LE CALVAIRE DES MIGRANTS

Londres: l’extrême-droite veut aller stopper les bateaux de migrants en France, la société civile londonienne réagit

Des manifestants brandissent des pancartes sur lesquelles est écrit « Pas de place pour le racisme » lors d'une contre-manifestation contre une manifestation anti-immigration appelée par des militants d'extrême droite dans la banlieue londonienne de Walthamstow, le 7 août 2024. AFP

Alors que la crise migratoire s’intensifie sur les côtes françaises, un nouveau danger émerge de l’autre côté de la Manche. Alan Legett, un militant d’extrême-droite britannique, a appelé à former un groupe de « chasseurs de migrants » pour traverser la Manche et empêcher les embarcations de quitter le littoral français. Cette incitation à la violence a provoqué une vive inquiétude à Calais où les autorités se préparent à faire face à cette menace imminente. Mais les répercussions se font également sentir à Londres, où la société civile réagit avec force. Les manifestations antiracistes se multiplient, et les Londoniens, inquiets, s’expriment sur cette montée de la haine. Alors que les tensions continuent de croître, cette situation révèle les fractures sociales de plus en plus marquées, tant en France qu’au Royaume-Uni, posant des questions cruciales sur l’avenir des relations transfrontalières et la gestion des flux migratoires.

Montée des tensions transfrontalières

L’appel lancé par Alan Legett sur X, anciennement Twitter, a mis le feu aux poudres. Le militant d’extrême-droite incite ses partisans à former un groupe pour traverser la Manche et stopper les migrants sur les côtes françaises. Cette initiative a rapidement soulevé des inquiétudes, non seulement à Calais, mais aussi à Londres. Les autorités françaises, conscientes des risques, ont renforcé la vigilance. « C’est un défi à notre souveraineté. Nous devons empêcher que la violence se propage de l’autre côté de la Manche », affirme Philippe Mignonet, adjoint au maire de Calais sur X.

Nous devons empêcher que la violence se propage de l’autre côté de la Manche.

Mais les inquiétudes ne s’arrêtent pas là. A Londres où les manifestations antiracistes ont déjà mobilisé des milliers de personnes, la menace de violences transfrontalières est aussi prise très au sérieux. « C’est une escalade sans précédent. Si des militants britanniques franchissent la Manche pour attaquer des migrants en France, cela pourrait entraîner une réponse violente en retour », estime Sarah, une avocate spécialisée dans les droits de l’homme.

Londres dit stop à la haine

Les rues de la capitale britannique se sont rapidement remplies de manifestants opposés à la montée de l’extrémisme et de la violence raciale.  Les pancartes affichent des slogans comme « Solidarité avec les migrants » et « Stop à la haine ». Lors d’un micro-trottoir mené à travers les quartiers de Shoreditch et Brixton, les Londoniens expriment leur inquiétude face à cette situation. « Je suis horrifiée par ce qui se passe », confie Ellie, une étudiante en sciences sociales de 22 ans. « Il est impensable que des gens ici au Royaume-Uni se préparent à aller en France pour attaquer des migrants. Où va le monde ? », poursuit-elle. Son ami, Tom, 24 ans, ajoute : « Nous avons une responsabilité envers ces personnes. Elles fuient la guerre et la persécution. Ce n’est pas en les pourchassant que nous allons résoudre quoi que ce soit ».

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Des gens regardent une banderole avec les noms des migrants morts en traversant la Manche lors d’un hommage à Calais, dans le nord de la France, le 19 juillet 2024. (Photo par Sameer Al-DOUMY / AFP)

Dans le quartier de Covent Garden, un commerçant de 45 ans, James, partage ses préoccupations. « Je me souviens des émeutes de 2011. Voir cette violence reprendre, dirigée contre des gens qui n’ont déjà plus rien, ça me rend malade. Nous devons nous unir pour dire non à cette haine », dit-il.

