JUDICIAIRE

L’extradition d’Hassan Iquioussen suspendue à une condition de « double incrimination »

Le ministre Gérald Darmanin veut expulser l'imam Iquioussen vers le Maroc, mais les choses sont loin d'être aussi simples. Belga/AFP

Membre de Musulmans de France, une organisation réputée proche des Frères musulmans et fondateur des Jeunes musulmans de France, le « prêcheur des cités » a été arrêté ce vendredi 30 septembre en Belgique, en région montoise. L’homme était recherché depuis la fin du mois d’août, période à laquelle il a disparu des radars, après la décision d’expulsion et l’émission d’un mandat d’arrêt européen délivré à son encontre par un juge d’instruction de Valenciennes, pour « soustraction à l’exécution d’une décision d’éloignement ». Mais l’affaire Iquioussen n’est pas encore terminée. Si une coopération judiciaire est en cours entre la Belgique et la France, l’avenir de l’imam demeure cependant incertain, non d’un point de vue politique, mais parce que suspendu à une finesse du droit : la condition de la « double incrimination », tel que l’explique Thomas Herran, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles/Institut de Sciences Criminelles et de la Justice, à l’Université de Bordeaux, dans Le Club des juristes, le premier Think Tank juridique français.

Depuis le 29 juillet 2022, Hassan Iquioussen est visé par un arrêté d’expulsion en raison de discours antisémites et misogynes. Il a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Paris pour contester son expulsion. Début août, le juge parisien rendait une ordonnance de suspension de la mesure d’extradition. Frappée de recours par le ministère de l’intérieur, le conseil d’Etat annulait, le 30 août 2022, l’ordonnance du tribunal administratif de Paris et rejetait la demande de suspension de l’arrêté aux motifs que la décision de retrait du titre de séjour et d’expulsion vers le Royaume du Maroc ne portait atteinte ni aux libertés d’expression et de religion, ni au droit au respect de sa vie privée et familiale, ni l’exposait à un traitement inhumain et dégradant. L’arrêté d’expulsion devenait alors exécutoire. Mais la fuite du prédicateur Hassan Iquioussen en Belgique n’a pas permis son expulsion. Depuis le 2 septembre 2022, celui-ci est visé par un mandat d’arrêt européen.

Les grandes étapes à venir

 Depuis 2004, le mandat d’arrêt européen permet et organise l’arrestation et la remise d’un suspect à la justice du pays qui le demande pour le poursuivre et le juger. Ce mandat d’arrêt européen peut aussi être délivré après condamnation d’un suspect. Dans ce cas, il est délivré pour permettre l’exécution d’une peine d’emprisonnement. La procédure est menée par les autorités judiciaires des deux pays concernés.

En l’espèce, l’imam controversé a déjà fait savoir, par le biais de son conseil, maître Lucie Simon, dans un communiqué qu’il compte sur la Belgique pour résister aux pressions politiques de Paris : « Hassan Iquioussen fait confiance à la justice belge pour ne pas céder aux pressions d’un exécutif français avide d’un trophée médiatique pour servir un agenda législatif funeste ». 

Or, d’un point de vue du droit, un individu peut ne pas être d’accord avec sa remise au pays qui le demande, mais il n’a toutefois pas le pouvoir de la refuser. Il peut seulement consentir ou non à sa remise. Si c’est le cas, il sera remis dans les dix jours à la justice de l’Etat émetteur du mandat d’arrêt européen. Si ce n’est pas le cas, il devra lui être remis dans les nonante jours. La décision sera prise par les autorités judiciaires, abstraction faite de toute considération politique.

La condition de la « double incrimination »

Si la décision d’extradition d’Hassan Iquioussen est critiquée par son avocate qui « conteste la qualification retenue considérant que l’iman ne peut se voir reprocher la soustraction à la décision d’expulsion puisqu’il a spontanément quitté le territoire français et donc exécuté de lui-même l’arrêté préfectoral, ce fait ne peut être utilement invoqué devant la juridiction belge car cette dernière n’est pas compétente pour vérifier la qualification retenue par la France et l’application de l’infraction aux faits », explique Thomas Herran.

En revanche, la justice belge va devoir statuer sur l’exécution du mandat d’arrêt européen, en examinant notamment si l’infraction poursuivie en France possède un équivalent en Belgique. « Les textes prévoient que l’exécution du mandat d’arrêt européen peut être refusée si les faits reprochés au mis en cause ne sont pas incriminés à la fois dans la législation de l’Etat d’émission et dans celle de l’Etat d’exécution », précise-t-il.

Or, « si le droit belge incrimine, à l’article 75 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, le fait pour un étranger d’entrer ou de séjourner illégalement dans le Royaume, une situation pouvant résulter de l’existence d’une mesure d’éloignement, ce même article ne semble pas réprimer en tant que tel le fait de ne pas respecter une décision d’expulsion. En d’autres termes, l’infraction reprochée en France à Hassan Iquioussen ne serait pas exactement la même que celle incriminée en Belgique. Aussi, les juridictions belges pourraient considérer que la condition de la double incrimination n’est pas respectée sur le fondement de l’article 5 de la loi belge du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen ».

Et de retour sur le territoire français ?

Si Hassan Iquioussen est néanmoins extradé, une procédure administrative prendra ensuite le relais. Le prédicateur sera mis en centre de rétention administrative et sera normalement expulsé vers son pays d’origine. Nouveau problème, en effet, fin août dernier, le Maroc a suspendu le « laissez-passer consulaire » qu’il avait délivré à l’imam afin de permettre son expulsion vers ce pays. La raison invoquée ? Le fait qu’il « n’y avait pas eu de concertations avec les autorités marocaines », au lendemain de la décision du conseil d’Etat ouvrant la voie à son expulsion. Ce dossier promet donc à l’évidence encore quelques tribulations avant de trouver son issue …