OPINION

Résistance: aux arts, citoyens! Pour la sauvegarde de la culture

BELGA

Il est de notoriété publique que tout totalitarisme naissant vise d’abord, pour s’instaurer au sein des consciences, à museler la culture, du moins celle qui, consciente de ce type de danger socio-politique, refuse d’être à son service, ou de lui servir de propagande idéologique. Ce fut, tout au long du récent XXe siècle, le cas, par exemple, des dictatures communistes ou des divers fascismes, qui, au prétexte qu’il s’agissait là d’éléments hostiles au système mis en place, bâillonnèrent, emprisonnèrent ou liquidèrent foute forme de dissidence, ou, pis, du nazisme, qui, de sa propre et seule autorité, réputa tout artiste comme tout penseur qui ne lui convenait pas, ni n’obéissait aveuglément à ses injonctions, comme « dégénéré ».

Sur cette criminelle manière de concevoir la toute puissante mainmise de l’ordre politique sur la sphère sociale, une philosophe aussi lucide qu’Hannah Arendt a par ailleurs écrit, dans ses magistrales « Origines du totalitarisme », des pages aussi définitives qu’admirables, mais surtout, comme telles, à méditer, de toute urgence, en ces temps particulièrement sombres, lourds de sens tragique.

Dérive autoritaire sinon tentation totalitaires des politiques

Certes, privilégiant, pour ma modeste part, un discours nuancé en cette délicate matière, et me refusant donc, dans la foulée, à tout néfaste amalgame historique, révisionnisme de mauvais aloi ou malsaine dérive complotiste, ne puis-je pas affirmer péremptoirement, en toute honnêteté intellectuelle, que nos sociétés dites « modernes » et « démocratiques » en sont elles aussi, par la très critiquable façon dont elles gèrent l’actuelle crise du Covid-19, malheureusement là !

Mais, enfin, à voir cette inique manière, autoritaire précisément, sinon brutale, dont, en Belgique, le gouvernement fédéral, le fameux CODECO (acronyme pour dire « comité de concertation », fût-il contre la réalité des faits puisqu’il ne consulta, ce 22 décembre 2021, personne d’autre, pas même les experts scientifiques, que lui-même), vient de décider arbitrairement, pensant vaincre en cela la fulgurante vague du variant Omicron, l’unilatérale fermeture (en dépit du bon sens, et pour la troisième fois) de quelques-uns des principaux lieux de culture (cinémas, concerts, théâtres, cirques…), il est légitime de se poser, à tout le moins, la question.

L’erreur de ce calcul politique est colossale, tant elle s’avère, contre toute logique sur le plan social et médical, déraisonnable ! Pis : irrationnelle !

D’autant que ces lieux culturels, lesquels avaient pourtant mis tout en œuvre, au prix d’immenses sacrifices et dépenses, pour répondre aux exigences des mesures sanitaires, sont des foyers de contamination bien moins risqués que, par exemple, les transports en commun (métros, autobus, trams, trains…) qui, eux, sont bondés, remplis chaque matin sans les précautions adéquates (hormis un masque qui, pour impérieux qu’il soit, peut s’avérer parfois dérisoire), afin que, bien qu’entassés les uns sur les autres, en une promiscuité des plus problématiques, ces nouveaux forçats de la toute-puissante économie (finances étatiques, administratives, industrielles et bancaires obligent !) puissent se rendre docilement, sans le moindre accès de contestation, à leur travail. Aussi absurde qu’incompréhensible, cette dérive autoritaire ! Aussi injuste qu’injustifiable, cette tentation totalitaire ! L’erreur de ce calcul politique est colossale, tant elle s’avère, contre toute logique sur le plan social et médical, déraisonnable ! Pis : irrationnelle !

Menace et dictature sanitaire sur notre démocratie

Si bien que l’on ne sait plus aujourd’hui si, chez ces politiques qui s’arrogent ainsi abusivement le droit, en des injonctions souvent paradoxales, de décider seuls, contre l’avis général et l’opinion publique, des modalités de notre existence même, il faut blâmer le plus l’incompétence, l’imprévoyance, les approximations, les contradictions, l’arrogance, le cynisme ou le caractère, en effet, dictatorial, sinon, pis encore et comme je le crains, le tout ensemble. C’est dire si, hélas, la menace plane, moyennant ce suprême alibi qu’est la santé collective, sur notre démocratie !

Un incommensurable drame humain

A cela, pour corser davantage encore cette déplorable affaire, s’ajoute bien sûr, chez les opérateurs culturels eux-mêmes (directeurs de salles de spectacle, metteurs en scène, artistes, comédiens, musiciens, chanteurs, danseurs, techniciens, etc.), un découragement, sinon un désespoir, croissant, avec un nombre incalculable de faillites, de dépôts de bilan, de mises au chômage, de problèmes psychologiques, de dépressions nerveuses, de burn-out, d’appauvrissement de tout un pan, pourtant essentiel en toute démocratie qui se respecte, de la société. Le gâchis, sur un plan plus strictement humain, est incommensurable, voire criminel !

Un génocide culturel: crime contre l’esprit et insulte à l’intelligence

Cette légitime question concernant la fermeture des lieux de culture – interrogation peut-être salutaire et en tout cas nécessaire pour la sauvegarde de nos libertés fondamentales –, je la posais déjà, du reste, dans un de mes derniers livres, intitulé ironiquement, en référence à la célèbre dystopie d’Aldous Huxley (mais aussi au non moins fameux «1984 ») de George Orwell, « Le Meilleur des mondes possibles » (coécrit avec mes amis Robert Redeker, Elsa Godart et Luc Ferry, et sorti, au printemps dernier, aux Editions Samsa).
Car ce mépris pour la culture, c’est aussi, et peut-être avant tout, un crime contre l’esprit, une irresponsable et honteuse insulte à ce qu’il y a de plus noble et précieux, hormis la vie elle-même, au sein de toute civilisation digne de ce nom : l’intelligence, la pensée critique, le débat d’idées ou la simple réflexion !

Résistance: aux arts, citoyens!

Ainsi, face à pareille tragédie, devant ces multiples et intolérables abus de pouvoir, où ce génocide culturel se double d’un drame humain, est-ce à la plus bienveillante mais néanmoins ferme des résistances, sinon à la désobéissance civile, face à cette insidieuse dictature (sanitaire ou non qu’elle soit) qui s’avance masquée (c’est le cas, au faîte de cette pandémie, de le dire !), que j’en appelle ici, paraphrasant là un des plus glorieux mots d’ordre d’une certaine Révolution, pour la survie même, sinon de l’espèce humaine, du moins de son âme : aux arts, citoyens !

Contre le déraisonnement de la raison

Les générations futures nous en sauront gré, et l’avenir, j’en suis certain, nous donnera raison, contre ce monde, de plus en plus insensé, qui semble ainsi perdre, précisément, la raison !

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

 

Philosophe, professeur à l’Ecole Supérieure de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège, membre des « alumni » du Collège Belgique (institution placée sous l’Académie Royale de Belgique et le parrainage du Collège de France), administrateur de l’Association des Ecrivains de Belgique (AEB)

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