La Belgique dans le top 5 mondial des faits impliquants des armes 3D et des personnes sensibles aux idéologies de droite radicale
Dans un récent rapport (juin 2024) publié par le chercheur canadien, Yannick Veilleux-Lepage, pour le compte du Combating Terrorism Center de l’école militaire de West Point aux Etats-Unis, on trouve la confirmation formelle qu’en Europe ce sont surtout les extrémistes de droite qui sont en ce moment les plus susceptibles de se procurer des armes imprimées. Cette piste (déjà brandie quelques mois plus tôt par Europol) n’est plus présentée comme une probabilité, elle est présentée comme une dynamique déjà en cours, y compris en Belgique. Les raisons pour lesquelles ces profils se procurent des armes 3D en ce moment sont multiples. Yannick Veilleux-Lepage pointe différents motifs. Premièrement, ces armes, du fait des raisons idéologiques qui les ont fait naître, sont vues comme des symboles de défiance vis-à-vis de l’Etat, du pouvoir au sens large et des institutions. Le fait de fabriquer son arme chez soi, en se jouant de la législation en vigueur, est conforme à l’idéologie libertarienne anti-gouvernementale qui gagne du terrain au sein de l’extrême droite européenne. L’OCAM rappelle que la menace de l’extrémisme de droite est minoritaire par rapport à la menace djihadiste.
De plus, les armes 3D offrent la possibilité de garnir un arsenal déjà existant sans risque d’éveiller les soupçons des autorités, soupçons ou vigilance que l’achat de nouvelles armes suscite nécessairement. Par ailleurs, ces armes permettent d’échapper aux contrôles de personnalité et de passif judiciaire qui sont faits, assez strictement en Belgique, avant d’octroyer un port d’arme. Imprimer des armes garantit d’échapper à la vigilance ou à la suspicion des services de police et de la justice.
La première menace reste la menace djihadiste, tant au niveau des différents signalements de menace reçus par l’OCAM.
Enfin, il y a aussi un enjeu économique. Imprimer des armes et les revendre peut s’avérer rentable, car les coûts de production sont vite épongés et le prix de revente permet d’engranger des profits rapides et conséquents. Le commerce d’armes 3D au sein d’un milieu qui s’y intéresse peut aider à financer les activités de ce milieu (entrainement, meetings, déplacements…).
La Belgique en haut du classement des saisies problématiques
Dans l’enquête de Yannick Veilleux-Lepage, on apprend par ailleurs que la Belgique se place au cinquième rang mondial des faits impliquants à la fois des armes 3D et des personnes sensibles aux idéologies de droite radicale. C’est un élément que les autorités belges n’avaient pas encore porté à la connaissance du grand public.
L’accélérationnisme gagne-t-il du terrain ?
Dans ses publications les plus récentes sur les armes 3D et leur prolifération, Europol pointe également l’extrémisme de droite comme un accélérateur potentiel de la propagation des armes 3D en Europe, tout en en précisant les caractéristiques : il ne s’agit pas de n’importe quelle mouvance mais bien de ce qu’Europol nomme l’accélérationnisme.
Le changement dont nous avons besoin pour agir ne surviendra que dans un contexte de crise. Un changement progressif n’apporte jamais la victoire.
Qu’est-ce donc que l’accélérationnisme ? Il en existe plusieurs variantes. Il est ici question de l’accélérationnisme extrémiste de droite qui vise à accentuer les clivages de nos sociétés par des actions violentes et déstabilisatrices. C’est une notion qui est largement diffusée en ligne, après avoir figuré dans le manifeste de Brenton Tarrant, l’auteur de la fusillade de la mosquée de Christchurch (Nouvelle-Zélande) en mars 2019.
Au chapitre « Déstabilisation et accélérationnisme : tactique pour la victoire » de ce manifeste, on lit ceci : « Le changement dont nous avons besoin pour agir ne surviendra que dans un contexte de crise. Un changement progressif n’apporte jamais la victoire. La stabilité et le confort sont les ennemis du changement révolutionnaire. En conséquence, nous devons déstabiliser et faire souffrir la société autant que possible ».
Accélérer la chute
En d’autres termes, selon Gert Vercauteren, directeur de l’OCAM (le centre fédéral de connaissance et d’expertise qui évalue la menace terroriste et extrémiste en Belgique), « On pourrait résumer l’accélérationnisme comme ceci : Pour accélérer la chute inévitable de notre société, des actes violents et des attentats sont nécessaires pour que la population comprenne plus rapidement que la fin est proche et qu’il faut agir dès maintenant ».
Le but ultime de l’accélérationnisme est effectivement celui d’aboutir à une guerre civile – d’en accélérer la probabilité en tout cas – afin de rebattre les cartes. Cette guerre civile aurait ensuite pour fondement un élément racial qu’on peut résumer comme ceci : les blancs soucieux de leur préservation contre tous les autres.
