LITTERATURE

Chronique : “Premier sang” d’Amélie Nothomb


Après s’être coulée dans la personne de Jésus, il y a deux ans (Soif), Amélie Nothomb publie aujourd’hui des souvenirs (écrits à la première personne et donc a priori apocryphes) de son père, Patrick Nothomb, ancien ambassadeur de Belgique, notamment au Japon, décédé en 2020 à 83 ans.

L’ouvrage est centré sur trois épisodes de la vie de son père : les vacances passées pendant son enfance chez son grand-père, le baron Pierre Nothomb, à Habay-la-Neuve, sa rencontre avec sa future femme, Danièle Scheyven, la mère d’Amélie, et son intervention comme négociateur lors de la prise d’otages de Kisangani en 1964. Le livre s’ouvre et se clôt par une scène digne du Dostoïevski (il est d’ailleurs cité) de la Maison des morts.

C’est la première partie du livre, l’évocation des vacances à Habay-la-Neuve, qui nous a principalement séduit : le vieux château au bord du lac, les repas à neuf, où le père (le grand-père du narrateur) se sert d’abord, la mère ensuite, enfin chacun des enfants à son tour, du plus vieux au plus jeune, les poèmes déclamés dans les toilettes ( le « Trianon »), le dortoir glacial aménagé dans les combles, la rhubarbe cultivée par la grand-mère à l’insu de son mari…N’était le charme des grands-parents, du baron Nothomb et de sa femme, on dirait un roman de Dickens (Olivier Twist).

Lisant les scènes se rapportant au château, nous nous sommes demandé s’il s’agissait du Château du Pont d’Oye, transformé en hôtel, dans lequel nous avons séjourné quelques jours, voici environ quarante ans : la mémoire de la famille Nothomb y était célébrée, force tableaux à l’appui (Amélie n’était pas encore connue), et les abords du lac, devant l’hôtel, étaient offerts comme un but à nos promenades, ainsi que dans le récit. Nous n’imaginions pas à quel point la famille Nothomb était inscrite dans le passé de la Belgique, dans notre passé : nous aussi avons tenté d’apercevoir les falaises de Douvres, du bout de l’estacade d’Ostende (p.95), nous aussi nous souvenons de Paul Nothomb, l’oncle d’Amélie, le communiste, qui a fait la guerre d’Espagne, vu à Apostrophes (p.64).

 

La deuxième partie contient également une scène originale : on apprend que, si Christian (Henri, un ami de Patrick Nothomb) avait Cyrano (Patrick Nothomb) pour « nègre », Roxane (Françoise) s’appuyait sur … Danièle. Et l’histoire se dénouera mieux que dans la pièce, avant le dernier acte (les lecteurs comprendront).

Nous avouons que le troisième récit, à savoir la prise d’otages à Stanleyville, nous a moins intéressé, alors qu’il contient peut-être un témoignage de première main sur l’héroïsme de Patrick Nothomb.

Compte tenu de la construction (trois récits), l’œuvre manque un peu d’unité mais, malgré ce léger défaut, Amélie Nothomb confirme une fois de plus tout le bien que nous pensons d’elle. Comme les tables de Guernesey parlaient en langage hugolien, son père écrit (?) dans un style bien caractéristique, que l’on commence à identifier de livre en livre, le style d’Amélie Nothomb, une forme d’ironie « distante », « distanciée » (si le mot existait…), tout en étant classique.

A quand une candidature à l’Académie … française ?

 

“Premier Sang”, Albin Michel, 175 p., 17,90 €

Jacques MELON