CATASTROPHE NATURELLE

Inondations : entre désolation et réconfort en province de Liège


La province de Liège, zone sinistrée. Des centaines de personnes ont été évacuées depuis hier, certains dans des barques de fortune, aidées par des voisins bienveillants, impactés eux aussi par les intempéries qui frappent depuis deux jours les communes liégeoises. D’autres attendent encore les secours. Submergés.  Ce jeudi matin, la région s’est réveillée désolée, émue, triste, effarée. Certains ont tout perdu en quelques heures. Face aux flots violents des rivières et du fleuve, des dizaines de badauds observent encore choqués, la violence des cours d’eaux, parfumés de mazout, faisant défiler, les reliquats de la vie des autres…Ces riverains silencieux semblent chercher dans le regard et la présence de leurs voisins, compassion et réconfort face à la funeste réalité des choses.

Les sirènes des services de secours ne s’arrêtent pas. Elle résonne partout, toutes les cinq minutes. Elles rythment les nuits et les journées depuis 48 heures. On devrait les entendre toute la nuit encore. Alors qu’hier soir, un taureau venu des campagnes, était rattrapé de justesse à la hauteur du pont de Belle-Ile, dans les eaux de la Dérivation, ce soir, le pont, rattrapé lui aussi par le cours de la rivière gonflée par les eaux de la Vesdre, résiste, mais pour combien de temps encore. Sur les berges du quai des Ardennes, les riverains se pressent aux abords de l’un des nombreux amoncellements de déchets, troncs d’arbres, morceaux de plastique, bonbonnes de gaz, frigo, lit d’enfant, des vêtements… la vie d’autres en somme, la vie de ceux qui n’ont pas eu la chance de n’être que spectateur de ces inondations, les pires que Liège aient connues depuis 30 ans. « Et encore, je ne me souviens pas d’avoir vu ça de ma vie, mais mon grand-père me parlait des intempéries des années 20 », confie Anne-Marie, 85 ans, venue jetée un œil « pour voir si c’était vrai ».  En cause, les pluies diluviennes de ces deux derniers jours évidemment, mais aussi des précipitations de la semaine dernière. L’handicapant chantier du barrage de l’île Monsin où deux vannes sur six fonctionnent à peine a aggravé la situation sur le front des inondations. Conséquence, l’évacuation des plus de 2500 m3 d’eaux que la Meuse doit absorber (on parle de plus de 3000m3 d’ici la fin de la nuit prochaine) s’en trouve problématique. Des eaux provenant au départ de la Vesdre et de la Hoegne, sont venues grossir le cours de l’Ourthe et de la Dérivation.

Toute la journée, badauds et photographes, professionnels ou amateurs, ont suivi le lit tantôt de la Meuse, tantôt de l’Ourthe ou de la Dérivation afin d’immortaliser le funeste événement estival. A l’instar de centaines de familles calidifontaines, tilffoises, ou theutoises, pour ne citer qu’elles, Jérôme, 36 ans, a été tenu d’évacuer sa maison de l’esplanade Saint-Léonard en début d’après-midi. « C’est horrible, on ne sait pas ce qui va se passer. Je vais chez mon frère, sur les hauteurs de la ville. On a pris un sac, quelques machins, les enfants, le chat et nous voilà… à quitter notre chez nous à pied. C’est triste à pleurer. J’ai déjà peur de revenir et je n’ai aucune envie de partir. J’ai du mal à croire que ça se passe à Liège, en Belgique, à notre époque des trucs pareils ». Plus loin, les équipes de télévision, des journalistes allemands, néerlandais commentent en direct la violence des eaux de la Meuse soulignant tout le côté « unique » de la catastrophe naturelle.

Sur le pont Saint-Léonard, on circule encore, au pas. De nombreux riverains du bord de Meuse préférant exécuter l’ordre de police d’évacuation que d’attendre que l’eau ne déborde les berges du fleuve. Adeline va rejoindre ses parents sur les hauteurs de Visé. « Ben voilà, on part, vous voyez, on a pris l’essentiel. C’est affreux, car c’est si soudain, et la météo qui annonce grand soleil le week-end ! Que faut-il comprendre ? Je préfère partir, c’est quand même plus rassurant ». A l’arrière du véhicule, sa fille se presse contre son chien, compagnon d’exil. Une poupée à la main.

