POLITIQUE D'ASILE

Le torchon brûle entre l’église anglicane et Boris Johnson sur l’idée d’envoyer les réfugiés au Rwanda

Le ministre britannique de l'Intérieur, Priti Patel (à gauche sur la photo, aujourd’hui remplacée par Suella Braverman), et le ministre rwandais des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Vincent Biruta (à gauche), se serrent la main après la signature de l’accord de partenariat sur la migration et l'économie au Centre des congrès de Kigali, Kigali, Rwanda, le 14 avril 2022. AFP

L’Église Anglicane d’Angleterre a accusé Boris Johnson d’une « insulte honteuse » à l’égard l’archevêque de Canterbury, Justin Welby, après que celui-ci ait critiqué la politique d’immigration du gouvernement britannique. Le Premier ministre a affirmé lors d’une réunion privée de députés conservateurs mardi après-midi que le clergé avait été moins franc sur l’invasion russe de l’Ukraine que sur son plan d’expulsion des réfugiés vers le Rwanda. En effet l’Archevêque de Canterbury a condamné les projets « impies » du gouvernement d’envoyer des migrants illégaux au Rwanda. 

Dans son sermon du dimanche de Pâques, Justin Welby a critiqué les propositions de Downing Street en déclarant que la politique soulevait « de sérieuses questions éthiques » et ne pouvait pas « supporter le jugement de Dieu » ou « porter le poids de notre responsabilité nationale en tant que pays formé par les valeurs chrétiennes ». Il estime que l’accord signé avec le Rwanda est « à l’opposé de la nature de Dieu ». Les critiques de l’archevêque de Canterbury interviennent après que le gouvernement britannique ait dévoilé son plan voulant que toute personne entrant illégalement en Grande-Bretagne soit transportée par avion à plus de 4,000 milles (6,4000 km) vers le Rwanda.

Selon l’accord avec le Rwanda, les demandeurs d’asile qui recevront une décision favorable au Rwanda seront alors autorisés à y rester plutôt que d’être rapatriés au Royaume-Uni. Les candidats rejetés seront expulsés. Dans son homélie de Pâques à la cathédrale de Canterbury dimanche matin, l’archevêque a déclaré qu’il avait « de sérieuses questions éthiques concernant l’envoi de demandeurs d’asile à l’étranger ».

Le Royaume-Uni est fier de soutenir ceux qui ont besoin de protection et nos programmes de réinstallation ont fourni des voies sûres et légales vers un avenir meilleur à des centaines de milliers de personnes à travers le monde.

« À partir d’aujourd’hui (…) toute personne entrant illégalement au Royaume-Uni ainsi que ceux qui sont arrivés illégalement depuis le 1er janvier pourront désormais être relocalisés au Rwanda », a déclaré Boris Johnson lors d’un discours dans le Kent, le 14 avril. Il a précisé que le Rwanda pourra accueillir « des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir ». Il a décrit ce pays d’Afrique de l’Est comme l’un des « plus sûrs au monde, mondialement reconnu pour son bilan d’accueil et d’intégration des migrants ». Cette délocalisation de la politique de la politique d’asile pourra s’appliquer à tous les étrangers entrés illégalement, d’où qu’ils viennent (Iran, Syrie, Érythrée..).

« Le Royaume-Uni est fier de soutenir ceux qui ont besoin de protection et nos programmes de réinstallation ont fourni des voies sûres et légales vers un avenir meilleur à des centaines de milliers de personnes à travers le monde », a résumé un porte-parole du ministère de l’Intérieur.

La ministre Priti Patel contre-attaque

Défendant l’accord d’envoi des réfugiés au Rwanda, la ministre de l’Intérieur, Priti Patel, a demandé à ceux qui critiquent la politique d’immigration du gouvernement à proposer leurs propres solutions.

