JUSTICE

Le Canada va autoriser des poursuites judiciaires dans l’espace


Droit spatial et nouveaux enjeux : les députés canadiens ont approuvé ce jeudi 28 avril, à Ottawa, une motion comprenant des modifications du Code criminel canadien pour permettre des poursuites concernant des crimes commis dans l’espace. Le texte vise à autoriser l’introduction de plaintes et la sanction d’infractions, délits ou crimes ayant lieu au cours d’un vol spatial ou sur la surface de la Lune. La question des crimes potentiels commis dans l’espace est apparue, en 2019, lorsque la NASA a enquêté sur ce qui a été qualifié de premier délit présumé dans l’espace. L’astronaute américaine, Anne McClain, était alors accusée d’usurpation d’identité par son ex-épouse.

Canadiens comme ressortissants étrangers

Les modifications se trouvent dans un projet de loi, long de 443 pages, approuvé par les députés canadiens et portant principalement sur le budget. L’un des amendements prévoit que « le membre d’équipage canadien qui est l’auteur, hors du Canada et au cours d’un vol spatial (…) d’un fait – acte ou omission – qui, s’il était commis au Canada, constituerait un acte criminel, est réputé avoir commis ce fait au Canada ». Autrement dit, tous les crimes commis dans l’ISS seront considérés comme ayant été commis sur le territoire canadien. Outre les ressortissants canadiens, les membres d’équipage étrangers pourraient également être poursuivis par le pays si les actes qu’ils commettaient portaient « atteinte à la vie ou à la sécurité d’un membre d’équipe canadien ou étaient commis à bord d’un appareil canadien ».

L’adoption du texte canadien a été approuvé à la Chambre des communes par 181 voix contre 144, survient alors qu’un astronaute canadien doit participer pour la première fois en mai 2024 à un vol en orbite lunaire, dans le cadre du projet de construction de la future station lunaire Gateway, mené à l’initiative de la NASA. Il fera partie de l’équipage d’Artemis II, la première mission lunaire habitée depuis 1972.

Premier délit présumé

La question des infractions potentielles commises dans l’espace est apparue, en 2019, lorsque la NASA a enquêté sur ce qui a été qualifié de premier crime présumé dans l’espace.
L’astronaute américaine, Anne McClain. Le lieutenant-colonel, aviateur supérieur de l’armée et pilote-instructeur, sélectionnée en 2013 et en mission pour six mois à bord de la Station spatiale internationale (ISS), a été accusée par son ancienne conjointe, Summer Worden, ancien officier de renseignement de l’armée de l’air et fondatrice d’une société de technologie, d’avoir accédé, depuis l’espace, au compte bancaire qu’elle partageait avec son ancienne épouse. Anne McClain avait nié ces accusations et affirmé qu’elles s’inscrivaient dans le cadre d’un divorce houleux. Au centre du conflit se trouvait la garde de leur fils de Worden, âgé de 6 ans.

Le New York Times a été le premier à faire état des accusations portées par Summer Worden, alors âgée de44 ans, contre Anne McClain, 40 ans, auprès de la Federal Trade Commission et du bureau de l’inspecteur général de la NASA. La technologie ISS éventuellement utilisée par l’astronaute pour réaliser l’usurpation d’identité appartenant à la NASA, c’est l’inspecteur général auprès de l’agence spatiale qui a été chargée de mener l’enquête. Elle sera finalement innocentée, l’accusatrice ayant fait de fausses déclarations.

Chaque pays conserve sa propre juridiction à bord de son module

Pas de vide juridique

Les lois sur Terre continuent donc à s’appliquer, y compris quand une ou plusieurs des personnes concernées se trouvent dans l’espace. Chaque pays conserve donc sa propre juridiction à bord de son module, comme le prévoit l’article 8 du traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique.
Il stipule ceci : « L’État partie au Traité sur le registre duquel est inscrit un objet lancé dans l’espace extra-atmosphérique conservera sous sa juridiction et son contrôle ledit objet et tout le personnel dudit objet, alors qu’ils se trouvent dans l’espace extra-atmosphérique ou sur un corps céleste ». Signé en janvier 1967, ce traité pose les grands principes applicables dans l’espace.

La possibilité de la peine de mort ?

La nationalité de la victime, comme celle du présumé agresseur sont aussi à prendre en compte, tout comme le lieu où a été commis le crime dans la station. « A bord d’un module américain, un ressortissant européen, en tuant un ressortissant américain, pourrait être jugé par les États-Unis et encourrait alors la peine capitale. Et parmi les autres Nations représentées sur l’ISS on a le Japon et les États-Unis, deux pays où la législation pénale est plus sévère », développe Maître Pierre-Stanley Perono, avocat en droit pénal et droit des affaires dans l’ouvrage « Les nouveaux enjeux de l’espace » (2021)

L’espace est un théâtre d’affrontement relativement récent. Toutes ces questions de droit pénal spatial demeurent cependant théoriques et, à l’heure actuelle, il est très difficile d’envisager concrètement comment serait gérée une telle affaire à 400 kilomètres au-dessus de nos têtes, étant donné qu’il n’existe aucune jurisprudence en la matière à ce jour.

L’avocat estime toutefois, que dans l’espace, on privilégiera sans doute la voie diplomatique, bien que cette solution soit imparfaite. « La voie diplomatique présente une difficulté puisqu’il y a un vrai problème de sécurité juridique. Nous sommes encore dans un droit qui laisse libre cours à la négociation et donc libre cours au rapport de force », précise-t-il, tout en rappelant que la NASA est le principal contributeur de l’ISS.

Si ces questions juridiques semblent a priori anecdotiques, elles sont pourtant capitales pour les pays qui financent l’ISS, alors que le tourisme spatial va se développer à bord de la station. De ce fait, les spationautes entraînés et triés sur le volet ne seront plus les seuls à occuper les lieux, créant des risques supplémentaires et nécessitant donc une législation claire et précise.

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