LITTERATURE

Chronique: “Au printemps des monstres” de Philippe Jaenada


Pendant la nuit du 26 au 27 mai 1964, un enfant de onze ans, Luc Taron, est tué (accidentellement ? avec préméditation ?) dans les environs de Paris. Un homme en complet bleu est aperçu sur les lieux mais rapidement la presse et la police reçoivent des lettres signées « L’Etrangleur ». Celui-ci sera vite identifié, arrêté et finalement condamné à la prison à vie, même si, après avoir avoué, il s’est rétracté. Il passera sa vie à se dire la victime d’une injustice, d’une manipulation (à laquelle il a contribué…). Tel est l’objet de l’enquête menée par Philippe Jaenada, dans son dernier roman inspiré du réel : qui a tué Luc Taron ?

Le dernier ouvrage signé Philippe Jaenada et inspité d’une histoire vraie, nous a semblé beaucoup trop long : on se perd dans les digressions, l’auteur intercalant dans son texte des considérations diverses, même des passages purement auto-biographiques relatifs à sa santé, à sa famille… ; il procède au récit détaillé de la vie de certains protagonistes, remontant parfois très loin dans le passé de ceux-ci, pour n’en pas conclure grand-chose et faire surgir de nouvelles interrogations sans intérêt. Le livre ne s’achève d’ailleurs par aucune conclusion.

Inspiré de faits réels, l’histoire nous replonge dans ce fait divers passé, aussi romancé. Pendant plus d’un mois, un enragé inondera les médias de l’époque  et la police de lettres de revendication démentes, signées « L’Étrangleur » ; il adressera même aux parents de l’enfant, horrifiés, des mots ignobles, diaboliques, cruels avant, finalement d’être arrêté. Dans cette société naissante qui deviendra la nôtre, tout est trouble, tout est factice. Tout le monde truque, ment, triche. Sauf une femme, un point de lumière. Et ce qu’on savait se confirme : les pervers, les fous, les odieux, les monstres ne sont pas souvent ceux qu’on désigne.

Le style de l’auteur

L’auteur use à plein de la technique de la parenthèse. Rappelons que la parenthèse permet une confidence au lecteur, comme si l’écrivain lui faisait partager sa pensée la plus secrète, et offre de nouvelles couches au récit, les entrecroisant (cfr. J. Drillon, Traité de la ponctuation française, Gallimard, Tel, p.263 et 264). Ici on rencontre toutes les variantes de l’emploi des parenthèses, des parenthèses dans les parenthèses…On s’égare un peu, n’est pas Lawrence Sterne qui veut.

Le premier avocat du tueur initialement autoproclamé est le grand Maurice Garçon, lequel, après avoir assuré la défense pendant un certain temps, finira par jeter l’éponge et confiera le dossier à Me Albert Naud, ce que lui reproche Philippe Jaenada. On nous permettra un désaccord sur ce point avec l’auteur. L’avocat prête serment de ne défendre aucune cause qu’il ne croira juste en son âme et conscience.
Peut-on blâmer Maurice Garçon de s’être déchargé de la défense des intérêts d’un accusé qui ne cessait de changer sa version des faits, portant atteinte à la relation de confiance qui doit exister entre un avocat et son client ? Il a d’ailleurs veillé à la transmission du dossier à un autre ténor du barreau.

Nous concédons bien volontiers que l’enquête a été bâclée sur certains points. Ainsi, à partir des aveux et malgré le retrait de ceux-ci, on n’a pas vraiment cherché à savoir qui était l’homme en complet bleu, aperçu sur les lieux quelques minutes (?) après la mort de Luc Taron, alors que cet « homme en complet bleu », selon sa description par des témoins, n’était d’évidence pas l’accusé.

Le style de Philippe Jaenada est congruent à ce type de livre, « journalistique » ; nous reconnaissons avoir préféré La serpe,  du même auteur et lauréat du Prix Femina 2018.

Jacques MELON


Philippe Jaenada, Au printemps des monstres, Flammarion/Julliard, 749 p., (23,00 €)