Dans une tribune conjointe publiée dans le Times avec le ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Mme Patel a décrit le nouveau programme comme « audacieux et innovant » après les déclarations de l’archevêque de Canterbury. La ministre de l’Intérieur estime que l’accord mettrait fin au « commerce meurtrier » du trafic de personnes et permettrait aux personnes fuyant la persécution de se mettre en sécurité.

Mais les critiques pleuvent depuis la signature de l’accord. Plus de 160 organisations caritatives et groupes de campagne ont dénoncé les plans du gouvernement, les qualifiant de « honteusement cruels » et exhortant à leur suppression. Un député travailliste et ancien réfugié a promis que les ministres doivent s’attendre à une bataille acharnée au parlement sur les plans visant à forcer certains demandeurs d’asile à être relocalisés au Rwanda. Alf Dubs, amené en Grande-Bretagne depuis la Tchécoslovaquie sur l’un des trains Kindertransport en 1939, a déclaré au Guardian que le gouvernement essayait de « passer outre » les accords internationaux conçus pour aider ceux qui cherchaient refuge.

C’est une façon de se débarrasser des gens dont le gouvernement ne veut pas, de les jeter dans un pays africain lointain où ils n’auront aucune chance de s’en sortir à nouveau.

Après l’annonce indiquant que beaucoup de réfugiés arrivés au Royaume-Uni sur de petits bateaux en Outre-Manche seraient expulsés et installés au Rwanda, Alf Dubs a précisé que ses pairs se battraient contre cette « décision horrible et choquante » lors de l’introduction de la législation. « Je pense que c’est une façon de se débarrasser des gens dont le gouvernement ne veut pas, de les jeter dans un pays africain lointain où ils n’auront aucune chance de s’en sortir à nouveau. C’est une violation des conventions de Genève de 1951 sur les réfugiés. Vous ne pouvez pas simplement les renvoyer comme des personnes indésirables», a-t-il déclaré.

Dans le même temps, les députés conservateurs ont largement salué la politique comme un moyen pour éviter que des migrants désespérés ne soient exploités par des gangs de trafiquants de personnes et de réduire le nombre record de passages à niveau. Alf Dubs a indiqué déclaré qu’il y aurait probablement des contestations judiciaires et une résistance féroce de la part de ses pairs.

Immoral et injuste

Charlotte Minvielle, Co-Secrétaire d’EELV UK et candidate aux élections législatives en Europe du Nord, nous a confié que « cette nouvelle mesure du gouvernement britannique est choquante. Quelles que soient les circonstances, les réfugiés seront expédiés au Rwanda. C’est immoral. C’est injuste. Et ça viole le droit international. Il faudrait plutôt ouvrir des voies sûres pour que les personnes puissent demander l’asile, mettre fin à la détention brutale des réfugiés, laisser travailler les réfugiés dont les procédures sont en attente, traiter les demandes plus rapidement et rendre le système plus juste ».

Cette nouvelle mesure du gouvernement britannique est choquante.

Le leader du parti travailliste, Sir Keir Starmer, a qualifié le projet d’« irréalisable », tandis que les libéraux démocrates ont déclaré que le gouvernement « claquait la porte » au nez des réfugiés. Le ton est plus grave chez Parti national écossais (SNP). « Je suis consterné par la proposition du gouvernement britannique d’expulser ceux qui cherchent refuge au Rwanda. Imaginez être un jeune adolescent homosexuel fuyant la persécution en Afghanistan et ayant courageusement trouvé votre chemin vers le Royaume-Uni. Au lieu d’être accueilli, vous seriez expulsé vers un pays tiers connu pour son bilan en matière de droits humains. C’est honteux et presque certainement illégal. L’Ecosse a besoin d’indépendance et de sa propre politique étrangère et d’asile éthique », nous a confié

Beaucoup ont fait part de leurs inquiétudes concernant le bilan du Rwanda en matière de droits humains après que le Royaume-Uni même ait soulevé des allégations d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions à l’ONU l’année dernière.

Alexander SEALE (à Londres)