EDITO

Donner du sens à la peine privative de liberté

AFP

« A partir du 1er décembre prochain, même quinze jours devront être purgés. La Justice sera plus punitive que jamais ! Nous investissons dans des juges et des prisons supplémentaires », a déclaré à la mi-juin le ministre Vincent Van Quickenborne (Open Vld) en annonçant son plan de modernisation de la justice.

Marcelo Fernando Aebi est professeur à la Faculté de Droit, des sciences criminelles et d’administration publique de Lausanne. Il dirige l’équipe de chercheurs chargés de remettre les statistiques annuelles du Conseil de l’Europe en termes de surpopulation carcérale. « Le seul fait de mentionner la criminologie soulève souvent bien des malentendus. La criminologie est la science sociale qui étudie un comportement antisocial et la réaction sociale à ce comportement qui rend difficile la vie en communauté », précise-t-il en avant-propos de son dernier compte-rendu. La réaction sociale, c’est notre réponse donnée à la criminalité. Sous la pression du tout sécuritaire, dans notre pays, chaque ministre de la Justice successif poursuit invariablement cet entêtement aveugle à vouloir apporter la mauvaise réponse aux actes de délinquance posés. Ces effets d’annonce démontrent à tout le moins une certaine méconnaissance du secteur.

L’enjeu politique et sociétal (…) réside dans une autre manière d’appréhender la prison.

Si pour un petit nombre de condamnés à une peine privative de liberté, la prison peut susciter un électrochoc, pour la majorité d’entre eux, il augmente le risque de rechute. L’impact criminogène de l’enfermement s’avère bien réel. Deux siècles après sa naissance, la prison reste cependant toujours la peine de référence. Et pourtant, emmurer sans perspectives d’évolution ne rend pas meilleur. Les chiffres sont formels : l’emprisonnement ferme produit des taux de récidive bien plus élevés que lors de l’application de peines alternatives. Il en est de même des incarcérations longues comparées à de plus courtes. Et qui dit récidive, dit immanquablement surpopulation carcérale.

Face à cette augmentation constante du nombre de détenus, la Belgique réagit par un nouvel accroissement de son parc pénitentiaire. Cette stratégie s’avère vaine, puisque l’on sait que tous les pays à l’Europe ayant choisi cette solution ont vu leur taux de détention encore s’accroître. Nos prisons sont donc pleines, mais vides de sens. Plus de sévérité produit moins de sécurité.

Pour qu’elle soit efficace en termes de retour dans la société civile, il nous faut repenser la privation de liberté. Il nous faut réhumaniser la prison, non pas au sens moral de la rendre meilleure, mais tout simplement de montrer qu’elle est composée d’êtres humains. Les a priori véhiculés dans la société civile sur ce monde hors du monde ne devraient pas être synonymes d’abandon des missions et responsabilités dévolues à l’État. Certes, il faut punir lorsqu’un individu bascule dans l’agir criminel. Mais, veut-on se contenter de sévir ou veut-on proposer aux détenus de mettre ce temps suspendu à profit pour en tirer une leçon ?

Lorsqu’il y a décrochage sociétal, lorsqu’un individu se désiste de ses responsabilités civiques qu’imposent le vivre-ensemble, trois étapes sont impérativement nécessaires pour positivement quitter le pays de l’Ombre et réintégrer la norme : la prise de conscience, l’acceptation du mal accompli, aux autres, comme à soi-même, et la résilience, soit : comment rebondir après une épreuve traumatique ?

Or force est de constater que l’administration pénitentiaire en la forme actuelle ne propose rien ou si peu. Deux heures de promenades par jour, au mieux, très peu d’activités artistiques et culturelles et pas de travail décent, dont le fruit économique pourrait pourtant permettre de préparer au mieux une sortie. Pire, une grande majorité de la population carcérale est peu instruite et il est paradoxalement reproché aux détenus de ne pas conscientiser ce dont, par cumul de circonstances, ils n’ont pas eu la maîtrise. Comment, en effet, comprendre et apprendre de ses erreurs sans bases éducatives solides ?

