers

En pleine tournée promo de son livre « Le Temps des combats », Nicolas Sarkozy refuse de commenter et se contente de réponse laconique. « Ce n’est pas le lieu, j’aurai l’occasion de m’expliquer… », a-t-il répondu lors d’une séance de signature à Arcachon.

S’il faut que j’aille jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme pour faire valoir mes droits, je le ferai.

En privé, toutefois, il maintient sa version : « Je suis victime d’un complot. Je n’ai rien à me reprocher ». Un complot qu’il date de 2012, lorsque François Hollande lui a succédé à la Présidence de la République… N’empêche ! La justice française s’intéresse de très près à Nicolas Sarkozy, déjà rattrapé dans deux autres affaires : l’affaire des écoutes et celle de Bygmalion. Dans la première, en mai dernier, il a été condamné à trois ans de prison dont un an ferme pour corruption et trafic d’influence, il s’est pourvu en cassation. Dans la seconde concernant aussi le financement de sa campagne présidentielle de 2012, il a été condamné en première instance à un an de prison ferme, le procès en appel doit avoir lieu en novembre prochain.

Sarkozy dénonce un acharnement à son encontre

Dans un entretien avec six lecteurs du quotidien « Le Parisien-Aujourd’hui en France » paru ce 27 août, interrogé sur des « ennuis judiciaires », il a confié : « Je suis la personnalité publique qui a été sans doute le plus interrogée et contrôlée en France. Ils n’ont rien trouvé. Il ne suffit pas de cracher sur quelqu’un ou de l’accuser pour le rendre coupable. Cet acharnement est une épreuve, mais quand on a la vie qui est la mienne, on ne peut pas avoir les avantages sans les inconvénients. Je ne baisserai pas la tête pour quelque chose que je n’ai pas fait. S’il faut que j’aille jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme pour faire valoir mes droits, je le ferai. Et je gagnerai. Je suis combatif et serein ».

Il apparaît qu’un pacte de corruption a été noué entre Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi aux fins de financement de l’élection du premier.

Toutefois, en conclusion de leur ordonnance de renvoi de 557 pages, les deux juges d’instruction assurent qu’il « apparaît qu’un pacte de corruption a été noué entre Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi aux fins de financement de l’élection du premier ».

Financement en échange de contreparties

Et d’ajouter : « Les fonds récoltés ou, au moins une partie de ces fonds, étaient destinés à financer la campagne électorale de M. Sarkozy en contrepartie d’engagements divers. (…) la perspective de l’accès au pouvoir de M. Sarkozy a favorisé des intermédiaires qui se revendiquaient de lui pour obtenir le versement de commissions dans différents contrats commerciaux ». Et de pointer « des montages sophistiqués utilisés pour rendre indétectables ces transactions et convertir les fonds ainsi détournés » et aussi des « contreparties diplomatiques » envisagées, comme « l’invitation de M. Kadhafi en France » en décembre 2007… Parmi des proches de l’ancien Président de la République, Sébastien Huyghe, le président de la fédération LR (Les Républicains) du Nord, est confiant : « Ce procès sera l’occasion pour Nicolas Sarkozy de démontrer que cette affaire est cousue de fil blanc… Je sais qu’il lavera son honneur… Les magistrats ont préféré donner du crédit à des gens pour qui Nicolas Sarkozy est un ennemi, plutôt que d’écouter un ancien Président de la République… ».

Nicolas Sarkozy présenté comme le « Donald Trump français »

Toutefois, le feuilleton Sarkozy vs justice est loin de toucher à son terme. Pour rappel, le Parquet national financier (PNF) a lancé tout récemment une enquête contre Nicolas Sarkozy pour « trafic d’influence » dans le cadre d’activités de conseil pour le groupe russe Reso-Garantia des deux frères russo-arméniens milliardaires Sergey et Nikolay Sarkisov, portant sur un contrat de 3 millions d’euros en 2019 https://lpost.be/2023/08/19/sorti-plus-tot-que-prevu-le-nouveau-livre-de-lex-president-nicolas-sarkozy-cree-la-polemique-et-va-etre-reimprime/). « C’est un complot », martèle encore et encore Nicolas Sarkozy.

Dans toute l’histoire juridique française, il n’y a jamais eu un ancien Président de la République, trois de ses collaborateurs les plus proches, qui seront jugés par un tribunal pénal pour avoir participé à une entreprise criminelle présumée.

Tout ça fait dire à Fabrice Arfi, le journaliste de Médiapart qui avait révélé l’affaire du financement libyen que, « dans toute l’histoire juridique française, il n’y a jamais eu un ancien Président de la République, trois de ses collaborateurs les plus proches, qui seront jugés par un tribunal pénal pour avoir, selon l’ordonnance de renvoi des juges d’instruction, participé à une entreprise criminelle présumée ». Et d’ajouter, catégorique : « Bien que moins grossier et moins agressif, Nicolas Sarkozy est le Donald Trump français ».

Serge Bressan (correspondant à Paris)