OPINION

Hommage à Igor et Grichka Bogdanoff: Un tombeau pour deux !


Inséparables jusque dans la mort, par-delà même leur vie ! C’est là l’ultime, mystérieux et pourtant très tangible signe, métaphysique peut-être plus encore que physique, des quasi indivisibles frères Bogdanoff, jumeaux jusque dans l’au-delà : Igor, ce lundi 3 janvier 2022, vient en effet de s’éteindre également, six jours seulement après Grichka (auquel j’avais déjà rendu hommage), emporté lui aussi, à l’âge de 72 ans, par les terribles effets secondaires, mortifères en ce qui les concerne, de la Covid-19. 

Igor et Grichka : plus qu’une simple gémellité, un seul et même être divisé en deux

Un tel destin, pour tous deux, ne peut certes, par-delà cette funeste fatalité dans laquelle pareille tragédie humaine s’inscrit inévitablement, qu’interroger, y compris, et peut-être surtout, sur le plan philosophique, voire ontologique, sinon encore théologique. Ces deux morts rapprochées frappent, bien évidemment, les esprits !

J’ai peine à imaginer, du reste, comment Igor, qui s’en est donc allé six jours après la disparition de Grichka, cet alter ego dont il ignorait le récent décès puisqu’il était lui-même plongé dans le coma depuis une quinzaine de jours, aurait pu survivre psychologiquement, s’il s’était réveillé de son profond sommeil, à semblable déchirement existentiel, à pareille et indescriptible souffrance en son immense, invivable et peut-être même ingérable, solitude !

Car ces deux indissociables frères, Igor et Grichka, c’était bien plus encore qu’une simple, si l’on peut dire, gémellité : c’était, depuis leur naissance et jusque donc dans leur mort, comme le même être, corps et âme, divisé en deux. Je sais, pour avoir été très proches d’eux depuis plus de vingt ans, que l’un ne pouvait pas vivre, littéralement, sans l’autre et, au regard de cette relation véritablement fusionnelle, vice-versa !

La fascination de Roland Barthes pour les frères Bogdanoff

C’est cet intrinsèque rapport spéculaire qui, par ailleurs, fascina naguère tant, par-delà l’intelligence tout autant que la richesse de leur belle personnalité, un esprit aussi exigeant, pointu et raffiné que Roland Barthes, mémorable auteur des superbes « Mythologies », alors même que, parvenu au faîte de sa gloire, il enseignait encore, à la grande époque du structuralisme et tel l’un des maîtres incontestés de la sémiologie, au prestigieux Collège de France !

Ils attendaient, pour se faire vacciner contre le Covid-19, le vaccin de L’institut Pasteur

Aussi passionnant, sinon déroutant, qu’étrange, donc, ce paradoxe vivant, quasiment unique dans l’histoire de notre culture moderne, que constituaient, à eux deux, les frères Bogdanoff : ils incarnaient simultanément, à la manière d’un oxymore ontologique, la singularité et le dédoublement tout à la fois, semblables à cette « double postulation simultanée » dont parle Baudelaire, doté là d’une une rare sagacité, en son « Cœur mis à nu », l’un de ses deux journaux intimes (avec « Fusées ») !

Une très dandy singularité cosmique

C’est d’ailleurs cette « singularité » même qui, fût-ce dans sa complexité, nous rapprocha au plus haut point, nous emmenant souvent en d’instructifs et prolifiques débats cosmologiques, puisque c’et là, précisément, l’une des caractéristiques majeures de ce dandysme qui m’est si cher et dont, du reste, ils pouvaient, eux aussi, s’enorgueillir très légitimement !

C’est ainsi donc qu’en perdant coup sur coup, à moins d’une semaine d’intervalle, mes chers Igor et Grichka, j’ai effectivement perdu deux de mes propres frères d’âme. C’est dire si ma tristesse, plus encore que mon chagrin, est infinie, incommensurable !

