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Police/Justice
FRANCE. L'instruction de l’assassinat du professeur Samuel Paty est donc terminée. Les magistrats ont décidé de renvoyer 14 personnes devant les tribunaux. Deux procès auront lieu, l’un en Cour d’assises pour huit majeurs, tandis que six adolescents seront jugés devant le tribunal des enfants. L’auteur des faits, un Tchétchène de 18 ans, lui, ne passera jamais devant les juges : il avait été abattu par la police quelques minutes après avoir égorgé l’enseignant de 47 ans « coupable » de blasphème.
Samuel Paty était un bon prof, un prof comme en rêverait d’en voir dans tous les établissements. Totalement investi dans son métier, enseignant dans l’âme, il ne se contentait pas de répéter machinalement une leçon apprise depuis des années mais faisait tout rendre ses leçons vivantes. Il aimait ses élèves, il voulait les préparer à la vie en société comme à la poursuite de leurs études. Il voulait qu’ils réussissent.
Une leçon sur la liberté d’expression
Professeur d’histoire-géographie au Lycée de Conflans-Sainte-Honorine – une commune de 36 000 habitants en banlieue de Paris, dans le département des Yvelines -, il était notamment en charge d’un cours d’enseignant moral et civique, une manière d’expliquer la société et ses complexités aux adolescents et de les préparer à être, aussi, de bons citoyens.
Le 5 octobre 2020 il consacrait une leçon à la liberté d’expression pour une classe de quatrième (accueillant des enfants de 13 à 14 ans). Pour illustrer son propos, il décidait de montrer à ses élèves deux caricatures de Mahomet publiées par Charlie-Hebdo. Auparavant, il avait eu la prudence (et la délicatesse) de proposer à ceux qui ne voulaient pas voir ces images de sortir de la classe.
La leçon se passe bien, mais en rentrant chez elle, Zaina, une élève, parle du cours à son père, Brahim Chnina, un individu radicalisé qui connait Abdelhakim Sefrioui, un intégriste militant franco-marocain animant le « Collectif Cheikh Yassine », une petite organisation faisant de la propagande pour le Hamas et participant aux activités de divers groupuscules extrémistes.
Le profil inquiétant de Sefrioui
Bien connu de la police et des services de renseignements pour divers incidents violents et menaces diverses souvent proférées à l’encontre de musulmans modérés (comme Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de Paris ou Hassen Chalghoumi, imam de Drancy, auxquels il reproche d’entretenir de bonnes relations avec la communauté juive), proche de Dieudonné mais aussi des milieux négationnistes de l’ultra droite, Sefrioui a de quoi inquiéter.
Au point d’amener le préfet de Seine-Saint-Denis (son département de résidence) et le directeur du Renseignement intérieur à demander une déchéance de nationalité. Ils ne l’obtiennent pas, mais en 2015, Sefrioui est inscrit au Fichier des Signalements pour la Prévention de la Radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).
Menaces, messages dénigrants, vidéos : prologue à un drame annoncé
Le 8 octobre, Brahim Chnina commence à publier, sur les réseaux sociaux, des messages dénigrant Samuel Paty et révélant son nom et l’adresse du lycée où il enseigne. Dans les jours qui suivent, avec Sefrioui et quelques parents d’autres élèves, il se rend dans l’établissement et exige de sa direction le licenciement de Samuel Paty.
Puis, durant plusieurs jours, Chnina et Sefrioui se présentent devant l’établissement, toujours porteurs de la même revendication. Dans le même temps des messages de plus en plus violents sont publiés et deux vidéos de la même eau sont diffusées sur différents réseaux et sites. Dans l’une d’elle, Zaina raconte à quel point elle a été traumatisée d’avoir été « forcée » de regarder les illustrations de Charlie-Hebdo. Les coups de téléphone menaçants à la principale du lycée se multiplient, preuve que l’affaire prend de l’ampleur.