A la marge de la marge
Cela dit, comme tient à le préciser un agent de l’OCAM qui travaille quotidiennement sur ces questions : « On retrouve cette idée dans de petits cercles de la mouvance néo-nazie. En Belgique, ça représente vraiment très peu de personnes ». Et Gert Vercauteren d’ajouter : « C’est un concept assez connu, mais c’est quand même une idée très extrême. Le nombre de personnes prêtes à passer à l’acte au nom de l’accélérationnisme est évidemment très réduit ».
La Belgique est-elle vraiment concernée ?
Dans ses récents rapports, Europol associe directement le courant accélérationniste à la possibilité d’une prolifération fulgurante des armes 3D en Europe. Europol prend notamment exemple sur un cas récent : en juillet 2023, la police finlandaise a révélé l’existence d’un groupe néo-nazi prévoyant de commettre des attaques violentes au moyen d’armes imprimées.
Utilisateurs d’Odysee, la plateforme de référence aujourd’hui pour trouver les plans permettant de fabriquer ce type d’armes, ces hommes ne cachaient pas l’interférence entre leur fascination pour les armes 3D et pour les théories néo-nazies.
On voit en effet apparaître de jeunes profils, certaines fois mineurs, inconnus de nos services, séduits par la propagande en ligne et qui finissent par avoir des convictions très extrêmes.
En Belgique, quatre mois plus tard, le 9 novembre 2023, c’est un schéma identique qui a été révélé à la presse par les autorités belges. Lors de l’interpellation d’un très jeune couple de néo-nazis en Flandre (à Diepenbeek), les enquêteurs ont saisi à la fois des drapeaux nazis et des plans d’armes 3D. En ligne, Daan (23 ans) et Kayley (21 ans) recrutaient des complices, souvent mineurs. Ils appelaient à commettre des attentats politiques sur notre sol tout en partageant leurs manuels de fabrication d’armes à feu.
Un cas de figure que Gert Vercauteren (directeur de l’OCAM) inclut dans une dynamique globale récente : « On voit en effet apparaître de jeunes profils, certaines fois mineurs, inconnus de nos services, séduits par la propagande en ligne et qui finissent par avoir des convictions très extrêmes ».
L’extrême droite et l’extrémisme de droite
Le concept de « grand remplacement » occupe une place centrale dans la mouvance accélérationniste. Un concept qui a déjà engendré près de 70 attentats dans le monde depuis 10 ans et dont les effets concrets connaissent en ce moment une augmentation de 320 % d’après l’ONU.
Ce concept bien connu est loin d’être un tabou en Belgique. Quand en mai 2023, le député Filip Dewinter (Vlaams Belang) a invité le père de cette théorie au parlement flamand (Renaud Camus, un Français qui se dit pourtant hostile à toute forme de violence), il lui a souhaité la bienvenue dans une « ville où le grand remplacement a déjà eu lieu » tout en précisant qu’il allait continuer son discours en néerlandais, mais que d’ici 20 ans « le président du parlement (…) parlera probablement en arabe ». Ces phrases prononcées devant les caméras sur le ton de l’humour et de l’évidence favorisent leur circulation en ligne.
La menace de l’extrémisme de droite est minoritaire par rapport à la menace islamiste qui reste de loin la plus prégnante en Belgique.
Cela dit, l’OCAM tient à faire une différence entre l’extrême droite qui joue le jeu de la démocratie et l’extrémisme : « L’extrémisme de droite, ça n’est pas l’extrême droite. A partir du moment où des personnes incitent à la haine ou à la violence ou propagent la violence comme un moyen d’action légitime, là on entre dans le champ de l’extrémisme », précise le directeur de l’OCAM, Gert Vercauteren. Il nous signale par ailleurs que cette menace-là est minoritaire par rapport à la menace islamiste qui reste de loin la plus prégnante en Belgique. « La première menace reste la menace djihadiste, tant au niveau des différents signalements de menace reçus par l’OCAM qu’au niveau des différents dossiers qui nous sont communiqués par la police, le parquet et les services de renseignement », souligne-t-il.
En clair, la menace que représentent les extrémistes de droite en Belgique ne représente « pas plus de 5% des signalements ». En chiffres cela se traduit de la façon suivante : « Dans la banque de données commune de l’OCAM, le nombre d’extrémistes de droite est de cinquante environ. Ce chiffre s’est stabilisé après un pic à soixante-cinq (sur 600 entités au total). Il s’agit principalement de propagandistes de haine et d’extrémistes potentiellement violents (des personnes qui ont potentiellement la volonté de passer à l’acte) » selon le directeur de l’OCAM Gert Vercauteren. Le phénomène accélérationniste est donc à en croire les experts de l’OCAM, un courant très minoritaire en Belgique.
J.B.