JUDICIAIRE

Samuel Little : un serial killer, des dessins et une énigme


Le serial killer le plus prolifique de l’histoire des États-Unis est décédé le 30 décembre 2020 à Lancaster, une prison d’Etat californienne. Condamné pour assassinat, il y purgeait une peine de prison à perpétuité. Un an après sa mort, les autorités cherchent toujours à identifier 31 de ses 93 victimes avouées, essentiellement des femmes. Les dessins du tueur en série pourraient être la clé de l’énigme. Ils viennent d’être publiés par le ViCAM (le Programme d’arrestation des criminels violents). Les enquêteurs espèrent que des membres de la famille, des amis ou des anciens voisins se manifestent afin de pouvoir procéder à des identifications.

Outre-Atlantique, le tueur en série américain, décédé à l’âge de 80 ans, est le criminel le célèbre du pays. Surnommé le « grim sleeper » (sombre dormeur), cet ancien boxeur choisissait exclusivement ses victimes dans des milieux défavorisés. Il repérait ses proies dans des bars, des boîtes de nuit ou dans la rue, avant de les enlever. A l’abri des regards, il les tuait invariablement par strangulation, avant d’abandonner leurs corps au bord de la route, en contre-bas d’une falaise ou dans une décharge. En s’attaquant aux invisibles de la société américaine, Samuel Little a ainsi échappé pendant près d’un demi-siècle à la Justice. La police n’a pas encore réussi à mettre de noms sur un tiers des victimes présumées et demande aujourd’hui de l’aide. Des portraits robots de ces dernières, qu’il a lui-même dessinées, ont été publiés par le FBI.

700 heures d’interrogatoire

Sans adresse connue ni de véhicule immatriculé, pas d’avantage de carte de crédit, l’homme aurait pu finir ses jours dans l’anonymat d’un refuge pour sans-abri du Kentucky. Mais en 2012, deux enquêteurs se mettent sur ses traces grâce à son ADN identifié sur les corps de deux femmes, Audrey Nelson et Guadaloupe Apocada, tuées dans la région de Los Angeles en 1987 et 1988.
Interpellé dans le cadre d’un trafic de drogue, il est condamné à la réclusion à perpétuité en 2014. Après ce jugement, son nom commence à clignoter sur les radars des services de polices américains. Le FBI recoupe ses dires et rouvre de vieux dossiers dont le mode opératoire ressemble étrangement au sien. À partir du mois de mai 2018, du fond de sa cellule, cet ancien boxeur commence alors à se raconter avec des dessins. Après 700 heures d’interrogatoire, il confesse 93 crimes, commis entre 1970 et 2005 à travers 19 États américains.

Des croquis glaçants

Durant ses interrogatoires, si Samuel Little a du mal à se rappeler des dates, il se rappelle à l’inverse de tout le reste avec une précision glaçante. Le tueur en série est extrêmement pointilleux sur les détails de son mode opératoire, comme sur le profil physique et les traits de caractère des femmes qui sont tombées dans ses griffes. Doté d’une mémoire hors norme, l’homme passe des heures, dans un atelier de la prison d’État de Lancaster (Californie), à dessiner les contours de celles à qui il a ôté la vie.
Tracées au pastel, elles sont représentées de face ou de trois quarts. Certaines ont l’air calmes, d’autres terrifiées, d’autres encore ont le regard mélancolique et le mascara qui coule le long des joues, mais elles portent toutes du rouge à lèvres aux nuances vives. Parfois une inscription se révèle sur le côté d’un croquis : « Mary Ann age 18 », « Atlanta Black college 1984 » ou « Houston ». Et puis, il a aussi ce commentaire tatoué sur une épaule : « Sam killed me but I love him » (« Sam m’a tuée mais je l’aime »).

En ce qui concerne les précisions vestimentaires, il est par contre impossible à ce stade pour les enquêteurs de définir si l’homme se souvient avec exactitude d’éléments tels que les bijoux, les bandeaux dans les cheveux ou les coiffures ou s’ils sont le fruit des délires d’un cerveau complexe.

Un besoin de confession

Durant tout son premier procès en 2014, Samuel Little criera pourtant à l’injustice et clamera son innocence. Quatre ans plus tard, sa version change radicalement. Le tueur en série lui énumère par le menu une longue liste d’assassinats jusqu’ici non résolus et il n’en finit plus de s’épancher. Pourquoi se livrer alors qu’il est déjà condamné à la prison à vie ? Est-il enfin pris de remords ? « C’est plus complexe que cela », nous explique Natalia Grynchychyn, hypno-thérapeute. « Il était en fin de vie et il se libèrait très certainement d’un poids, mais c’est plus probablement celui de sa propre souffrance originelle ».

Samuel Little vient d’un bourg perdu de Géorgie. Dès sa prime enfance, il est très régulièrement malmené par sa mère, une très jeune prostituée irresponsable. A plusieurs reprises, il est abandonné au bord d’un chemin glauque, à l’identique des endroits où il jettera lui-même plus tard le corps de certaines de ses victimes.

« Lorsque vous avez vécu un traumatisme inscrit dans votre histoire personnelle, l’extériorisation de la douleur se matérialise souvent par l’écrit, le dessin ou toute autre forme d’aptitude artistique. Par ailleurs, et de manière générale, notre cerveau n’aime pas être en manque de quelque chose. Samuel Little supporte mal la frustration. Il était en prison, enfermé. Il ne pouvait donc plus agir. Contraint à l’inactivité, il répondra donc à ses fêlures en faisant travailler la partie plus créative de son cerveau. Il compensera en quelque sorte en intellectualisant. Aussi macabre que cela puisse paraître, ces aveux crayonnés sont un exutoire, une manière de déposer un fardeau. Et il devait très certainement être dans un état modifié de conscience pour pouvoir le faire. Il ne percevait d’ailleurs probablement pas non plus qu’en agissant de la sorte, il aidait les enquêteurs ».

Une centaine d’arrestations

Samuel Little aura été arrêté plus de cent fois depuis un vol commis en 1956, à l’âge de 16 ans, qui lui vaudra un séjour en centre de détention pour mineur de l’Ohio. Son récit de vie dresse une cartographie du crime sur fond de zones de non-droits ravagées par la pauvreté et la drogue. C’est le monde où il est né, lui qui aurait vu le jour dans une prison, alors que sa mère y était incarcérée. Afin de combler les vides d’un parcours qui s’écrit encore en pointillé, il incombe à présent aux enquêteurs la lourde tâche de mettre un nom sur chacun des visages qu’il a dessinés. Si l’ensemble de ses méfaits devait se confirmer, Samuel Little détrônerait Gary Ridgway, le monstre de la Green River, considéré historiquement comme le plus grand tueur en série des Etats-Unis.

 

 

Copyright – Les portraits de ses victimes dessinées par Samuel Little – Département de la sécurité publique du Texas.