EDITO

L’Eurovision, symboliquement politique

AFP

Avec la victoire, hier soir, au Concours européen de la chanson du groupe ukrainien Kalush Orchestra, le public européen qui a voté a voulu assurément faire passer un message politique au continent et au-delà ; la victoire de l’Ukraine devenant par là même un symbole de solidarité envers le peuple de ce pays voisin, occupé depuis deux mois par l’oppression russe.

Cela n’enlève rien au talent des artistes du groupe Kalush Orchestra, ni même à la qualité de la chanson et de son interprétation, évidemment, mais une fois encore et cette fois plus que les autres, l’immense décalage entre le vote des jurys officiels nationaux des quarante pays ayant droit de vote et les voix transformées en points du public européen questionne. Comme s’il n’y avait qu’à l’Eurovision que la voix des peuples européens était écoutée et relayée.

Bien entendu, il ne s’agit que d’un concours de chansons, ô combien moqué ces deux dernières décennies, mais la victoire de l’Ukraine est signifiante.
Ce n’est pas nouveau que l’Eurovision sert de lieu de passage d’un message sociétal ou politique. La victoire d’artistes transgenres en fut déjà la preuve par le passé. L’Eurovision est devenue au fil du temps non plus le lieu de l’élégance (ou si rarement) et de la pure chanson à texte en langue nationale et à la mélodie qui assurément populaire et joyeuse l’emportera. D’ailleurs, la plupart des pays ne chantent plus qu’en anglais. Et on peut le regretter.
Car au vue de la prestation renouvelée, en fin de soirée, par l’élégante Gigliola Cinquetti, 74 ans, gagnante de l’Eurovision pour l’Italie en 1964, avec  « Non ho l’eta » (Je n’ai pas l’âge), le titre n’a pas pris une ride et raisonne encore comme un air qu’on aime.
Evidemment, les époques évoluent, il le faut mais est-ce toujours dans le bon sens? Les prestations, masquée de l’Australie ou celle outrageusement sexy de l’Espagne, hier soir, questionnent.

Volodymyr Zelensky  souhaite que l’Eurovision 2023 soit organisée à Marioupol

Revenons à nos courageux Ukrainiens à qui on doit reconnaitre la victoire et apprécier l’interprétation de leur rap dans leur langue nationale. Et à l’écouter de plus près, ce titre vainqueur, il n’est pas si mal que ça. Bien entendu, vous ne l’entendrez plus jamais sans doute, sauf si vous la recherchez sur la toile. Il est loin aussi le temps où fort de son succès tout chaud, le vainqueur de l’Eurovision arpentait les ondes dès le lendemain et durant plusieurs jours. Ainsi va la vie…

Il n’empêche, symbolique ou politique, la victoire écrasante de l’Ukraine sur les autres titres en lice peut-être plus appréciés par les professionnels, mérite le respect. Les protagonistes de Kalush Orchestra, s’en sont venus chanter leur chanson, fiers d’être ce qu’ils sont et de représenter leur pays en proie aux bombes et pourtant proche d’à peine 1 500 km de chez nous. Et puis, l’ayant emporté, et après avoir lancé «S’il vous plaît, aidez l’Ukraine et Marioupol! Aidez Azоvstal», ces garçons de l’Est s’en sont repartis combattre.

Oui, cela, les commentateurs non surpris de la victoire de l’Ukraine hier soir, n’en n’ont pas dit un mot.

Faussement moqueurs après l’annonce des résultats et des plus de 400 points accordés par le public européen (un record historique dans l’histoire du concours) à l’Ukraine jusqu’alors en milieu de tableau, ils ont eu vite fait de rendre l’antenne, attendant à peine la prestation des vainqueurs. Nul doute qu’ils furent déçus d’envisager peut-être de commenter depuis Kiev l’Eurovision 2023 qui, quoi qu’il arrive, selon eux, aura bien lieu. En Ukraine ou ailleurs.  De son côté, Volodymyr Zelensky  a d’ores et déjà annoncé vouloir que la prochaine édition du concours soit organisée à Marioupol, en terre meurtrie.

Quoi qu’on en pense, bravo à Kalush Orchestra qui n’a pas démérité sa victoire aussi symbolique soit-elle. L’Ukraine a gagné, l’Ukraine l’emportera, voilà le message lancé par les peuples européens au-delà des frontières. Et tant pis, si ce Concours de l’Eurovision italien n’aura servi qu’à ça.

L’histoire ne dit pas encore si Poutine aura boycotté l’information dans les médias russes. La Belgique ? Elle finit bonne 19ème, Jérémie Makiese,  a fait ce qu’il a pu mais dans le contexte géo-politique actuel, pouvait-il vraiment faire mieux ? La France ? Ah, elle finit avant-dernière. Les pronostics ont eu raison de la chanson des bretons.