Sur le coup de midi, sur la Dérivation, la violence des flots semble à son apogée. Le bras d’eau promène troncs d’arbres arrachés sur son chemin, poussettes, machine à laver, matelas, morceaux de bois de toutes sortes, portes entières… une odeur de mazout émane des eaux, une puanteur insoutenable par endroit. « Ça provient des maisons touchées sur Chênée, le quartier est inondé », lance Georges, 56 ans venu faire une petite vidéo à envoyer à son fils, parti pour Malte. Un bref débat s’entame au bord de l’eau entre quelques riverains tenant à contredire gentiment ce propos et à parler du climat. « Ils l’avaient dit que le climat déconnerait, ben voilà ! On y est », rétorque une dame venue en botte apprécier le spectacle.  Tout au bout du parc de la Boverie, les Arcs de Venet, ont disparu. Seule respire encore, la colonne rescapée, elle aussi, de l’Expo universelle de 1905,  jouxtant l’Union nautique. Le Pont Hennebique, témoin lui aussi de l’Expo est fermé aux promeneurs. On dit de lui qu’il pourrait s’effondrer. Il est pourtant voué à réfection. « Maman regarde », lance Mohammed en pointant du doigt une chaise rouge surnageant sous le pont de Fragnée. « Viens, on s’en va », répond sa mère, visiblement apeurée par la montée des eaux et la violence des vagues que le fleuve fait claquer sous les piliers du pont des anges. Pendant ce temps-là, au Port des yachts, rive gauche, la cinquantaine de résidents des bateaux-maisons a été évacuée. L’une des navettes fluviales est à deux doigts de chavirer.

A Liège, les principaux ponts sont fermés à la circulation (ils rouvriront peu avant minuit). Rive gauche, les riverains sont aussi solidaires. Comme dans la rue de Rotterdam, à proximité de la place de Bronckart où Benoit Lismonde et ses voisins ont voulu agir. « On a décidé de monter un petit barrage au bout de la rue afin d’éviter l’arrivée de tous les déchets qui circulent sur la Meuse », explique-t-il. « Avec les voisins, des amis, on s’est barricadés en quelque sorte avec un peu de tout : des sacs de ciments, de sable, des planches… On verra bien. Les secours peuvent passer, ne vous inquiétez pas, mais on voulait faire quelques chose de positif, agir. Sans quoi, on se sent démuni. Et puis, si tout s’arrête, on boira un verre ensemble »

La solidarité enclenchée

A Liège, ce soir, ils seront encore nombreux à scruter les eaux du fleuve ou de la rivière. Ils seront encore nombreux devant leurs écrans à suivre les flashes spéciaux qui font du plan catastrophe des provinces du sud du pays, l’unique sujet. Willy Demeyer, en déplacement, reviendra demain en urgence. Pour l’heure, la bourgmestre f.f , Christine Defraigne appelle à la solidarité et à la responsabilité sans panique. A l’heure d’écrire ces lignes, selon nos informations, Liège ne compte aucun décès. Ce n’est pas le cas de toutes les villes de la province. A Verviers, qui n’a jamais connu pareilles crues, cinq personnes ont perdu la vie. Les communes de Pepinster, Theux, Tilff, Chaudfontaine sont coupées du monde… ou presque. A Tilff ou à ou Kinkempois (Angleur bas), des personnes attendent encore d’être secourues. Les pompiers non seulement restent débordés, mais sont empêchés par endroit à répondre aux SOS tant la force des eaux reste puissante. Sur les réseaux sociaux, les groupes et forums d’aide et d’appels à l’aide animent le fil des actualités. La solidarité répond présente comme un seul homme, comme toujours.

Ce soir, aux confluents des eaux de Liège, un homme tient fermement en laisse son labrador, il regarde, hagard, le triste spectacle des eaux chargées de souvenirs de sinistrés moins chanceux.  C’est certain, Covid ou pas, plus rien ne sera plus jamais pareil.