OPINION

8 mars: Lettre ouverte à mes Camarades afro-féministes, à mes Soeurs militantes, aux Femmes Noires


À quel moment vivons-nous pour nous ? « Le racisme fonctionne comme une distraction. Il vous empêche d’accomplir votre travail. Il vous pousse à expliquer encore et encore votre raison d’être. Quelqu’un dit que vous n’avez pas de langage, donc vous passez vingt ans à prouver que vous en avez un. Quelqu’un dit que votre tête n’a pas une forme normale, alors vous demandez à des scientifiques de travailler sur le sujet pour prouver le contraire… tout cela n’est pas nécessaire. Il y aura toujours autre chose. »  À travers cette citation, Toni Morrison, romancière et professeure de littérature afro-américaine, illustre les mécanismes auxquels sont confrontées les personnes racisées.

En tant que Femmes Noires, engagées ou pas dans diverses luttes, nous pouvons nous approprier le terme « racisme », et le coupler aux réalités du sexisme, pour ainsi définir les causes entremêlées des discriminations que nous rencontrons régulièrement.

« Il vous pousse à expliquer encore et encore votre raison d’être »

Éternelles éducatrices, nous réfléchissons, élaborons et proposons sans cesse des outils à destination des oppresseurs afin qu’ils s’en servent pour déconstruire les systèmes qu’ils ont bâtis et qui leur procurent les privilèges dont ils ne veulent pas se départir. Ces systèmes d’exploitation et d’oppression nous exposent, nous enfoncent et nous maintiennent volontairement dans la précarité. Discriminations à l’emploi, au logement, syndrome méditerranéen lors de la prise en charge médicale, autant de raisons qui nous contraignent, sous prétexte d’intersectionnalité, à nous joindre à tous les combats. Et nous répondons présentes, même lorsque nos urgences ne sont pas prises en compte ou pire lorsque les victoires des unes créent de nouvelles formes d’oppressions pour les Nôtres.

Ajoutons à cela les micro-agressions sexistes et racistes auxquelles nous faisons face quotidiennement et le poids de la communauté sur nos épaules. Pour illustrer ce dernier point, prenons cet extrait du livre “Un féminisme décolonial” de François Vergès qui traduit parfaitement l’injonction tacite à une loyauté irrévocable envers les hommes de la
communauté : « Lorsque les femmes afros s’opposent aux hommes afros, elles sont accusées d’être source de division, de faire le jeu des colons ! » Divine K., cofondatrice du collectif afrofem.

Ces quelques éléments non exhaustifs nous permettent déjà de réaliser à quel point nous sommes empêchées d’accomplir notre travail.

En quoi consiste ce travail ?

Prenons-nous le temps d’y réfléchir ? Quelles sont nos aspirations en tant qu’individu? Comment envisagerions-nous le quotidien et l’avenir sans assignations de classe, de genre et de race ? Nous accumulons une charge mentale énorme à vouloir former, éduquer, aider, conscientiser la société et nos communautés.
Cet état de fatigue psychologique nous prive de ces moments essentiels centrés sur nous et notre bien-être.
Les maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension, véritables fléau chez les personnes afrodescendant.e.s en sont l’expression. Et bien que constituant des sujets encore tabous, les maladies mentales comme l’anxiété, la dépression, le stress post-traumatique ou le burn-out sont elles aussi en manifestations croissantes.

…tout cela n’est pas nécessaire. Il y aura toujours autre chose…

Lutter contre le capitalisme et le patriarcat, principaux fondements du racisme et du sexisme, est un marathon.
Il est de notre devoir de nous préserver et de trouver des alternatives aux dynamiques frontales, violentes, chronophages et énergivores que nous expérimentons et qui s’avèrent le plus souvent servir davantage d’autres intérêts que les nôtres. L’énergie et l’intelligence que nous déployons à mettre en place des mécanismes de défense pour nous protéger ou pour nous adapter, mettons-la au service de notre bien-être.

Nous avons hérité de nos mères une attitude sacrificielle dont nous devons à tout prix nous défaire pour laisser un héritage différent aux générations qui nous suivent. Un héritage où prendre soin de soi est la norme.
Repensons les luttes selon des paradigmes basés sur nos besoins à courts, moyens et longs termes.
Fixons-nous des limites, déléguons, responsabilisons nos communautés sur leurs propres sorts.

Dans un milieu hostile, exister est un combat en soi. Prenons-le à bras le corps, un jour à la fois, connectées à nos émotions, celles qui nous poussent à nous battre pour les autres, reconnaissons-les pour nous battre pour nous-mêmes.

Ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, arrogeons-nous, une fois pour toutes, un droit essentiel : celui de la souveraineté individuelle ! Il en va de notre santé physique et mentale. Il en va de notre survie.

Achaïso Ambali, journaliste

http://mrax.be/wp/article-le-syndrome-mediterraneen/