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Etats-Unis : la sécurité intérieure fête ses vingt ans avec un bilan mitigé


Le département de la sécurité intérieure des États-Unis (DHS, ou « Department of Homeland Security ») fête son vingtième anniversaire et ce, dans un contexte où la menace terroriste qui avait précipité sa création a évolué. Mais l’agence peine, c’est le moins que l’on puisse dire, à faire la preuve de son efficacité et à s’adapter aux nouvelles menaces.  

C’était l’une des suites des attentats du 11 septembre 2001 : après avoir constaté les faiblesses des agences de renseignement américaines, et surtout leur manque de coordination et l’absence presque totale d’échanges entre la CIA et le FBI dans les années qui avaient précédé les attentats les plus meurtriers commis à ce jour, l’administration Bush décidait de mettre sur pied une « super agence » qui allait pallier toutes ces faiblesses.

A la tête de 22 agences différentes

La mission première du DHS, dirigé par l’ancien gouverneur de Pennsylvanie, Tom Ridge, qui prenait ses fonctions le 24 janvier 2003, était alors, tout naturellement, de coordonner la stratégie nationale globale de sécurisation du pays contre le terrorisme.

DHS emploie directement près de 350 000 personnes pour un budget annuel global estimé à 100 milliards de dollars

Vingt-deux agences différentes dépendant d’une demi-douzaine de ministères – du service des Douanes au « Secret service » (chargé de la protection du président, du vice-président et des chefs d’Etat étrangers en visite), en passant par l’Immigration,  la Sécurité des Transports, l’Inspection vétérinaire ou la Sécurité nucléaire – étaient immédiatement incorporées à la nouvelle administration qui devint, de ce fait, le troisième employeur public de Washington (après la Défense et les Anciens combattants) avec environ 250 000 fonctionnaires.

Il s’agit à ce jour du plus important remaniement de l’appareil sécuritaire depuis le « National Security Act » de 1947, qui avait, entre autres, créé la NSA et la CIA. Mais la CIA et Le FBI (avec lequel le DHS continue à entretenir une sourde rivalité) échappait à son contrôle.
Quinze ans plus tard, le DHS voyait encore ses prérogatives s’élargir lorsque Donald Trump promulguait, en novembre 2018, la loi sur la cybersécurité et la sécurité des infrastructures.

Une structure complexe

Si la création du DHS visait à simplifier les choses et à fluidifier la circulation de l’information entre les différents responsables de la sécurité, le moins que l’on puisse dire est que le but n’a pas vraiment été atteint.
S’il contrôle effectivement des agences importantes, la communauté du renseignement (les Etats-Unis ne comptent pas moins de 16 agences de renseignement, la plus connue étant la CIA) sont, depuis 2004, placées sous l’autorité du « Director of National Intelligence » (DNI) qui rend compte directement au président tandis que le FBI dépend à la fois du DNI et de l’Attorney General (ministre de la justice) tandis que le renseignement militaire et la NSA continuent à prendre leurs ordres au Pentagone.

Une complexité qui est à l’image de la puissance tentaculaire de l’appareil de sécurité américain : DHS, communauté du renseignement et Défense confondus, emploie directement près de 350 000 personnes pour un budget annuel global estimé à 100 milliards de dollars. Et encore, ces chiffres ne tiennent-ils pas compte des sous-traitants publics ou privés.

Plusieurs dizaines de milliards de dollars se seraient évaporés, depuis 2003, dans des projets qui n’ont jamais abouti

Il y a une dizaine d’années, le « Washington post » révélait que plus de 1 300 branches des services publics et près de 2 000 entreprises privées (le plus souvent créées par d’anciens fonctionnaires ayant pris leur retraite) concourraient au travail de collecte du renseignement et de lutte contre la menace terroriste, ce qui ferait monter le nombre de membres du personnel directement impliqués dans ces tâches et détenteurs d’habilitations de sécurité au plus haut niveau à plus de… 850 000. Des chiffres qui donnent le vertige.

Violations des droits civiques, bureaucratie, incompétence et gaspillage

Sa puissance n’a pas mis le DHS au-dessus des critiques. Loin de là. On peut même soupçonner que les administrations rivales n’hésitent jamais beaucoup à lui savonner la planche. Allez savoir pourquoi….

On a ainsi reproché au Département de sécurité intérieure d’être dirigé par une bureaucratie tatillonne, étouffante et paranoïaque mais aussi des gaspillages insensés. Plusieurs dizaines de milliards de dollars se seraient évaporés, depuis 2003, dans des projets qui n’ont jamais abouti ou se sont révélés totalement inefficaces, mais également dans des dépenses difficiles à expliquer au contribuable.

Que dire de ce budget de 70 000 dollars pour des chaussons pour chiens dont les braves toutous chargés de la sécurité dans les aéroports ou ailleurs n’ont jamais été équipés

Un audit a ainsi révélé des achats de matériels de brassage de bière ou de bateaux payés, parfois, deux fois le prix, dont certains ont purement et simplement disparus des inventaires. Peut-être se trouvent-ils ancrés dans les marinas autour desquelles de hauts fonctionnaires ont acheté des villas? Et que dire de ce budget de 70 000 dollars pour des chaussons pour chiens dont les braves toutous chargés de la sécurité dans les aéroports ou ailleurs n’ont jamais été équipés.

Quant à l’informatique, c’est pire qu’un cauchemar. Une autre inspection a révélé, en 2015, l’existence d’une centaine de programmes ou de bases de données dont la finalité était obscure, le système informatique en général étant, lui, peu, pas ou mal protégé. Un comble pour une administration en charge de la cybersécurité et dont les serveurs recèlent des informations « top secret » !

Mais il y a pire. Le DHS s’est également rendu coupable de violations répétées des droits civiques, un sujet hautement sensible outre-Atlantique. Il s’arroge ainsi le droit d’ouvrir et lire l’ensemble du courrier postal envoyé depuis l’étranger à des citoyens ou résidents permanents américains. Et il ne se prive pas d’user de ce droit, sur des bases d’autant plus difficiles à justifier qu’il est notoire que les bases de données gérant les dossiers de « suspects » éventuels sont gérées de manière pour le moins aléatoire avec des programmes de qualité douteuse.

Un organisme peuplé de fonctionnaires malheureux

Et en 2020, à Portland (Oregon) des fonctionnaires du DHS ont directement procédé à l’arrestation et à l’interrogatoire de manifestants de « Black Lives Matter », alors que le maintien de l’ordre est une prérogative locale. Suivant les circonstances, le FBI et la Garde nationale de chaque Etat peuvent être appelés à y participer, mais pas le DHS qui sort là tout à fait du cadre normal de son activité.
Il est vrai qu’en 2020, le DHS devait encore se croire tout permis : le locataire de la Maison Blanche s’appelait Donald Trump et l’histoire a montré que son respect (sa connaissance ?) des lois était tout relatif.

Si l’on ajoute à ce tableau peu flatteur les enquêtes récentes diligentées par l’administration Biden sur l’influence de courants suprémacistes au sein de l’agence (ce qui expliquerait qu’elle a peu brillé contre la menace terroriste d’ultra droite, jugée pourtant plus que préoccupante par le FBI), cela explique peut-être que dans les enquêtes sur la satisfaction au travail, le DHS se place en général en dernière place des administrations américaines.

Peu efficace, outrageusement dépensière, peu regardante sur les méthodes employées et peuplée de fonctionnaires malheureux, tel est le tableau que l’on peut dresser du DHS 20 ans après sa naissance. Rien n’indique donc qu’il fêtera son trentième anniversaire….

 

Hugues KRASNER