Voir cette violence reprendre, dirigée contre des gens qui n’ont déjà plus rien, ça me rend malade. Nous devons nous unir pour dire non à cette haine.

Pour Amanda, infirmière à l’hôpital de St. Thomas, la situation est un signal d’alarme. « Je travaille avec des réfugiés et je vois leur souffrance au quotidien. Savoir qu’il y a des gens prêts à franchir la Manche pour les attaquer me brise le cœur. Ces manifestations sont nécessaires, mais il faut plus qu’une marche pour changer les choses », renchérit-elle.

Calais : les migrants sous pression face à la menace

Pendant ce temps, à Calais, les migrants continuent de vivre dans des conditions précaires, désormais aggravées par cette nouvelle menace. Depuis des années, la ville portuaire française est un point névralgique pour ceux qui tentent de rejoindre le Royaume-Uni, mais les conditions de vie y sont de plus en plus difficiles. Les campements de fortune, souvent démantelés par les autorités françaises, se multiplient autour de la ville. « Nous avons déjà peur des autorités françaises, maintenant il faut craindre les Britanniques aussi », déplore Ahmed, un migrant soudanais.

Dans ces camps, les migrants entendent parler des appels à la violence de l’autre côté de la Manche. « Cela nous fait très peur », confie Fatiha, une mère de trois enfants, originaire de Syrie. « Nous avons déjà fui la guerre, et maintenant on nous menace ici. Nous voulons juste traverser pour trouver un endroit où vivre en paix ».

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Des policiers français patrouillent dans un camp de fortune de migrants à Calais, dans le nord de la France, le 26 novembre 2019. (Photo par DENIS CHARLET / AFP)

Les autorités locales, bien que conscientes de la gravité de la situation, peinent à trouver des solutions durables. « La situation devient de plus en plus difficile. Les migrants sont pris en étau entre des conditions de vie désastreuses et une violence qui pourrait venir de n’importe où », admet un bénévole anonyme travaillant pour une ONG locale.

C’est notre dernier espoir. Nous savons que c’est dangereux, mais que pouvons-nous faire d’autre ? Nous avons tout perdu et nous ne pouvons plus reculer.

En dépit des conditions, la détermination des migrants à traverser la Manche reste intacte. « C’est notre dernier espoir. Nous savons que c’est dangereux, mais que pouvons-nous faire d’autre ? Nous avons tout perdu et nous ne pouvons plus reculer », explique Rafiq, un jeune homme originaire d’Afghanistan.

La responsabilité de l’Union africaine dans la crise migratoire

En dépit des efforts déployés par les pays européens pour gérer la crise migratoire, une part de la responsabilité repose également sur l’Union africaine (UA). Les conditions économiques désastreuses et l’instabilité politique dans de nombreux pays africains poussent des milliers de personnes à fuir chaque année. Pour Sarah, l’avocate spécialisée en droits de l’homme, « il est impératif que l’Union africaine prenne des mesures concrètes pour améliorer la situation économique et sociale dans ses États membres. Il ne s’agit pas seulement de gérer les flux migratoires vers l’Europe, mais de créer les conditions nécessaires pour que ces populations n’aient pas à quitter leur pays d’origine en premier lieu ».

Il est impératif que l’Union africaine prenne des mesures concrètes pour améliorer la situation économique et sociale dans ses États membres.

L’UA doit non seulement promouvoir la stabilité politique, mais aussi encourager le développement économique durable et l’amélioration des infrastructures. Cela pourrait réduire la nécessité pour de nombreux Africains de risquer leur vie en traversant des mers dangereuses pour atteindre l’Europe. « Les migrations ne s’arrêteront pas tant que les conditions de vie dans ces pays resteront insoutenables. C’est un problème qui nécessite une approche globale, où les solutions locales et internationales doivent être mises en œuvre », conclut James, le commerçant de Covent Garden.

Hamid CHRIET (à Londres)