Désocialisé et précarisé lorsqu’il quitte l’univers carcéral, l’ex détenu n’a que peu de chances de s’en sortir. Les statistiques sont cinglantes : 66% de ceux qui vont à fond de peine récidivent dans les trois ans de leur sortie. Des programmes de formation, d’insertion professionnelle, d’accompagnement psychologique et social font pourtant leurs preuves depuis des années dans les pays scandinaves, avec un taux de réinsertion réussie qui frise les 90%. Selon un plan initié il y a près de 30 ans, en Norvège, au Danemark et en Suède, la politique carcérale suit une logique réparatrice de Justice dite « restauratrice ». Les mesures alternatives comme les peines d’intérêt général sont favorisées. Aux établissements pénitentiaires fermés sont privilégiés les centres dits semi-ouverts et ouverts. Encadré, le détenu sort la journée pour suivre un cursus formatif, que ce soient des études ou une formation professionnelle. Le taux d’évasion constaté est proche de zéro. Les détenus réintègrent l’établissement pénitentiaire le soir simplement parce que des perspectives leur sont offertes.

D’autres initiatives positives se sèment de par le monde. Dans la mythique prison de San Quentin, en Californie, considérée comme une des plus dures encore à l’heure actuelle, les détenus apprennent à coder pour devenir de futurs développeurs web. Au Brésil, ils pédalent, rémunérés, dans la salle de gymnastique pour produire de l’électricité à destination des villages voisins. Plus proche de nous, dans la prison de Padoue, en Italie, les détenus sont pâtissiers et fournissent les boulangeries de la région. A Marseille, un projet pilote leur a permis de créer leur propre potager dans l’enceinte pénitentiaire.

Il n’est pas inutile de rappeler ici que le droit à l’éducation en prison est un droit fondamental. Par « éducation en prison », le Conseil de l’Europe vise l’instruction de base et la formation professionnelle, mais aussi les activités créatrices et culturelles, l’éducation physique et le sport, l’éducation sociale et le droit d’accéder à une bibliothèque. En vertu des recommandations de la 4ème Conférence Internationale de l’UNESCO sur l’Education des Adultes, le droit à l’éducation en prison englobe aussi le droit de savoir lire et écrire, le droit de questionner et de réfléchir, le droit à l’imagination et le droit à la création.

Face au durcissement des peines incompressibles préconisé dans les systèmes pénaux dits sécuritaires comme le nôtre, il est par ailleurs constaté que l’exécution d’une peine privative de liberté s’avère plus porteuse de sens, en termes de réinsertion, lorsqu’elle est assortie d’une proposition de réduction de peine, accordée au détenu au mérite, pour bonne conduite, études, formations ou remise en perspective. C’est ainsi que depuis 2009, dans la prison de Cantaduvas, au Brésil, un livre lu et résumé correspond à quatre jours de remise de peine. La lecture en prison doit donc impérativement aussi faire partie d’un projet global réhabilitant, couplée à des cours de français, d’histoire et des ateliers d’écritures.

Tout l’enjeu politique et sociétal est là. Il réside dans une autre manière d’appréhender la prison.  Comme le rappelle l’anthropologue Didier Fassin dans « Punir, une passion contemporaine », « on n’enferme pas plus parce qu’il y aurait plus de criminels, mais parce que nos sociétés sont plus intolérantes ». Le non-respect des Droits de l’Homme et le châtiment couperet sont devenus une nouvelle radicalité alors qu’éduquer les détenus à renouer avec la société civile est le seul facteur susceptible de contribuer à une baisse de la population carcérale. À ces conditions de réforme nécessaire seulement, une prison pédagogique, et surtout humaine, peut devenir l’exception tandis que la prévention de la récidive l’objectif.