Le 8 octobre, Brahim Chnina a également déposé plainte à la police pour « diffusion d’images pornographiques » à des mineurs. A nouveau, sa fille explique qu’elle a été choquée par le comportement de l’enseignant. Le 9 octobre, dans une note, les Renseignements territoriaux confirment pourtant que Samuel Paty a bien proposé aux élèves musulmans qui le souhaitaient de quitter la salle. Samuel Paty dépose plainte, à son tour, le 12 octobre, pour « diffamation et dénonciation calomnieuse ». Le 14, Brahim Chnina ne se présente pas à une convocation de la police.
A peu près au même moment, un certain Abdoullakh Anzorov commence à échanger des messages avec Chnina, via WhatsApp. Il correspond également avec Zaina et un autre élève fréquentant l’établissement.
16 octobre 2020 : le guet-apens
Le 16 octobre, Anzorov se fait conduire en voiture à Conflans-Sainte-Honorine par un ami. Il y arrive en début d’après-midi. Il connait l’adresse de l’établissement et le nom du professeur mais est incapable de l’identifier. Vers 14 heures, il aborde donc deux élèves âgés de 14 ans et leur propose 350 euros pour lui désigner Samuel Paty qu’il veut, diront les lycéens aux policiers qui les interrogeront,
« forcer à demander pardon, humilier et frapper ».
Le petit groupe reste sur place durant trois heures, d’autres lycéens venant régulièrement discuter avec eux. Elément particulièrement consternant : aucun des adolescents qui entourent Anzorov et l’entendent expliquer calmement qu’il veut agresser le professeur ne juge bon de prévenir un responsable de l’établissement que quelque chose de bizarre (pour le moins) est en train de se passer et qu’une tragédie pourrait se produire.
Vers 16h50, Samuel Paty sort de l’établissement. Il est aussitôt signalé à Anzorov qui le suit et le rejoint non loin de là, rue du Buisson-Moineau.
A 16h55, tout est accompli : Anzorov publie sur Twitter une photographie de la tête de Samuel Paty. Trois minutes plus tard, à 16h58, il laisse, via Instagram, un message vocal de 28 secondes à deux de ses contacts localisés par la suite près d’Idleb, dernier bastion syrien du groupe Etat islamique et de Hayat Tahrir al-Sham, la branche syrienne d’al-Qaïda :
« Mes frères, que la paix soit sur vous, ainsi que la miséricorde d'Allah et ses bénédictions. J'ai vengé le prophète Mohammed, que les bénédictions d'Allah soient sur lui ainsi que la paix. C'est ce professeur qui a montré le prophète Mohammed, que les bénédictions d'Allah soient sur lui ainsi que la paix. Il l'a montré de façon offensante. »
Au même moment, des policiers municipaux découvrent le corps décapité de Samuel Paty et préviennent la police nationale qui envoie immédiatement sur place plusieurs véhicules de la BAC. Les policiers repèrent un suspect qui brandit une arme de poing (en fait, un pistolet à air comprimé) et court vers eux en faisant feu à cinq reprises et en hurlant « Allah Akbar ». Les fonctionnaires ripostent. Anzorov s’effondre mais tente encore de porter un coup de couteau à l’un des policiers. De nouveaux coups de feu partent. Anzorov est tué.
Le tueur salué comme en héros en Tchétchénie
L’enquête révélera qu’Abdoullakh Anzorov est un Tchétchène de 18 ans, bénéficiant du statut de réfugié politique par le biais de la demande d’asile de ses parents. Connu pour des faits de délinquance violente, il n’est pas encore fiché comme extrémiste mais fait preuve, depuis un certain temps, d’un comportement qui trahit sa radicalisation : il évite les femmes, multiplie les contacts avec la zone irako-syrienne et fait œuvre de prosélytisme vis-à-vis de son entourage et d’apologie du terrorisme sur les réseaux sociaux (ce qui lui vaudra trois signalements pour des messages diffusés sur Twitter).
Il sera enterré, le 6 décembre, dans le village de sa famille, en présence de 200 personnes qui le saluent comme un « lion de l’Islam ». Son père qui avait prétendu, lors de l’enquête avoir ignoré sa radicalisation se dira fier de son fils
« qui a défendu l’honneur de tous les musulmans et de tous les tchétchènes » et divers responsables locaux, jusqu’au président du parlement tchétchène, célèbreront un
« jeune mort dans le djihad ». On a les héros qu’on peut…