En quête de renaissance, sous l’étoile de Raphaël

Davantage, avec leur décès inopiné, c’est aussi un de nos plus beaux, vastes et ambitieux projets intellectuels, sorte de songe transcendantal, qui, soudain, s’évanouit : celui de présenter prochainement au monde, lors de conférences communes et dont je n’ai nulle peine à imaginer le grand intérêt artistique qu’elles auraient alors suscité auprès du public, l’originale et gigantesque tapisserie en couleurs, tissée de fils d’or et d’argent de surcroît, du peintre Raphaël, l’un des trois inégalables génies (avec Léonard de Vinci et Michel-Ange) de la Haute Renaissance.
C’est un merveilleux détail de cet inestimable chef-d’œuvre esthétique, intitulé « Le Sacrifice de Lystre » et faisant partie d’un cycle de dix tapisseries directement inspirées par les bibliques « Actes des Apôtres », qui illustre par ailleurs la couverture de l’un de mes derniers livres, « Gratia Mundi – Raphaël, la Grâce de l’Art », paru, enrichi de leur propre et très personnelle préface, aux Editions Erick Bonnier, en 2020, afin de commémorer ainsi dignement les 500 ans de la mort de ce même Raphaël.

C’est donc le plus ému en même temps que le plus sincère des adieux que j’adresse, maintenant qu’ils sont partis rejoindre définitivement ces étoiles qui les faisaient tant rêver, à Igor (qui était docteur en physique) et Grichka (qui était docteur en mathématiques), mes frères d’âme tout autant que de cœur.

Ils attendaient, pour se faire vacciner contre le Covid-19, le vaccin de L’institut Pasteur

Qu’il me soit toutefois permis de préciser encore ici, par respect de leur inaltérable mémoire, de leur famille comme de leurs amis, mais afin de parer surtout ainsi, faisant taire une bonne fois pour toutes certaines rumeurs infondées, sinon malveillantes, à toute indigne, stérile, misérable et irrévérencieuse polémique, que Grichka aussi bien qu’Igor, quoiqu’ils ne fussent effectivement pas vaccinés, n’étaient en aucun cas hostiles, m’ont-ils souvent confiés très ouvertement, au vaccin contre la Covid 19.
Mais simplement, en tant qu’esprits scientifiques, prudents et nuancés en cette délicate matière, ils attendaient précisément, pour se faire eux aussi vaccinés, un vaccin plus conforme aux normes médicales et exigences biologiques : celui de l’institut Pasteur, qu’il réputait, au vu de son incontestable crédibilité scientifique et indiscutable notoriété planétaire (notamment par le prestige de certains de ses prix Nobel, tant de médecine que de biologie justement), plus sûr, fiable et sérieux, plus efficace à long terme et moins risqué quant à ses éventuels effets secondaires, que ceux vendus, actuellement, par les grands groupes pharmaceutiques et autres multinationales en mal de gains parfois peu honorables.

Mieux : non moins réfractaires à toute thèse complotiste ou manipulation idéologique, de quels que partis politiques qu’elles proviennent, Igor et Grichka Bogdanoff n’ont-ils jamais nié, non plus, l’ampleur ni la gravité, bien au contraire, de cette actuelle crise sanitaire du Coronavirus !

A bon entendeur, afin que leur mort ne soit pas vaine et que surtout, leur merveilleux souvenir demeurant ainsi intact, ils ne s’avèrent point d’indécent alibi ni de vulgaire étendard, positif ou négatif qu’il soit, pour servir indument une cause aussi humainement, mondialement, douloureuse !

Un tombeau pour deux : ultime don du ciel

Adieu, donc, chers Igor et Grichka, à jamais unis, votre éternel sommeil devenu ainsi plus doux, jusque dans votre terrestre tombe, qu’elle aussi vous avez désormais, tel un ultime don du ciel, en partage, infailliblement fidèles, en cela également, à vous-mêmes.

Davantage : on eût même dit, suprême signe de cet incroyable destin, proprement hors normes, que Grichka, parti le premier, attendait que son jumeau Igor trépasse lui aussi, un peu moins d’une semaine plus tard, pour pouvoir enfin procéder à leurs communes funérailles. Admirable leçon, par-delà cette indicible tristesse qui nous étreint à présent, d’intemporelle, sidérante, fraternité stellaire !

                                                           DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

 

*Philosophe, écrivain, auteur, notamment de « Divin Vinci – Léonard de Vinci, l’Ange incarné », « Gratia Mundi – Raphaël, la Grâce de l’Art » (avant-propos d’Igor et Grichka Bogdanov), « La constellation Dante – Le chant du Sublime » (enrichi d’illustrations de Gustave Doré), publiés tous trois aux Editions Erick Bonnier (Paris).